Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'Algérie face aux fantasmes de l'extrême droite française: Driencourt ou le retour du paternalisme colonial

par Salah Lakoues

Par sa tribune publiée le 5 mai 2025 dans Le Figaro, Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger, franchit un cap. En accusant la communauté franco algérienne d'être une « cinquième colonne » et en suggérant de « revenir sur les Accords d'Évian », il ne se contente pas d'une provocation diplomatique : il se positionne clairement comme le diplomate de réserve de l'extrême droite, le candidat rêvé du Rassemblement National au Quai d'Orsay.

Depuis plusieurs années, Driencourt multiplie les prises de position au vitriol contre l'Algérie et les Algériens. Son ouvrage France-Algérie, le double aveuglement est une longue lamentation néocoloniale, nourrie de nostalgie impériale et de ressentiment post événementiel. Il n'y analyse pas l'histoire : il la réécrit. Il ne propose pas une réconciliation : il exhume les vieux fantasmes de l'Algérie française. Mais ce que Driencourt et ses soutiens identitaires ne comprennent pas - ou feignent d'ignorer - c'est que les Accords d'Évian ne sont pas un compromis honteux signé par une France affaiblie. Ils sont l'aboutissement d'une victoire politique, militaire et diplomatique du Front de Libération Nationale (FLN), qui, après plus de sept ans de lutte acharnée, a contraint la France coloniale à céder.

Les accords reconnaissent l'indépendance totale et irréversible de l'Algérie. Les remettre en cause, c'est réactiver l'illusion d'une revanche postcoloniale. C'est une insulte aux millions d'Algériens qui ont combattu et aux Français qui ont accepté la fin de cette guerre au prix du sang. Lorsque Driencourt évoque la possibilité de « réexaminer les clauses d'Évian », il envoie un message dangereux : la souveraineté algérienne serait toujours négociable. C'est une déclaration de guerre symbolique à la mémoire de la lutte anticoloniale. Un tel discours, s'il venait à orienter la politique étrangère française, mettrait en péril non seulement les relations bilatérales, mais aussi l'image de la France dans l'ensemble du Sud global, où l'Algérie demeure une figure centrale du combat pour l'émancipation.

Ce positionnement s'inscrit dans une stratégie plus large : instrumentaliser la relation franco-algérienne à des fins électorales, flatter les franges les plus xénophobes de l'opinion française, et transformer les citoyens franco-algériens en boucs émissaires d'un récit national crispé et identitaire. L'idée même d'une « cinquième colonne » rappelle les rhétoriques antisémites des années 1930 ou celles utilisées contre les résistants pendant la guerre d'Algérie. Le vocabulaire choisi n'est pas innocent. Il prépare les esprits à une politique de rupture violente, d'exclusion, voire de purge symbolique. Mais ce projet se heurtera à une double résistance : celle des Algériens, qui refuseront toute atteinte à leur dignité et à leur souveraineté, et celle de tous les Français - d'origine algérienne ou non - qui savent que la paix ne se construit pas sur l'oubli, encore moins sur la haine.

La France ne pourra renouer avec son avenir qu'en respectant pleinement son passé. Ceux qui veulent abroger les Accords d'Évian rêvent d'un retour en arrière que ni l'histoire, ni les peuples, ni la justice n'autoriseront.

Mais au-delà de l'agressivité diplomatique, il y a chez Xavier Driencourt une forme de paternalisme grotesque, presque colonial, qui frôle le ridicule. Il rêve d'une Algérie gouvernée selon ses élucubrations personnelles, d'un système algérien fonctionnant à l'image de ses nostalgies d'ambassadeur à Alger : des dirigeants obéissants, des diplomates modelés à coups de « bons points » et de faveurs, comme si les relations internationales se réglaient encore au salon, entre maîtres et subalternes.

