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Constitution ou Ordonnance ? De l'absolutisme au supra absolutisme

par Smail Saidani *

«Seul un optimisme fou peut nier les sombres réalités du moment.»F. Roosevelt.

Comme a son habitude, imbu de sa personne, usant d'un langage à la limite du mépris, vis-à-vis du citoyen en général et en particulier des personnalités nationales réunies au sein de l'ICSO, à l'initiative de la CLTD (Jil Jadid- Nahada- Hms. Rcd- Adala- Benbitour) et envers ceux qui ne trempent pas dans leur sauce, M. Ouyahia, chargé de vendre à qui veut bien le croire, une marchandise réchauffée, pour ne pas dire infecte, s'est présente, ce mardi, devant un parterre de journalistes, vantant les mérites de cette nième trituration de la loi suprême du pays. En le voyant se démener, j'avais la boule qui montait et le sang qui chauffait, tellement son argumentaire frisait le ridicule. Il se démenait, dans un habit qui n'était pas le sien. D'emblée, le pouvoir du 8 avril 1999, se découvrait. Le mensonge et l'agression faite à la loi suprême, en 2008 se plantait. Le préposé à la conférence reconnaît, explicitement, que le pouvoir qu'il représente avait bien « menti » au peuple. Sans pudeur, il fait son mea culpa. L'article 74 « Zeroual », reprend sa place, non par amour de la démocratie ou par respect de la volonté populaire, la maladie invalidante et incurable du président, en est la cause essentielle. Que de temps perdu ! Selon le Larousse, la Constitution est la loi Suprême. C'est une norme juridique exécutoire et obligatoire, s'imposant à l'ensemble des citoyens d'un pays y compris le président de la République. Faire adopter ce contrat national par le Parlement actuel constitue un non-sens, un déni vis-à-vis de la citoyenneté. Seules les ordonnances émises par le président durant l'Inter-session parlementaire sont adoptes, sans débat, par le Parlement. C'est justement cette voie que le président de la République a choisi et avait déjà emprunté, par deux fois, (2002 -2008), lui qui avait par quatre fois, juré, la main posée sur le Quran qu'il respectera et défendra la Constitution. Il en est le garant.

Mme Bennabou Fatiha, personnalité indépendante et professeur émérite en Droit constitutionnel a, clairement, affirme que le président n'avait pas le droit de décider de la manière dont sera adoptée la Constitution. C'est quand même l'avis d'un expert en Droit constitutionnel, non pas celui d'un dompteur de trompette ou d'un apprenti juge (constitutionnel), désigné par lui et charge de faire valoir les désirs du chef, en avis conforme. Si l'article 174 lui permet « d'engager » la procédure d'amendement, il ne l'autorise, nullement, et de manière unilatérale à en définir ni le contenu, ni la manière de son adoption qui relèvent du seul avis du Conseil constitutionnel. Hélas, cette institution, au même titre que le Parlement, n'est là que pour apposer le sceau de la République authentifiant les desiderata du chef (constitution- loi- ordonnance). Mon Dieu ! Qu'avions-nous fait pour mériter tous ces malheurs. Faire adopter « le contrat » national le plus important, par un Parlement neeglenien, issu de la fraude, des concussions et de l'argent sale. N'est-ce pas un déni de la souveraineté populaire. Ne savent-ils pas que l'histoire a toujours été impitoyable envers ceux qui trompent leur peuple. A décortiquer le communiqué du Conseil des ministres restreint, du 28.12.2015 , le président aurait déjà tranché quant au mode d'adoption de cet amendement ; le Parlement (deux chambres) se préparent déjà au show, en février, selon les propos d'Ouyahia. Le Parlement, mon Dieu! Monsieur le Président, vous n'êtes pas sans ignorer que les résultats des dernières législatives indiquent bien qu'en termes de pourcentage des votes exprimés, les résultats récoltés par votre parti, le FLN et son alter ego le RND sont là, têtus. Le FLN, n'a récolté en fait que 1.324.363 voix, avec un taux 6,11%, fraude y comprise. Il occupe 221 sièges. L'autre parti, le RND ne représente que 524.057 de voix, avec un taux 2,42%, fraude y comprise. Il occupe 70 sièges. A eux deux réunis, ils totalisent 1.848.420 électeurs, sur un total de 21.646.841 inscrits et un taux de représentation d'à peine 8,53!. N'est-ce pas là la preuve de la non gouvernance démocratique ? C'est pourquoi, l'opposition réunie à Zeralda, en juin 2014, appelle à l'instauration de la vraie démocratie populaire. L'instauration d'une Commission indépendante, permanente chargée d'organiser les élections, y est inscrite comme condition sine qua non. Ses organes et sa composante, totalement indépendants du pouvoir, y compris son président élu par ses pairs. Appliquer l'article 38 de la loi 99/02, organisant les relations entre les deux chambres constitue une atteinte grave à l'esprit des règles de la République. Pour les formes, le président enverra le document, pour avis, après son approbation, déjà acquise du Conseil des ministres. Il a décidé d'aller au Parlement et ce n'est pas la juridiction de Medelci qui va le contrarier. Les juges (en la forme) de la plus Haute Juridiction du pays, désignés par lui-même ou appartenant au FLN / RND ne peuvent le contrarier, sous peine d'éjection. Sous d'autres cieux, au Burkina Fasso, par exemple un tel artifice avait été rejeté. Nous ne sommes, hélas, pas du niveau du Burkina. Rabaisser le contrat national à un tel niveau, c'est ramener le citoyen au rang d'indigène. Quatre mandats, trois révisions. L'on se rappelle que juste après son intronisation, à la tête de l'Etat, en avril 1999, après un scrutin entaché d'irrégularités, avec le retrait des six candidats, dont des historiques de la Révolution avait déclaré à une chaîne de Télé étrangère (comme toujours) qu'il n'aimait pas cette Constitution et qu'il allait la revoir en profondeur. Dix-sept années après le statut quo. Nulle révision « en profondeur » juste des modifications pour plus de pouvoir personnel. Clé de voûte de l'architecture institutionnelle, la Constitution, après le Coran est le texte sacré de tout Etat. Celle de 1996, venue pallier au vide créé par le désordre découlant de la Constitution de 1989, rédigée dans la précipitation par la Présidence d'alors et gelée par la promulgation de l'État d'urgence, en 1992, semblait ne pas plaire au Président Bouteflika, juste parce qu'elle ne lui permettait pas de rester là, le temps que Dieu lui prêtera vie. Elle consacrait l'alternance au pouvoir, comme principe démocratique intangible. Elle ne lui plaisait pas aussi, elle fût l'oeuvre d'un militaire, un général de carrière ; Zeroual pour ne pas le nommer. Lui, le civil, le diplomate, ramené et intronisé par les militaires, en 1999, après qu'il eut refusé le même poste en janvier; le pays étant alors pris en étau entre le feu des ?terros', à l'intérieur et le FMI à l'étranger. Belkhadem, le proscrit, disait alors, « si le peuple veut que ?Boutef' reste, pourquoi l'en empêcher ». La suite est là. Mandat à vie. Gouvernance oligarchique voire pouvoir super monarchique. La révision de 2008 lui a permis de s'attribuer les pleins pouvoirs « exécutif-législatif-judicaire »'.

