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Au bonheur des démons de la rive nord

par Tahar Benabid*

Les philosophes définissent le bonheur comme étant un état de satisfaction global intense, inscrit dans la stabilité et la durabilité. On s'accorde à dire que le bonheur de l'individu est lié à la réalisation de ses désirs, à l'atteinte de ses objectifs et aux joies et plaisirs que ceux-ci lui procurent. En somme, à chacun ses raisons de bonheur ; le pouvoir, la fortune, la réussite sociale, la célébrité et autres sont autant d'éléments qui peuvent y contribuer.

Selon Kant : «Le bonheur est un idéal de l'imagination et non de la raison». Il se trouve que certains, sans raison objective, ou pour motifs inavoués, connaissent la félicité dans la haine permanente de l'autre et le désir insatiable de faire du mal. La tolérance, l'égalité, la fraternité, la liberté, le vivre ensemble et autres valeurs humaines sont par eux jetés aux orties. Ils ont besoin de haïr, ils le veulent et ça les rend heureux.

La décadence politique et morale, conjuguée à l'impunité, a rendu la haine, le racisme, le fascisme et autres monstruosités, banales et confortables pour ceux qui les pratiquent. En particulier, les hargneux phraseurs, à qui la démence a mis la plume à la main et la parole à la bouche, qui officient dans les médias de Vincent Bolloré et consorts s'adonnent à un libertinage d'esprit haineux ahurissant. Sans la moindre retenue, les perroquets des plateaux de CNews, BFMTV et autres caisses de résonnance de l'extrême droite et du racisme se donnent à cœur joie à nous chanter le même refrain, à le répéter ad nauseam. A l'abri des génériques «grand remplacement», «identité française menacée », «laïcité française non observée» et autres subterfuges, ils se lancent, tels des charognards qui ne lâchent pas leur proie, dans le dénigrement et l'invective des étrangers.

Les journalistes et animateurs veillent au grain pour que des écarts de la partition, entendre de la ligne éditoriale, ne se produisent guère. Et gare à qui s'aventure à rompre la fastidieuse uniformité de la rhétorique et des bienséances d'usage au sein de cette coterie xénophobe. Ceux qui ont la hardiesse de contrarier la bonne pensante autorisée, en rappelant simplement des faits qui rétablissent des vérités dérangeantes, sont bannis de l'espace médiatique et livrés à la vindicte avec diligence et sans ménagement. Les gardiens du temple politico-médiatique, où bourdonnent sans cesse toujours les mêmes vils insectes, leur tombent dessus tels des guêpes que le miel attire. Et dire que cette engeance, donneuse de leçons, ne s'offusque point face aux dérapages et la flagrance des offenses faites aux africains, les arabo-musulmans en premier lieu. Insulter, dénigrer, stigmatiser ces derniers est devenu banal, une marque de patriotisme politiquement rentable. Quoi que cela puisse coûter aux autres, ils cherchent inlassablement à assouvir le désir de les stigmatiser, sans examen de conscience et sans remords, tels des misanthropes que le malheur d'autrui semble procurer de la jouissance.

Ils sont toujours aux aguets du moindre évènement impliquant des étrangers, attentifs au moindre délit commis par l'un d'eux, fût-il marginal ou anodin, pour en faire une affaire nationale, sciemment surmédiatisée. Pardieu, Il est ahurissant que des actes, quelque odieux qu'ils puissent être, d'une poignée de fanatiques ou de délinquants puissent aigrir des gens au point d'atteindre des degrés de haine et d'acerbité si élevés ? Hélas, c'est à ces sources que ces personnes rafraichissent et justifient la haine qui les habite. Ils sont de la sorte convaincus de trouver un support à leurs pernicieuses thèses, un socle à leur idéologie raciste. C'est aussi dans de tels registres qu'ils puisent les valeurs curatives à même de soulager leurs âmes atteintes de la maladie de la détestation et de l'infâme.Et ne voilà-t-il pas que des voix, toute honte bue, s'élèvent pour dénoncer le «racisme antioccidental». Rien que ça ! Il suffit pourtant d'un brin de bon sens pour comprendre que c'est le racisme occidental qui est naturellement payé de retour, l'arroseur arrosé dirait-on. Eh bien, c'est simple, pour la paix de tous il faut arrêter d'aboyer après les autres. Est-ce un vœu pieux ? Assurément oui, eu regard aux enjeux et calculs politiques dans lesquels la morale et les valeurs humaines n'ont point de place.

Des déchainés, qui se donnent pour intellectuels, analystes, penseurs et que sais-je encore - mais qui ont en réalité tout juste le génie qu'il faut pour leur art : le «vilipendage» - profèrent des infamies à longueur d'année pour rallier à leur nauséabonde cause l'opinion publique et étoffer ainsi leur carrière politique ou journalistique. Pour être, pour briller, ils passent le plus clair de leur temps à fustiger les étrangers. Ils ont fait du sujet de l'immigration leur faire-valoir existentiel. Et la chasse à tout ce qui peut représenter l'Islam est pour eux la mère de toutes les guerres. Leurs délirants discours séduisent bon nombre de citoyens français, les plongent dans l'oisiveté intellectuelle. La ritournelle abrutissante qui consiste à répéter sempiternellement que les immigrés, en particulier les africains et les musulmans, sont la source de tous les maux qui frappent la France a formaté les esprits au racisme.

