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![]() ![]() ![]() Service public de santé : Le contrôle de présence, cette boîte de Pandore
par Farouk Zahi ![]() (Le plus grand conquérant est celui qui sait vaincre sans bataille.
Lao-Tseu)
Il est question ces temps derniers de pointage digital, ou d'émargement si on veut user d'euphémisme, à l'adresse des corps professionnels de santé, médical compris, exerçant dans les structures de santé hospitalières ou de proximité. Ce rêve, longtemps caressé par tous les gestionnaires des ressources humaines a, toujours butté sur une résistance, somme toute compréhensible. L'aura de la profession médicale auprès des autres corps professionnels risque d'être à jamais entamée. Le chroniqueur pour ne pas donner l'impression d'être un empêcheur de tourner en rond, a interviewé quelques personnalités du monde médical et dont l'expérience reconnue a été engrangée par plusieurs décennies de pratique. La première de ces personnalités, est Professeur chef d'un service hospitalo universitaire d'ORL, la deuxième est Professeur chef d'un service hospitalo universitaire de chirurgie viscérale et la dernière est Professeur chef d'unité hospitalo universitaire de chirurgie oncologique. Exerçant toutes les trois à Alger ou dans sa périphérie, elles ont toutes les trois, assez de recul pour porter un jugement ou du moins, une appréciation sur les maux qui rongent notre système national de santé. A la question : " Que vous inspire l'initiative qui instaure le pointage digital pour les professionnels de santé exerçant dans le secteur public ? ". La première personnalité, répond par cette assertion : «Voilà ce que m'inspire cette énormité pour compenser la mauvaise pratique dans nos hôpitaux et qui ne réglera en aucune façon la qualité de prise en charge des patients Quand bien même l'hirondelle ne fait pas le printemps, au sein du service que j'ai l'insigne honneur de diriger je n'ai jamais éprouvé la nécessité de traiter le personnel de mineur ou de non responsable. L'unique exigence, dans le contexte, sera l'activité avec des critères objectifs. En résumé, c'est l'évaluation quantitative et qualificative de la prise en charge des patients .Et pourquoi pas l'évaluation et le classement par spécialité des services et des hôpitaux ? Mais comme on dit, ça c'est une autre question !". Cette procédure, s'il elle venait à être mise en pratique, générera, sans nul doute, des tracas de tout ordre qui iront de la sanction du 1er degré, à la retenue sur salaire pour service non fait, aux sanctions du 2è ou 3è degré en cas de récidive ; le processus enclenché, ne pourra mener qu'à la récurrence. Aussi, le meilleur des contrôles d'assiduité, la ponctualité, elle, relève de plusieurs facteurs exogènes qui vont du dépôt des enfants à l'école, à l'encombrement routier, aux conditions climatiques à effets collatéraux, est la programmation d'activités avec évaluation en bout de chaine. Le désœuvrement conduisant à l'oisiveté n'est pas exceptionnel dans des lieux où on rentre comme dans un moulin selon cette vieille maxime. La maitrise des lieux et des personnels ne peut relever que de l'autorité de la chefferie directe, sans çà, c'est la bouteille à l'encre. Le chirurgien viscéraliste, va dans le sens plus large de la refonte du système national de santé, considérant que les demi-mesures, ne régleront en aucun cas le marasme ambiant. Il dira en ce sens : Sans concertation aucune, le ministère de la santé a décidé que désormais les hôpitaux et structures de santé de proximité vont fonctionner par brigades de 8 heures à 20 heures. Dans un grand nombre de polycliniques ces horaires sont déjà mis en application depuis quelques années. Dans les hôpitaux le personnel soignant obéit à différents types d'horaires selon la spécialité et les spécificités du service tout en maintenant un service 24h/24h et 7 jours sur 7 comme dans tous les pays du monde. Cependant, Il ne suffit pas d'une instruction pour régler le problème de la prise en charge des patients dans les structures de santé. Il ne suffit pas non plus de désigner le personnel soignant à la vindicte populaire en le menaçant du bâton (El matrag) ou en le forçant à un pointage (car