Dans sa vision déformée, chaque ambassadeur algérien devrait se comporter selon le degré de sympathie que lui accorde Paris, et les responsables algériens ne seraient fréquentables que s'ils se montrent dociles. Dès qu'un responsable défend légitimement les intérêts souverains de l'Algérie, Driencourt et ses semblables l'étiquettent aussitôt « anti-français ». Cette réduction binaire, infantilisante et insultante nie toute autonomie politique au partenaire algérien.

C'est là tout le drame de cette droite extrême : elle ne supporte pas que l'Algérie pense par elle-même, qu'elle parle d'égal à égal, qu'elle critique, qu'elle affirme sa vision du monde. Ce n'est pas l'hostilité qu'ils rejettent, c'est l'insoumission. Car pour eux, l'Algérie doit rester dans une relation de dépendance symbolique, affective et politique.

Mais cette époque est révolue. L'Algérie du XXIe siècle est debout, elle n'a de leçon à recevoir de personne, surtout pas de ceux qui rêvent de lui rappeler en permanence le joug d'hier. Quant à l'armée algérienne, c'est un autre point d'aveuglement total chez Xavier Driencourt. Il ne pourra jamais comprendre sa nature profonde, parce qu'il raisonne avec les catégories héritées d'un monde colonial révolu. Il imagine l'armée algérienne comme une institution autoritaire classique, calquée sur des modèles étrangers, voire manipulable depuis l'extérieur. Or l'Armée nationale populaire (ANP) est une exception historique, née du peuple, et non d'un putsch, d'un clan ou d'une caste militaire.

L'ANP n'a pas été créée pour défendre un pouvoir, mais pour défendre une nation conquise de haute lutte contre l'oppression coloniale. Elle est l'héritière directe de l'Armée de libération nationale (ALN), elle-même issue des maquis, des paysans, des intellectuels, des ouvriers, des jeunes militants. Ce sont des civils insurgés, porteurs d'un idéal d'indépendance, qui ont forgé cette armée dans les montagnes, dans la douleur, dans la dignité.

Driencourt et ses semblables ne peuvent que dénigrer cette histoire, parce qu'elle rappelle la défaite politique, morale et militaire de la France coloniale. Ils refusent de reconnaître que cette armée-là n'est pas une armée de conquête, mais de libération. Elle n'obéit à aucun agenda néocolonial, elle ne se prête pas aux jeux d'influence de chancelleries étrangères. Et c'est précisément ce qui dérange.

Ce qu'ils voudraient, c'est une armée algérienne soumise, réceptive aux injonctions de l'étranger, prête à sacrifier la souveraineté nationale pour une poignée de contrats ou de

flatteries diplomatiques. Ce n'est pas le cas, et ce ne le sera jamais. Car en Algérie, l'armée fait corps avec le peuple, elle porte dans ses fondations la mémoire vive du combat anticolonial, et elle demeure l'un des piliers de l'indépendance nationale. Ce que Xavier Driencourt et ses alliés d'extrême droite refusent aussi de voir, c'est que la priorité du peuple algérien n'est ni dans la nostalgie coloniale ni dans les polémiques diplomatiques stériles, mais dans le développement économique, social et humain. L'Algérie avance selon ses propres choix, avec ses contradictions et ses défis, certes, mais avec la volonté populaire claire de bâtir un État de droit, une économie moderne et une société inclusive.

La démocratie ne s'impose pas de l'extérieur, encore moins par des leçons de donneurs d'ordres, surtout quand ces derniers soutiennent des forces en Europe qui sont les premières à piétiner les libertés, à promouvoir le racisme institutionnel, à criminaliser la solidarité. Dans un monde traversé par des tensions géopolitiques aiguës, nous vivons une phase de régression démocratique mondiale, où même les vieilles démocraties trahissent leurs principes.

Dans ce contexte, l'Algérie résiste à sa manière, consciente que la démocratie véritable ne peut émerger que d'une base solide : une jeunesse éduquée, des régions désenclavées, une économie productive, un dialogue national libre. Tout cela est incompatible avec le modèle de soumission implicite que certains voudraient lui imposer. Le peuple algérien n'a pas renversé l'ordre colonial pour accepter d'en devenir le supplétif à l'ère néocoloniale.