C'est à croire que ces énergumènes sont le produit de semence du diable. De leurs écrits, de leurs faits et dires dégouline la haine qui renvoie l'image de leur nature diabolique. Nul besoin de les déconstruire, ils le font majestueusement d'eux-mêmes. L'insupportable aigreur qui suinte de leurs paroles et de leurs écrits en dit long sur la haine qui les habite. Englués dans leurs certitudes xénophobes, entichés de leurs exécrables préjugés, ils s'interdisent le moindre effort, la moindre bienveillance, pour découvrir l'autre, pour le comprendre. S'il leur arrive de l'entendre s'exprimer, ce n'est jamais avec l'intention d'écouter ce qu'il a à dire. Assurément, on n'a besoin de personne pour être ignorant. Sauf que l'ignorance peut excuser le ridicule, mais en aucun cas l'arrogance et la méchanceté. L'esprit forgé au rejet de l'autre, usant et abusant de sophismes apprêtés, ils cherchent par tous les moyens la bonne parade pour le contredire et le discréditer. En réalité, tout ce qu'ls veulent c'est le voir s'en aller ailleurs ; ils peuvent à la limite tolérer sa présence s'il renie ses origines, ses convictions et sa religion. Autrement dit, s'il souscrit à l'effacement de sa personne, de son histoire personnelle. Accepter d'être quelqu'un d'autre, ou le vouloir, c'est se condamner à ne plus rien être. L'avilissement est assuré pour qui s'y résout. A méditer la citation de Charles Evans Hugues, ancien secrétaire d'Etat américain : «quand nous perdons le droit d'être différents, nous perdons le privilège d'être libres».

Il est à croire que le seul sentiment qui fait battre le cœur des fachos de droite et ses extrêmes est la haine des immigrés, les musulmans en particulier. Je présume que s'ils n'en voyaient plus dans leur environnement, le temps se figerait pour eux dans la morosité et la désolation ; ils perdraient alors leur raison de vivre. Bruno Retailleau, régulièrement sous les feux de la rampe depuis son entrée au gouvernement, se distingue en la matière par une virulence inouïe, en particulier envers l'Algérie et les algériens, devenus pour lui une obsession maladive. Il se prend pour le défenseur de l'honneur de la France, un rang qu'il pense devoir être le sien, c'est-à-dire le mieux placé pour gouverner la nation française et affirmer sa grandeur. En cela, il est concurrencé par Éric Zemmour, Marine Le Pen et leurs compères.

Pour gonfler leur pedigree, en perspective des joutes électorales, notamment la présidentielle française de 2027, ces venimeux opportunistes ont fait de la stigmatisation des immigrés et de la haine de l'Algérie leur fonds de commerce politique, la colonne vertébrale de leur programme. A rappeler que depuis son indépendance, l'Algérie a toujours été présente dans le débat politique en France, notamment comme sujet de compagne pour l'extrême droite et les nostalgiques de l'Algérie française. A ce propos, l'ancien ministre de la justice de France (1901-1991), Louis Joxe, disait : «l'Algérie leur monte à la tête».Aux mensonges se conjuguent les diatribes, les stéréotypes dégradants et autres insanités. On se bouscule aux enchères du dénigrement. On braille, qui mieux mieux, des refrains qui se succèdent et se ressemblent. Semblables par leurs discours haineux, bien que farouches adversaires politiques, ils mangent au même râtelier : la xénophobie. Ils se critiquent, se détestent même, mais s'attirent pour former le bloc à croquer de l'étranger. L'écrivain et philosophe français Denis Diderot disait, à juste titre : «Tous les gueux se réconcilient à la gamelle».C'est dire que la haine, tout comme l'amour, unit les êtres. Par une sorte d'instinct grégaire, ils se lancent dans une course à l'échalote où chacun craint d'être dépassé par l'autre dans le leadership des défenseurs de l'honneur de la France et de ses valeurs ainsi que de sa protection contre les envahisseurs étrangers. L'agitation de ces «pères la morale», dépourvus de morale, qui vivent dans l'abstraction de l'humanisme, appelle une légitime interrogation : Peut-on prétendre défendre l'honneur lorsqu'on passe son temps à piétiner celui des autres ? Et qu'en est-il dès lors que l'on n'en a même pas soit même ? Ce qui n'est pas étonnant à vrai dire car le racisme déshonore de fait et condamne de jure son locataire. Acculés par la réalité du terrain, par l'éloquence des statistiques officielles sur l'immigration, ils usent de pirouettes et autres élucubrations délirantes, révélatrices de la profondeur de leur mauvaise foi, pour tromper l'opinion publique et chauffer à blanc les adeptes de leur idéologie. Les plus radicaux parmi ces derniers, guidés par la forte émulation que leurs gourous suscitent en eux, balancent dans la violence extrême.

