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Bonheur des Algériens: fiction ou réalité ?

par Mohammed Beghdad

«De malheurs évités, le bonheur se compose.» Jean Baptiste Alphonse Karr, romancier et journaliste français, [1808-1890].

Pour une fois et c'est rare qu'une étude internationale soit favorable à l'Algérie. Il n'est pas matériel mais immatériel. Il n'est pas concret mais, abstrait. Il est surtout volatil si jamais un malheur arrive subitement. Sa bourse est des plus aléatoires. Ça remonte et ça redescend brusquement. Comme la mort qui survient soudainement après la vie. Ou comme une élimination en coupe d'une compétition sportive qui met fin à une série de succès. Ou encore comme la perte d'un emploi après une faste période de plein-emploi. Il peut être éphémère comme il peut se prolonger mais, il peut disparaître à tout moment. Malheureusement il n'est pas durable sauf exceptionnelle situation. Vous l'avez peut-être deviné. Il s'agit tout bonnement du bonheur.

Le bonheur d'un être humain est en principe apparent sur son visage qui reste illuminé dès qu'il se réveille jusqu'à ce qu'il retrouve son lit. Cela lui génère des airs fredonnant toute la journée. Lorsqu'il est heureux, son moral est au beau fixe. Pas une saute d'humeur ne vient perturber sa paix. Il a toujours l'air agréable et les bonnes paroles qui suivent. Il est galant à souhait. Il déborde souvent d'une indescriptible joie intérieure. C'est quelqu'un qui attend sagement son tour dans une chaîne sans qu'il s'emporte dans une quelconque diatribe.      Il conduit sagement sa bagnole et cède civiquement le passage au piéton. Son sourire est présent pour réparer tout éventuel dépassement de sa part. Mais la perception côté cour est différente de ce qu'on aperçoit côté jardin.

Est-ce qu'on peut jauger le bonheur chez un individu ? Existe-il des outils pour le mesurer ? Est-ce qu'on peut donner une note pour l'évaluer ? Est-ce qu'on peut le classifier ? Il va de soi que cela dépend de chaque individu. Le bonheur est difficile à le déceler, car il est intime, caché dans le cœur.

On peut estimer que c'est comme la foi chez un croyant. Il ne peut qu'être subjectif. Il est autant relatif. Un bonheur ne s'acquiert pas, il se construit au fil du temps. Est-ce que le bonheur collectif d'un pays est-il la sommation des bonheurs individuels de chacun des éléments de la société ? Ce n'est pas évident de le quantifier. Justement, différentes organisations internationales tentent depuis quelques années de se spécialiser en jaugeant le bonheur d'un pays à travers différents paramètres tangibles qu'ils introduisent dans une formule magique dont ils ont le secret pour détecter cet indice impalpable qu'est le bonheur. Le dernier en date est celui d'un think-thank (un laboratoire d'idées) britannique en l'occurrence : Happy Planet Index (HPI) qui mesure l'indice du bonheur de la planète) (1). Cet organisme s'appuie dans ses calculs sur trois critères qu'il considère essentiels dans son approche à savoir l'empreinte écologique (pourcentage des espaces verts), l'espérance de vie moyenne du citoyen et le degré du bien-être général (noté sur une échelle de 1 à 10). Les résultats obtenus sont très surprenants à plus d'un titre.

Ainsi, l'Algérie se classe à la miraculeuse et très enviable 26e place mondiale. Elle est la première en Afrique devant la Tunisie (39e) et le Maroc (42e) et également leader du monde arabe juste devant la Jordanie (27e) suivie de la Palestine (30e) et de l'Irak (36e) et plus loin de la Syrie (47e). Dans le monde musulman, c'est le Bangladesh (11e) qui se hisse à la première position talonnée de près par l'Indonésie (14e) et le Pakistan (16e) qui devancent de plusieurs longueurs la Turquie (44e) et l'Arabie Saoudite (54e). Quant au Koweït (143e), le Bahreïn (146e) et le Qatar (149e), ils occupent comme vous le constatez la queue du peloton ! Il faut noter que c'est le Botswana qui ferme la marche au 151e rang.

Néanmoins, ce classement comporte d'énormes anomalies à moins que ses concepteurs se soient trompés de jugements.

En effet, il est difficilement admis pour un Algérien en général, si l'on se fie aux commentaires sur les sites algériens, de croire que son pays est respectivement mieux loti que la Nouvelle Zélande (28e), la Norvège (29e), la Suisse (34e), le Royaume uni (41e), le Japon (45e), l'Allemagne (46e), l'Autriche (48e), la France (50e), l'Italie (51e), la Suède (52e), l'Espagne (62e), la Corée du sud (63e), le Canada (64e), les Pays bas (66e), la Finlande (70e), l'Australie (76e), les Usa (105e), la Belgique (107e), le Danemark (111e) et le Luxembourg (138e). Excusez du peu.

Si l'on croirait à cette plaisanterie comme l'ont qualifiée certains blogueurs sur le net, ce ne sont plus les algériens qui se pointeraient désormais durant des heures avec un dossier très fourni sous les bras devant les consulats européens pour quémander un visa pour aller chercher le paradis sous d'autres cieux plus cléments du nord. Au contraire, c'est donc à notre pays d'imposer des conditions draconiennes pour qu'on vienne chez nous de loin, goûter à notre bonheur national dans lequel on baigne. Un petit tour dans une de nos administrations les ferait regretter toute leur vie d'avoir cru à ce canular. Ce n'est donc pas à la gouvernance régnante que l'on doit cette place. Il faut chercher la recette ailleurs.

