|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Ile ou continent, l'Australie
?
«Le sol sous mon sac de couchage était dur et bosselé. J'essayai de compter les étoiles autour de la croix du Sud, mais mes pensées me ramenaient sans cesse à la réalité du voyage. Comment suis-je arrivé au cœur des monts Uluru, au territoire sacré des Aborigènes (Les Anangas), à 450 kilomètres d'Alice Springs et à 2.500 km de Sidney ? Cela commence par le supplice de plus de 20 heures d'avion. Une première étape d'une endurance particulière. Films, lectures, repas, collations, n'arrivent pas à atténuer le temps. Rivé, sanglé au fauteuil, les pieds coincés, alignés, j'étais prisonnier en l'air. Paris, point de départ fut l'occasion de faire le plein des journaux et revues. La lutte contre la montre est engagée. Munich, première escale de deux heures, juste le temps d'arriver au terminal II par le petit train. Le vol va planer pendant des heures et des heures sans pouvoir le suspendre. Le temps est impérial, ne se négocie point, navigue selon sa conjoncture, m'abandonnant à mes lectures, et mon nouveau rêve. Je tentais de capter des moments magiques à travers le sourire des hôtesses triées sur le volet ou le feulement des réacteurs. L'inconnu subjugue, envoûte et vous transpose vers l'extase d'un état de grâce. La musique intérieure s'harmonise avec la joie et la voltige au ciel. Un effet sublime dans un écrin cotonneux au-dessus des nuages s'épanche. Mon cœur, pétri de références ethniques, se mue vers les déliquescences éthérées de la nouveauté. Visiter une des plus vieilles ethnies, 24.000 ans avant J.-C. est le top des visites anthropologiques (classé patrimoine mondial). La parution est connue, la rengaine entendue, et pourtant c'est vrai ! Les Aborigènes avaient une philosophie fondée sur la terre. C'est la terre qui donnait vie à l'homme et qui lui fournissait sa nourriture, sa langue et son intelligence, et c'est elle qui le reprenait lorsqu'il mourait. Le «pays» de tout homme, même s'il ne s'agissait que de lopin vide, couvert de spinifex, l'herbe porc-épic, une icône sacrée à laquelle aucune blessure ne devait être infligée. Oui, aucune blessure qui veut dire pas de plaie d'une mine ou de voie ferrée? Blesser la terre, c'est se blesser soi-même. Le pays doit rester vierge comme il était au temps du Rêve, à l'époque où les ancêtres amenèrent le monde à l'existence en chantant. Les Aborigènes parcouraient la terre d'un pas léger tout en chantant. Ils tissaient des lignes sacrées tout autour du grand rocher d'Uluru. C'est le territoire des Anangas. Ils n'ont jamais compris pourquoi les missionnaires interdisaient leurs sacrifices innocents. Ils ne tuaient aucune victime, animal ou homme. Au contraire, lorsqu'ils voulaient remercier la terre de ses bienfaits, ils se fendaient simplement une veine de leur avant bras et laisser leur sang éclabousser le sol. Je suis venu en Australie, appelé «Aussie» par ses habitants, pour tenter d'apprendre par moi-même et non pas par les livres et les revues touristiques ou publicitaires. Je ne pourrais pas aller au fond des choses, cela d'ailleurs n'entrait pas dans mes intentions, car je n'étais candidat à aucune thèse de doctorat ou une recherche sponsorisée. J'étais un électron libre guidé par ma curiosité et le journal «Le Quotidien», évidemment avec quelques bases anthropologiques distillées par l'université de Montréal. Le langage à base d'anglais, est légèrement écourté par la prononciation, un peu comme le sling américain (barbie pour barbecue, cheers pour merci, roo pour kangourou, etc.). Ce qui fait l'unité de ce pays, ce n'est pas sa terre, c'est sa population, son mode de vie. Les Anglais développèrent une certaine idée de la civilisation, fondée sur le travail. Les Australiens inventèrent en plus celle du plaisir de vivre ! A plus de 20 heures de vol de la vieille Europe, l'île continent, grande comme 14 fois la France, dégage depuis quelque décennies un fort pouvoir d'attraction. Ceux qui en reviennent (notamment les étudiants munis du permis vacances travail) chantent tous les mêmes louanges : état d'esprit positif, mode de vie cool et rythme équilibré, cadre enchanteur, rapport à la nature très puissant et sincère, population ouverte souriante et sportive?Bref une authentique qualité de vie. Tels sont les fondamentaux de l'Australie, way of life. Qu'y a-t-il de comparable entre les plages dorées de la côte, les terres rouges et désertes de l'outback (dehors et derrière c'est-à-dire partie reculée), les sublimes lagons turquoise de la grande barrière de corail et les impénétrables forêts humides qui s'étirent le long de la côte, entre l'étonnante modernité des grandes villes (opéra de Sidney et le musée de Melbourne) et l'isolement du bush ? Pas