|
![]() ![]() ![]() L'importance d'un leadership africain en matière de géoingénierie
par Saliem Fakir1 Et Shuchi Talati2 ![]() CAPE
TOWN/WASHINGTON, DC - Alors que les catastrophes climatiques se multiplient et
s'intensifient, l'intérêt ne cesse de croître autour de la modification du
rayonnement solaire (MRS), un ensemble d'interventions à grande échelle visant
à abaisser les températures mondiales en augmentant la quantité de lumière
solaire réfléchie par la Terre. Si les risques et avantages de la MRS demeurent
évidemment incertains, c'est une raison de plus pour élaborer une approche
politique réfléchie concernant ces technologies de géoingénierie
émergentes et controversées.
Cela vaut particulièrement pour l'Afrique, où les efforts en matière de MRS pourraient entraîner d'importantes conséquences économiques et sociales, et détourner l'attention ou les financements au détriment d'autres priorités urgentes, telles que l'amélioration de l'accès à l'énergie et le soutien à une transition juste. Il est nécessaire que les dirigeants politiques et universitaires du continent veillent à ce que les discussions relatives à la MRS en Afrique soient guidées par un ensemble de principes qui placent l'accent sur la transparence, sur des décisions éclairées, et qui mettent en lumière les préjugés, les dynamiques de pouvoir ainsi que les failles de gouvernance qui entourent cet outil potentiel. Les recherches relatives à la MRS en sont encore à leurs balbutiements, et se concentrent principalement sur la modélisation ainsi que sur les expérimentations à petite échelle. L'option la plus étudiée réside dans l'injection d'aérosols stratosphériques (IAS), qui consiste à libérer d'importantes quantités de particules de soufre dans la couche supérieure de l'atmosphère. Il a en effet été observé que les éruptions volcaniques - l'équivalent naturel de ce procédé - conduisaient à une diminution des températures. Les potentiels risques environnementaux et socioéconomiques associés à l'IAS, notamment son impact sur les précipitations ou la santé humaine, demeurent cependant méconnus. Compte tenu de cette incertitude, il est nécessaire que les dirigeants africains œuvrent pour une approche transparente et équitable en matière de gouvernance et de recherche autour de la MRS. Cela signifie avant tout reconnaître l'existence d'une dynamique de pouvoir asymétrique entre ceux qui financent la recherche dans ce domaine et ceux qui s'efforcent d'en accroître la surveillance. Ce fossé ne fera que se creuser si les États, les ONG et les organisations philanthropiques continuent d'ignorer le fait que des entités du secteur privé commencent à développer la MRS. Sans une pleine compréhension des implications de cette technologie, les autorités publiques ne seront pas prêtes à instaurer des règles claires concernant ses expérimentations et ses déploiements potentiels, ce qui pourrait conduire à une mise à l'écart des pays et des communautés vulnérables face au climat, lesquels risqueraient de subir l'essentiel des possibles conséquences négatives. C'est d'ores et déjà le cas dans une certaine mesure. Depuis une vingtaine d'années, les acteurs des pays du Nord - partisans comme détracteurs de la MRS - sont dominants dans ce domaine. Bien que les efforts fournis par les pays du Sud pour mener de nouvelles recherches et déterminer leurs perspectives politiques soient encourageants, ils demeurent insuffisants. Pour dépasser les formes coloniales d'interaction, il est essentiel de faciliter le partage des connaissances, plutôt que de chercher à obtenir des résultats prédéterminés. Les pays du Sud peuvent et doivent tracer un chemin responsable vers la gouvernance de la MRS, tout en veillant à ce que l'atténuation et l'adaptation demeurent une priorité de la politique climatique mondiale. Les gouvernements africains sont parfaitement conscients de la difficulté d'établir un équilibre entre les investissements liés au climat et le développement économique. Prisonniers d'un cycle de surendettement, nombre d'entre eux peinent à retrouver une stabilité budgétaire, à financer des mesures contracycliques pour positionner leur économie sur une trajectoire plus durable, ainsi qu'à s'adapter à une menace climatique croissante. L'une des principales inquiétudes des parties prenantes africaines réside en ce que les questions sont plus nombreuses que les réponses s'agissant des conséquences de la MRS - ce qui soulève des interrogations quant à savoir si ses effets seront en fin de compte utiles ou dommageables. Dans le même temps, la MRS risque de détourner des ressources au détriment d'autres investissements plus susceptibles de favoriser la croissance économique et le développement à long terme. Plusieurs discussions organisées par l'African Climate Foundation et l'Alliance for Just Deliberation on Solar Geoengineering ont abouti à un grand nombre de conclusions similaires, notamment à la nécessité que la MRS n'aggrave pas les inégalités, qu'elle ne compromette pas l'action climatique, et qu'elle fasse l'objet d'une gouvernance adéquate. Ces réunions ont également mis en évidence l'impératif d'un meilleur partage des informations ainsi que d'un renforcement des capacités des États, de la société civile et du monde universitaire en Afrique s'agissant de la MRS, dans la mesure où de nombreux dirigeants du continent ne connaissent encore pas suffisamment ces technologies. L'élaboration d'une stratégie climatique efficace - qu'il s'agisse d'accélérer l'adoption des énergies renouvelables, de décarboner l'industrie ou d'explorer de manière responsable des technologies controversées telles que la MRS - nécessite une connaissance approfondie du sujet en question, permise par le dialogue multipartite et la participation citoyenne, éléments essentiels de toute stratégie en matière de géoingénierie. En lieu et place d'une simple argumentation pour ou contre la MRS, ces efforts doivent se concentrer sur l'obtention de divers points de vue et de contributions locales, en favorisant une plus grande transparence et des discussions autour des risques potentiels, ainsi qu'en plaçant l'accent sur le fait qu'aucune technologie ne constitue une solution miracle. Bien que les pays africains soient confrontés à des défis plus urgents que la MRS, il est important que les dirigeants politiques et acteurs du continent se préparent davantage à s'impliquer dans ce domaine en pleine évolution. L'élaboration et la gouvernance de la MRS joueront un rôle majeur dans la détermination de l'impact de ce procédé, et le développement d'une compréhension nuancée de ces technologies naissantes en Afrique peut guider les décisions à long terme. Le réchauffement climatique s'accélérant, l'exploration de la MRS aux niveaux régional, national et local sera essentielle à la création d'un écosystème de géoingénierie solaire inclusif, transparent et responsable sur le continent. 1- Fondateur et directeur exécutif de l'African Climate Foundation 2- Fondatrice et directrice exécutive de l'Alliance for Just Deliberation on Solar Geoengineering |
|