Est-il concevable que Djibouti (106e) s'incruste entre les Usa et la Belgique ? Les frères palestiniens de Ghaza qui vivent dans une prison à ciel ouvert, avec l'une des plus fortes densités humaines au monde et dans la misère la plus totale, sont-ils plus heureux que les 4/5 des états de ce monde ? Est-il normal que l'Irak et la Syrie, des pays en guerre totale depuis plusieurs années, soient plus satisfaits que les 2/3 des pays de la planète à moins que l'instabilité et les bombes soient synonymes de la rencontre de la distraction ? Est-il logique que le Bangladesh, l'un des pays les plus pauvres, rate d'un cheveu le top 10 des pays qui baignent dans la félicité absolue ? Est-il croyable que les Luxembourgeois et les Qataris, qui disposent des deux plus élevés PIB (Poids Intérieur Brut) par tête d'habitant au monde, soient presque les cancres de la classe ? Certes l'argent ne fait pas le bonheur mais, en aucun cas le malheur ne le produit.

Déjà, le rapport de 2013 du réseau pour des solutions de développement durable des Nations Unis (2) sur l'indice du bonheur dans le monde, était considéré comme une blague(3).Pourtant, ce rapport situait l'Algérie à la 73e place, soit 47 places plus lointaines que celui de HPI. Suivaient par ordre croissant la Libye (78e), le Maroc (99e), la Tunisie (104e), la Mauritanie (112e) et l'Egypte (130e). On constate que celui-ci me semble-t-il était plus fiable par rapport au britannique. Les Nations Unis ne se contentent pas uniquement de facteurs restreints comme HPI. En effet, ils utilisent le PIB par tête d'habitant, l'espérance de vie ou encore l'absence de corruption. Par ailleurs, ils affinent leurs résultats par d'autres variables comme la paix, la sécurité, la liberté, la démocratie, le respect des droits de l'homme, la qualité de vie, la recherche, la formation, l'information, la communication et la culture. L'OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques) (4) mesure quant à elle également l'indice mais, celui du bien-être de chacun des 34 pays membres auxquels s'ajoutent ceux de deux pays du Brics (*), le Brésil et la Russie. Il est effectué à partir de sondages Online des populations respectives des états qui la composent. Cet indicateur est obtenu à partir de 11 questions : le logement, le revenu, l'emploi, les liens sociaux, l'éducation, l'environnement, l'engagement civique, la santé, la satisfaction, la sécurité et l'équilibre travail-vie.

La question qui me taraude les méninges et à laquelle je n'ai pas eu de réponses, d'où est-ce que vient alors le bonheur dont nous, gratifie l'institut britannique ? Une idée m'est alors venue d'aller tripoter sur internet pour tenter de dénicher le mystère qui rend heureux mes compatriotes. Lorsqu'on va sur Google pour chercher les causes de ce bonheur en tapant : bonheur+Algérie, on obtient 1 030 000 résultats. Les premiers ont le plus souvent des connexions avec les effets du football et leurs conséquences sur la joie immense des Algériens.  C'est donc cela qui booste le miracle de ce bonheur. Les algériens par la grâce du ballon rond ont passé effectivement de merveilleux moments avec cette liesse collective depuis la qualification en novembre 2013 jusqu'à la mi-juillet 2014. Et cela va encore durer.

Mais le début de la dégringolade des prix du baril (5) du pétrole qui a frôlé la barre des 63 dollars en cette journée du 09 décembre 2014, risque de gâcher la sérénité rentière ambiante. Il ne faut plus uniquement guetter la parution mensuelle du classement de la Fifa (fédération internationale du football) mais garder l'œil en permanence sur notre gagne-pain depuis l'indépendance. En six mois, le baril a perdu plus de 40 % de sa valeur et ça continue à baisser à moins d'un événement favorable dans le monde. Le prix actuel est celui d'il y a cinq années où on remontait le cours.

Aujourd'hui, c'est la descente qui ne semble rien le freiner dans sa chute. Pour la première fois aussi, le gouvernement a commencé à puiser dans le FFR (Fond de Régulation des Recettes) (6), créé en 2000 et alimenté par la fiscalité pétrolière non budgétisée, en quelque sorte une boîte noire. Si on y a touché, c'est dans le but de maintenir le même train de vie de ces années de vaches grâces.

Le pays entreprend ainsi à croquer de ses économies. Tout cela n'augure en rien de bon pour les jours heureux de la cigale. Souhaitons que le pays puisse amortir le choc si un malheur nous surgirait. Les experts ne cessent depuis des années à alerter l'opinion et les autorités sur la dangerosité de la politique économique actuelle.

Lorsqu'on sait que toute cette économie dépend presque totalement des recettes pétrolières, des sueurs froides vous envahissent et vous glacent le corps. Avec un ventre creux, toutes les victoires du foot de surcroît, couronnées d'une hypothétique coupe d'Afrique seraient vaines à effacer nos inquiétudes de l'avenir. Comme le dit si bien l'adage populaire :       C'est lorsque le ventre n'a plus faim qu'il demande alors à la tête de chanter.

Notes :

[1]-http://www.happyplanetindex.org/data/

[2]-http://unsdsn.org/wp-content/uploads/2014/02/WorldHappinessReport2013_online.pdf

[3]-http://algeriepatriotique.com/article/les-algeriens-sont-les-plus-heureux-de-l-afrique-du-nord

[4]-http://www.oecdbetterlifeindex.org/fr/

[5]-http://prixdubaril.com/

[6]- http://www.latribune-dz.com/news/article.php?id_article=7597