grand-chose à vrai dire. Chaque registre est attrayant et enrichissant. Face à ce continent trop grand et trop sec, la population se concentre, si l'on peut dire, dans les croissants fertiles où règne un climat tempéré. Ces croissants représentent environ 10% de l'espace australien, les pluies sont supérieures et la terre féconde. Partout ailleurs, c'est le grand vide, le bush (la brousse) le pays des immenses stations d'élevage ou des campements miniers. L'Australie utile, l'écoumène, correspond toujours aux plaines et aux collines littorales. Les villes sont immenses, à l'image du continent. Ce sont des océans de faubourgs et de banlieues où la maison individuelle règne, de plus en plus coquette, avec ses toits de tuiles rouges, son barbecue, sa piscine au milieu de la pelouse. Le rêve de la classe moyenne s'accomplit. C'est la présence de la nature qui fait le charme des villes australiennes. Les parcs boisés, les collines laissées en nature vierge, les auréoles de verdure créent un deuxième espace toujours omniprésent. Les kangourous viennent le soir observer les humains. Une faune née de millions d'années de solitude L'isolement dont a bénéficié l'Australie durant cent cinquante millions d'années et l'absence de grands carnassiers en ont fait un sanctuaire. Ornithorynques (mammifère amphibie) dingos (chien introduit), émeus ou kangourous, ailleurs disparus, continuent d'y prospérer. En Australie, il y a plus de kangourous (40 millions que d'Australiens (18 à 20 millions). Un kangourou peut mesurer 2,50 mètres et peser 70 kilos. Il se déplace par bonds de plus de 10 m quand ils fuit un danger. Sa vitesse dépasse alors 50 kilomètres à l'heure. Le koala, marsupial herbivore, vit dans les eucalyptus. Presque exterminé au début du siècle, il est aujourd'hui protégé. Né minuscule (2 cm) il passe ses six premiers mois dans une poche sur le dos de sa mère. D'ouest en est, 5.000 kilomètres Ce pays n'est pas fait pour les coureurs à pied. Les distances entre les villes sont trop longues 500 km et plus. Pas de villages mais des habitants éparpillés et de temps en temps à un croisement, une station-service ouverte jour et nuit. Elle fait office d'épicerie-poste-restaurant-pub-motel-quincaillerie. Une sorte de caverne d'Ali Baba où l'on trouve de tout (fiancée comprise au pub). On a une impression de vivre au temps des cow-boys. En plein nuit, à 2 heures du matin, tu ne discerne pas grand-chose. De l'état zombie à la nuit sombre, entrecoupée d'Aborigènes ébènes tu ne vois que du bleu. Question couleur on est gâté, car dans la journée tout est mêlé dans une poussière rouge. Pour couronner le tout, après la pluie nous avons droit à un arc-en-ciel qui nous permet d'accrocher nos espoirs. Les Australiens bien futés ont trouvé le moyen de traverser les longues distances en train-road, c'est-à-dire, en camion qui traîne trois remorques mesurant 50 mètres sur 62 pneus coûtant chacun plus de 200 dollars australiens. Lorsque ces road-trains nous croisent avec un chargement de 600 moutons, ils laissent une odeur différente que larguent les belles femmes en réceptions mondaines. A une agglomération perdue dans le bush (Pedy) sur l'axe Adelaide-Darwin, j'ai rencontré un fermier d'une trentaine d'années qui se délasse devant un joug-boxe, me confie qu'il nourrissait 6000 moutons et labourait une terre qui s'étend bien au-delà de l'horizon. En août quand il tond ses bêtes, un vrai champion ; deux minutes trente par tête et trois cents par jours ! Il sait garder la laine immaculée et ne blesse jamais un mouton. Le village d'Alice Springs est située en plein centre de l'Australie et du bush. C'est aussi le territoire des Aborigènes Anangas. Il s'étend du désert de Simpson aux confins des déserts de Victoria, de Gibson et de Tanami. Ces territoires reculés (out-back) sont peuplés de rêves et de mythes aborigènes. Ces derniers évoquent d'étranges ancêtres et des terres bien-aimées où les esprits, les animaux et les hommes, vivent en harmonie sous les étoiles. Le gros rocher, un monolithe géant de 348m de haut et 10 kilomètres de circonférence, Uluri, en est le centre. Plus loin, les Kata Djouta (têtes nombreuses) complètent le circuit du pèlerinage des Anangas et des touristes. La zone est infestée de Land Rover et de voitures de piste. Des campings sauvages sont installés autour de c'est là qu'ils font monter la fièvre aux touristes en les laissant croire à un rapprochement d'idées par le truchement de la nature. Dormir sous la voûte céleste, s'ébrouer le matin de bonne heure se lavant en ligne d'un jerrycan est loin des habitudes de cocon de chez soi. Le touriste aime le changement et l'exotisme. C'est un peu notre Hoggar ou notre Tassili qui sont plus spectaculaires et dépourvus de toute mythologie. |
|