absentéiste?!?) pour régler les problèmes de santé en Algérie , qui sont beaucoup plus complexes qu'un simple changement d'horaires de travail qui n'est d'ailleurs pas réalisable dans toutes les structures vu la pénurie aiguë en personnel paramédical et la pléthore ( dans les grandes villes) ou l'anarchie en personnel médical dans les structures de santé tant publiques que privées ". Le chirurgien oncologue estime, quant à lui, qu'il est des méthodes plus appropriées pour mesurer la performance d'un service et par conséquent celle des éléments qui le compose. " En ce concerne mon équipe et moi-même, dira-t-il, il nous arrive de prendre la vacation chirurgicale à 8h30 du matin, pour ne quitter le bloc opératoire qu'aux environs de 20 heures. Faut-il arrêter le geste curatif dès l'annonce de la fin du service réglementaire ? Il est connu qu'à travers le monde, le praticien médical «défonctionnarisé», est rétribué à l'acte, nous, nous le sommes au forfait. Faut-il pour autant fournir des prestations au forfait ? Tous les spécialistes émargent sur la même grille de salaire ; il n'est tenu compte ni de la spécificité, ni de la pénibilité des profils. La fonction du chirurgien est l'une des plus éprouvantes, les troubles d'ordre orthostatique ne sont pas sans conséquences sur son état de santé.» L'émargement digital projeté, touchera-t-il les spécialistes du service civil qui bénéficient de traitement de faveur que certains gestionnaires leur accordaient jusqu'ici ? Cette obligation, tant louée pour ses vertus dont la principale étant l'équité sociale entre les différentes régions du pays, est malheureusement dévoyée par ceux-là mêmes qui devaient en assurer le contrôle de l'accomplissement. Faute de mettre à la disposition des logements de fonction aux spécialistes, certains gestionnaires autorisent ces mêmes praticiens à n'assurer que quelques vacations de garde ou de consultation par semaine. Certains, même, organisent une sorte de rotation mensuelle pour qu'à chaque fois il n'y ait qu'un seul spécialiste de garde ; le reste des praticiens pourra vaquer à ses occupations. En regard de cette restriction forcée, on ne pratiquera que l'urgence ; la chirurgie dite" froide " est dirigée, sans vergogne, sur les structures médicales privées. Ce deal, pratiqué au vu et au su de tout le monde, est devenu une règle pour ne pas dire un droit acquis que des gestionnaires laxistes ont institutionnalisé au grand dam de la détresse des patients. Il est à noter aussi que dans la répartition territoriale de la ressource médicale spécialisée, des dissonances sont observées dans plusieurs structures affectataires. A ce titre, un établissement hospitalier couvrant une population de moyenne importance, peut avoir jusqu'à une dizaine de membres d'une même spécialité, mais pas un seul gynéco-obstétricien ou pédiatre. L'affectation par individualité a montré ses limites, il faut d'ores et déjà envisager l'affectation de staffs multidisciplinaires, à l'instar des missions médicales étrangères, pour une pertinente cohésion dans la prise en charge d'une majorité de pathologies prévalentes. Nous persistons à croire que seule l'évaluation chiffrée des activités per capita adossée à des objectifs de performance consensuellement arrêtés, sera à même de débusquer les tireurs au flanc et les absentéistes. Il faut, cependant, et à décharge de ces corps de santé décriés le plus souvent, reconnaitre la pénibilité de la tâche. Ils assurent, en dépit des menaces et voies de faits, une mission des plus ingrates dans des conditions, parfois défavorables. La phobie actuelle des staffs de garde est générée par ces hordes de délinquants qui investissent les lieux à la moindre rixe sanglante. Le personnel soignant est le premier à subir le courroux des accompagnateurs quand ce n'est pas celui des belligérants eux-mêmes. La problématique de l'absentéisme, n'est pas propre au secteur de la santé, elle participe d'un phénomène sociétal où l'individu placé dans des conditions où les choix décisionnels sur sa propre raison d'être lui échappent, réagit négativement et ira à compte courant de ce qui peut être admis comme administrativement juste. |
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