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Le m-paiement risque de condamner les banques algériennes

par Abed Charef

A défaut de régler un problème on le contourne. Le ministère des TIC veut oublier le e-paiement pour aller, directement, au m-paiement.

L'Algérie n'a pas réussi à généraliser le e-paiement. Elle s'apprête, donc à le contourner, laissant sur le carreau des banques qui risquent de perdre, définitivement, la bataille de la modernisation. Au lieu de devenir le moteur de relance de la croissance, ces banques risquent de devenir un boulet qu'il faudra traîner, inutilement, pendant des années.

Pourtant, dans une série de déclarations, faites peu après son entrée au gouvernement, le ministre des Finances Abderrahmane Benkhalfa avait promis le e-paiement pour le troisième trimestre 2015. Il ne connaissait, visiblement, pas l'état des lieux. Non seulement il n'a pas tenu sa promesse, mais les choses n'ont guère avancé depuis. En cause, un système de gestion archaïque. Les décisions se prennent de manière velléitaire, sans coordination ni cohérence. Les banques ont été sommées d'investir dans l'installation de distributeurs automatiques. Elles l'ont fait, mais ceux-ci sont peu utilisés. Ils se dégradent, à un rythme très rapide, ce qui augmente la désaffection du public, envers ce mode de retrait. C'est le contre-modèle du cercle vertueux.

A quoi servent les 1.5 million de cartes de paiement, les 4.5 millions de cartes de retrait, ainsi que les 3.500 terminaux installés, présentés par M. Rachid Belaïd, délégué général de l'ABEF (Association des banques et établissements financiers), comme un grand acquis des dernières années ? A rien. Il manque une loi par-ci, un texte d'application par-là, un modèle de sécurité ailleurs, une campagne de publicité, bref, il manque une bribe de chaque élément pour permettre le décollage réel du paiement électronique. Or, dans ce type de système, pour que la machine fonctionne, il faut que tous les éléments soient opérationnels. Ce qui n'est pas le cas.

Dribbles

C'est un casse-tête sur lequel butent les ministres des Finances depuis deux décennies. Ils ont, tous, juré qu'ils avaient un plan d'une grande précision, ils sont, tous, repartis en laissant les choses en l'état, voire pire. Et c'est peut-être Mme Houda Feraoun qui aura, finalement, trouvé la bonne formule. Dans l'impossibilité de trouver une solution pour généraliser le e-paiement, elle dribble : elle passe, directement au m-paiement.

Schématiquement, cela revient à dire qu'au lieu de réaliser une transaction en utilisant une carte bancaire, via sa banque, on passe par un opérateur de téléphonique mobile. Sur un plan technique, c'est plus simple, c'est même rudimentaire à mettre en œuvre : au Kenya, pays à très faible infrastructure, 50% des transactions se font par m-paiement, et ce chiffre atteint jusqu'à 70% à Mogadiscio, en Somalie, car la formule permet d'éviter de porter du liquide, sur soi, dans un pays où règnent la violence et l'insécurité.

En Algérie, où on compte autant de téléphones mobiles que d'habitants, la formule est, en théorie, promise à un succès éclatant, estiment les spécialistes du secteur. Ceux-ci sont d'autant plus optimistes que ce secteur a évolué à un rythme beaucoup plus rapide que tout ce qui a été imaginé, aussi bien pour la téléphonie que pour l'Internet. Aucun responsable du secteur n'a envisagé que le nombre de clients 3G atteindrait 16 millions, en si peu de temps. L'Administration algérienne, tout comme l'Autorité de régulation, l'ARPT, hésite, aujourd'hui encore, à se prononcer sur les potentialités de tel ou tel marché. Elle hésite à enfourcher l'optimisme ambiant concernant le m-paiement.

Dérives

Mais en optant pour le m-paiement, le ministère des TIC cède à la facilité. Ce faisant, il confirme l'incapacité de l'Administration algérienne à mener des opérations complexes, et l'impossibilité pour deux grands ministères de coopérer pour mener, de front, un projet aussi important pour l'économie du pays. Les banques, incapables de se moderniser sur le plan technique, seront abandonnées à leur sort. Le commerce du pays risque de se faire sans elle. Mais l'économie peut-elle se faire sans les banques ?

En fait, cette option en faveur du m-paiement bute sur deux grandes difficultés. Les opérateurs du secteur transposent vers le m-paiement le succès de la téléphonie. Ils promettent rapidité de transaction, sécurité, facilité de manipulation, notamment pour les petites transactions, mais ils oublient un autre facteur : la confiance. Or, celle-ci est essentielle quand il s'agit de gérer son argent. Les Algériens feront-ils confiance à une compagnie de téléphonie mobile pour qu'elle leur serve de banque ?

Le second problème est autrement plus complexe. Le e-paiement admet la traçabilité des transactions, il nécessite une grande confiance dans le système bancaire, mais il a, aussi, pour but de pousser à une bancarisation de l'argent informel. En l'absence d'un vrai projet et d'un pilotage rigoureux, et l'absence d'institutions crédibles et de moyens de régulation, le développement du m-paiement risque de développer un marché virtuel, totalement, déconnecté des banques et de la réalité économique du pays. Il peut provoquer des dérives inimaginables, comme de payer sa chambre d'hôtel en Tunisie ou ses achats à Barbès avec des dinars transférés par son portable. Comme de créer un marché virtuel des devises sans même passer par Port-Saïd. Où cela peut-il mener ?