Chef de l'État, Premier Magistrat, Chef suprême des Armées, chef du gouvernement, président du Conseil de la Magistrature? il nomme et révoque à tous les postes. Du 1er des ministres au dernier SG de commune. Il n'a de compte à rendre à personne; la Haute cour de Justice prévue par la Constitution de 1996, n'ayant jamais agréé son attention. Il dispose de tous les pouvoirs. Il légifère par voie d'ordonnances et nomme les magistrats depuis le président du Conseil constitutionnel au dernier président de Tribunal. Il a le pouvoir de dissoudre l'APN, consulter directement le peuple par voie référendaire et suspendre et/ou dissoudre la Constitution qu'il juge contraire à ses humeurs (gel des agréments des partis politiques entre 2000-2012). En 2002 et 2008, deux révisions, à la hussarde, sont passées à la trappe et par le biais du seul Parlement. Que d'argent a coulé à flots. En 2011, il promet une révision profonde. Après 56 mois (4 années et 8 mois ), on veut faire passer le chameau dans le chas de l'aiguille. Zeroual de son temps, dans des conditions bien difficiles, avait donné au pays une Constitution, en moins de 12 mois. Aujourd'hui à la lecture des amendements on y revient à celle de 1996. Que de temps perdu ! Le président n'a-t-il pas promis une révision consensuelle et profonde ? Une révision profonde doit être approuvée par référendum et non par les deux chambres d'enregistrement réunies. 2002 ?Tamazight. Pour calmer le soulèvement de la jeunesse kabyle après l'assassinat du jeune Guermah Massinissa, le président offrit « tamazight » comme langue « officielle ». 2008- Mandat à vie. Pressé par l'échéance de fin de mandat qui devait expirer en avril 2009, caractérisé, alors, par les grands scandales touchant les proches et/ou membres du « clan », on fait sauter le verrou de l'alternance. C'est le mandat à vie. - 2011, la rue arabe gronde. Les dictateurs sont l'un après l'autre, tel un fruit pourri, jetés en pâture, mis en prison pour certains, brûlés pour d'autres ou expatriés. L'onde de choc a failli traverser nos frontières. En stratège, le président revoie sa copie de gouvernance. Il tente de désamorcer la grenade. Le soir du 15 avril 2011, le visage ferme et la mine sombre, il annoncera un train de réformes, en profondeur, à commencer par la Constitution et l'ouverture du champ politique.

Mai 2013, tout bascule. L'AVC est là, imprévisible. Le Président sent sa fin arriver. Il lutte contre la mort et contre l'article 88. Son Conseil constitutionnel refuse l'auto-saisine. Son président se fait absent. La loi Suprême du pays est bafouée. Le troisième mandat tire à sa fin. Alors que tout le pays s'attendait à son retrait, dans la dignité.