L'affaire de l'abominable assassinat du jeune malien, Aboubakar Cissé, dans une mosquée du Gard, est une illustration de cet état d'esprit hypocrite, fourbe, discriminateur et fauteur de troubles. Ce n'est qu'après deux jours que Retailleau ait daigné, forcé par sa fonction gouvernementale, se déplacer, mais sans se rendre sur les lieux du crime. Une latence et un mépris inacceptables moralement et politiquement pour un ministre en charge de la sécurité intérieure et du culte. Mal à l'aise, décontenancé par la question d'un journaliste de BFMTV, Retailleau a voulu justifier le manquement à son devoir par le fait qu'il ne disposait pas d'assez d'informations sur le sujet. Argument fallacieux et mesquin, qui confirme par ailleurs le deux poids deux mesures appliqué quasi-systématiquement aux souffres douleur du système. Il convient de souligner que le meurtre d'Aboubakar Cissé, et bien d'autres avant lui, est le fruit du climat de haine et d'islamophobie, cultivé, entretenu et répandu depuis des décennies ; amplifié ces dernières années par Retailleau, Zemmour et consorts, incapables de compassion, même feinte comme savent bien la jouer les politiques. Obnubilés par leur confort matériel, le cœur sous les pieds et l'âme pleine de haine, les racistes semblent toujours heureux dans leur inhumanité.

Ils pensent atteindre leur félicité en mettant hors de vue les étrangers, qu'ils accablent de tous les maux. Je voudrais leur dire éclipsez-les si vous en avez le pouvoir, et grand bien vous fasse si vous êtes convaincus de n'avoir besoin de personne, d'être éternels, d'être pour la vie à l'abri du besoin, de la maladie et autres malheurs de ce bas monde. Pardi ! Est-il besoin d'être grand érudit pour savoir que le vrai bonheur est celui qu'on partage. Aussi, et surtout, c'est entourés des autres que l'on supporte mieux le malheur, que l'on trouve le réconfort. Cette phrase, tirée du livre Candide de Voltaire, devrait donner à réfléchir aux gens repliés sur eux-mêmes, ce qui est généralement le cas des racistes en occident où l'individualisme règne : «Les chagrins secrets sont encore plus cruels que les misères publiques». Et puis, je me demande quelle sorte de plaisirs les inquisiteurs des étrangers tirent-ils de leur pathologie raciste ?

Dire ou écrire ce qu'on pense est un privilège des hommes libres. Hélas, cette précieuse liberté est corrompue par le parti pris de l'establishment mediatico-politique, dominé par les fascistes de l'extrême droite et leurs supplétifs de droite, qui ne tolère point de débat contradictoire. En roue libre, il valide, propage et normalise la haine des étrangers, des musulmans en particulier. Il inocule ainsi à des pans entiers de la société française le racisme et l'islamophobie. La discrimination fait rage, ulcère, dépite profondément les étrangers et les français d'origine non occidentale ou de confession musulmane. Elle les pousse au repliement et au communautarisme ; issue fatale chargée de ressentiment, de discorde et de division. Une situation dont les conséquences sur la paix et la tranquillité des citoyens sont toujours à craindre. Est-il besoin de rappeler que les conflits sociaux, la violence intercommunautaire, voire les guerres civiles, naissent toujours de la même manière : La promotion des discours haineux et racistes, d'essence incendiaires.

Le système républicain démocratique, dont on se fait les chantres sur la rive nord de la méditerranée, théoriquement construit sur l'universalité, sur le principe de l'égalité et du vivre ensemble, est mis à mal par une horde de xénophobes irresponsables, dont le principal souci est la gestion de leur carrière. Il se déconstruit et n'arrive plus à cacher sa face hideuse. Je ne sais si, à tout prendre, les pédants énergumènes qui crachent les feux de la haine se rendent compte du mal qu'ils font à la société qu'ils prétendent servir et défendre, mais je suis convaincu qu'ils sont prêts à tout pour assouvir leur désir de gloriole. Tant valent les idées et principes d'une personne, tant elle vaut. Lorsque le mauvais génie préside pleinement aux sentiments et aux actes de ses sujets, il les conduit inéluctablement au «bonheur des démons». Et c'est aux chapitres les plus exécrables de l'histoire qu'ils seront cités. Pour finir, je voudrais dire à Zemmour, Retailleau, Le Pen et leurs compères : Vous êtes trop lourds de haine et d'indigence, tant politique qu'intellectuelle, pour prétendre vous élever au rang des grands dirigeants ; vous êtes peut-être juste bons pour la pantomime. Crachez donc votre venin, crachez à votre aise ; vos funestes projets seront inéluctablement perdus en discours barbants. A de vains aboiements puissent-ils s'arrêter ! Ameen !

*Professeur