|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Le célèbre
linguiste et philosophe américain Noam Chomsky,
invité à Paris le 30 novembre dernier par l'international society of philology pour une remise de prix, s'est vu refuser la réception
à l'Assemblé nationale, où par ailleurs une rencontre avec les parlementaires
socialistes était prévue en marge de la cérémonie. L'association a été informée
à la dernière minute que l'invité ne pouvait recevoir le prix au Palais
Bourbon. Les raisons restent inconnues. Les députés socialistes et la
présidence de l'Assemblé s'accusent mutuellement. C'est finalement au centre
Wallonie-Bruxelles que la cérémonie a eu lieu.
L'évènement a été passé sous silence par les médias. Le journal Huffpost rapporte que l'annulation était due notamment aux opinions polémiques de Chomsky, je cite : « »On a finalement décidé d'annuler la rencontre avec le groupe socialiste, compte tenu de certaines déclarations polémiques que Noam Chomsky a tenues, notamment sur Ben Laden», nous explique-t-on. Il est vrai que l'homme a versé ces dernières années vers le complotisme ou a pris la défense de négationnistes au nom de la liberté d'expression. Des positions pas du tout faciles à assumer du côté des parlementaires socialistes. » Pour commencer, les « déclarations polémiques » de Chomsky sur Ben Laden se résument tout simplement à dire qu'il existe une procédure légale à suivre en cas de capture de criminels : les introduire en justice au lieu de les vaporiser. Le célèbre procès du nazi Eichmann en Israël vient à point nommé. Quant à l'accusation de négationnisme, il s'agit d'une prétendue préface que l'auteur n'a jamais écrite. Il s'agit uniquement d'une pétition signée pour défendre la liberté d'expression. Comme l'explique Jean Bricmont dans un article publié en 2001 dans Le Monde Diplomatique, la seule erreur de Chomsky a été de donner un texte dans lequel il défendait la liberté d'expression à un ami d'alors, Serge Thion, lui permettant de l'utiliser à sa guise. Ce dernier l'utilisa comme préface du mémoire publié pour défendre Faurisson. Chomsky a rappelé plusieurs fois qu'il ne voulait pas voir son texte publié à cet endroit et qu'il chercha même à l'empêcher sans y parvenir. Chomsky avait signé la pétition sans savoir de quel livre il s'agissait. Pour lui, toute personne a le droit de s'exprimer selon le principe universel des Lumières que la phrase de Voltaire résume si bien « Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire ». Ceci a fini par déclencher une campagne de haine et de diffamation contre le philosophe en l'accusant notamment d'antisémitisme et de négationnisme. Il faut noter aussi qu'il existe une grande différence entre la conception française et la conception américaine de la liberté d'expression. Aux Etats-Unis, comme le souligne Chomsky, lorsque le parti nazi appelle à une parade dans des quartiers à majorité de citoyens d'origine juive ou africaine, l'American Civil Liberties Unions, qui rassemble de nombreux militants antifascistes, porte plainte devant les tribunaux si la manifestation est interdite. Pour mieux comprendre, j'ai décidé de contacter le professeur Noam Chomsky et il m'a répondu, faisant preuve d'une grande modestie. Professeur Noam Chomsky, que pensez-vous de cet incident à Paris ? Je ne sais pas ce qui s'est exactement passé à Paris, mais quoi qu'il en soit, je ne dirais pas que c'est une opinion très partagée en dehors des cercles de l'élite parisienne. Ces accusations dont vous faites l'objet ne sont pas nouvelles, largement véhiculées par des cercles d'intellectuels parisiens. Il s'agit entre autres de la prétendue préface que vous avez faite au livre de Faurisson, un négationniste. J'ai réagi à un bon nombre de ces mensonges et ces calomnies publiés par des intellectuels français, y compris sur la prétendue préface, mais les médias français, particulièrement ceux de gauche, m'ont refusé la publication. La majorité de mes réponses sont réunies dans un petit volume intitulé Réponses inédites : à mes détracteurs parisiens, un ouvrage épuisé je suppose. Ne trouvez-vous pas qu'il existe toujours des règles spécifiques qui sous-tendent toute liberté d'expression ? Il est vrai qu'il existe toujours des règles spécifiques. Mails il y a une grande différence entre le mépris pour la liberté d'expression dans la France d'aujourd'hui, on est bien loin de la France des Lumières, et la défense de la liberté d'expression ailleurs, notamment aux Etats-Unis. Dans votre livre L'Occident Terroriste : d'Hiroshima à la guerre des drones, vous avez exprimé un grand espoir dans le printemps arabe dans le sens que ça pouvait donner naissance à une puissance qui pourrait rétablir un équilibre dans le monde. Ne pensez-vous pas que cet espoir a été complètement anéanti avec ce qui se passe aujourd'hui, notamment en Syrie ? Les espoirs du monde arabe ont été en grande partie anéantis, mais pas complètement, je soupçonne des forces en quête de démocratie et de justice qui vont renaître, peut-être en s'appuyant sur ce qui a déjà été accompli au début par ces révolutions. Nous assistons aujourd'hui à un regain d'intérêt de l'œuvre de George Orwell 1984 qui met en garde contre l'avènement d'une société totalitaire où la pensée serait contrôlée. Aujourd'hui, le spectre qui évoque le plus cette menace est l'islamisme. Pensez-vous que l'islamisme est la première menace auquel le monde fait face aujourd'hui ? Les grandes menaces auxquelles le monde fait face aujourd'hui sont une catastrophe naturelle imminente et l'arme nucléaire. L'islamisme radical (et non pas l'islamisme) est une menace, et c'en est de même pour d'autres formes de fois fondamentalistes. Prenez les Etats-Unis par exemple, 40% de la population pense que le Christ va revenir dans quelques années, donc pas besoin de faire quoique ce soit concernant le réchauffement climatique. Ceci, par contre, est une grande menace à la survie de la vie humaine organisée. Et comme vous l'avez déjà souligné ailleurs, ces deux menaces ne sont pas sans lien. En effet, L'Inde et le Pakistan, deux pays dotés de l'arme nucléaire, peuvent être amenés à s'affronter pour l'eau, menaçant ainsi la région de destruction totale. Mais ce n'est pas tout, à mesure que le niveau de la mer augmentera, des dizaines de millions de personnes devront fuir, ce qui créera une crise migratoire. Et ce n'est que le début. Au fur et à mesure que les glaciers de l'Himalaya fondront, la ressource d'eau de l'Asie du Sud se tarira. Aujourd'hui, 300 millions de personnes n'ont pas accès à l'eau potable. |
|