Par procuration, il se porte candidat et par procuration, il tient « sa » campagne électorale, où tous les moyens de l'Etat sont à mis à la disposition des animateurs de shows, pour un maigre résultat. Sur les 22 millions inscrits, seuls 9 millions (chiffre frelaté) se seraient prononcés. Entre 5 et 6 millions de voix sont attribuées (par les mains célestes) au président qui sera déclaré vainqueur. Juste après, dans une conférence officielle, le directeur des Libertés du ministère de l'Intérieur, celui-là même, chargé de la gestion des fraudes successives dira que le fichier national contenait (attachez vos ceintures) pas moins de 3.5 millions d'inscrits décédés, soit près du 1/3 de ceux qui ont été déclarés votants. Une fois re-re-re-réélu, le président tronquera le Palais d'El-Mouradia, par une résidence médicalisée sise à Zeralda, à partir de laquelle il agirait par « procuration » Bensalah pour les protocoles présidentiels, Sellal, Ould Khelifa, Messahel, chargés des représentations auprès des instances internationales. Boughazi, Benamar Zerhouni sont là pour lire les nombreux messages que nous adresse à nous peuple « en vrac » son Excellence. A côte de tout ce beau monde, il y a les Haddad, Saâdani, Sidi Said, Ghoul dont la mission consiste à faire l'éloge de la gouvernance ?Boutef' par la ?ghaita' faisant à la fois pitié et se démenant dans des habits qui ne sont pas les leurs.

2016: Mea culpa. ? L'article 74. Lorsque j'ai vu Ouyahia répondre à la journaliste de ?Chourouk news' qui lui mettra les barres sur les T, j'ai eu froid au dos. L'homme n'avait pas froid aux yeux et il lui répondait Mme, le verrou que nous avions alors fait sauté (seuls les voleurs font sauter les verrous), en 2008, nous l'avions fait à la demande du peuple souverain (quel peuple?) qui voulait que Si Abdelaziz rempile. Soubhane Allah ! Et alors, pourquoi remettre ce verrou maintenant ? Par amour du peuple ! J'en doute. Par esprit de plus de démocratie ? Par acquit de conscience (y aurait-il conscience?). Cette loi, ya Si El Moudir, vous vous en servez comme on se sert de torchons. Ah, pudeur quand tu nous fais défaut ! La raison de cette remise de verrou, je vous la donne, moi. Elle est simple. Le président ne se sent plus capable de rempiler, c'est juste s'il arrivera à bout de course. La voilà, la raison. Le retour à l'article 74 version « Zeroual » n'est-elle pas une revanche de l'histoire, contre tous ceux qui ont trompé le peuple. Au minimum, ils devraient se taire, au mieux suivre la voie tracée par un ?roumi', un ?kafer', Bérégovoy. Le retour à la limitation des mandats et la remise des pouvoirs au Premier ministre, sont la preuve que vous naviguez sans boussole. Cela suppose de facto que les 3ème et 4ème sont, foncièrement, illégitimes. Qu'il s'agit, bel et bien, d'un vol de la souveraineté populaire. Au sujet de l'indépendance de la Justice, cet amendement est tout juste le contraire de ce qui était promis. Le président est plus omniprésent que par le passé. Il ne lâche rien. Législatif, exécutif, judiciaire. Tout est à ses ordres. Il est, à la fois, le premier magistrat du pays (juge). Il nomme à tous les postes, du juge de première instance au président et vice-président du Conseil constitutionnel. Cette Haute cour constitutionnelle que nous voulions, nous, dans l'opposition, issue, exclusivement de Magistrats. La commission indépendante des élections, nous la voulions, totalement, indépendante de l'exécutif qu'il incarne et la composante, totalement, élue y compris son président. Nous sommes, donc, loin, très loin des promesses faites. Que de promesses non tenues ! Il l'avait annoncé consensuelle et elle est extrêmement unilatérale. Il la voulait profonde, elle n'y a pas plus superficielle. Il la promettait populaire (référendum) et la voilà demi-cratique. Nos frères Tunisiens et amis Bourkinabais ont été plus intelligents, plus courageux. Ils ont réussi. L'histoire retiendra que le pouvoir qu'il avait refusée, en 1994, et acceptée en 1999, après que le terrorisme fut vaincu et la paix retrouvée grâce aux hommes qui avaient accompagné le Président Lyamin Zeroual (1994-1999) qui dompta la bête ?terros', fait face aux pressions des pays amis frères et ennemis et ONG, fait face aux pressions du FMI, avec un baril à 8,75 dollars. Cette Algérie éternelle vaincra, mais elle ne pardonnera pas, à tous ceux et toutes celles qui ont participé, activement ou passivement, à la gabegie. La présente révision en est la preuve tangible.

* Membre de la Commission nationale de préparation et rédaction de la Constitution de 1996, Expert judiciaire, Cadre ?Jil Jadid'