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Sarkozysme à l'algérienne

par Abed Charef

Le sarkozysme débarque à Alger. Sous une forme assez inattendue, il est vrai. En quoi cela consiste-t-il ? A prendre prétexte d'un évènement, d'un fait divers, pour annoncer sur-le-champ des mesures supposées énergiques, parfois des projets de loi, en vue de résoudre des situations très complexes. Inutile de dire que l'objectif n'est pas de traiter sérieusement un problème aux ramifications très diverses, mais de tirer profit de l'évènement pour caresser l'opinion dans le sens du poil ; de ne rien faire tout en apparaissant comme un dirigeant ferme et résolu. Ne strictement rien faire de sérieux, tout en donnant l'impression qu'on a fait le maximum. Cela permet à l'initiateur de la démarche de surfer sur les sondages, de savoir tout le temps où en est l'opinion publique, ce qu'elle pense, ce qu'elle souhaite, et comment elle souhaite que le pouvoir réagisse face à chaque évènement, qu'il s'agisse d'un fait divers, d'un évènement politique important ou d'un simple accident de l'histoire. Dans un pays comme l'Algérie où l'inefficacité de l'administration est un mal chronique la démarche donne des résultats étonnants. Le ministre de la Santé, M. Abdelmalek Boudiaf, a testé avec succès cette méthode. A la suite de la disparition d'un nouveau-né dans un centre hospitalo-universitaire de Constantine, il a annoncé l'installation de caméras de surveillance dans les hôpitaux pour lutter à la fois contre le vol de nouveaux-nés et de médicaments !

Dans un pays où règne l'inaction et où domine un terrible laisser-aller, il est difficile de reprocher à un haut responsable de faire preuve d'énergie. De plus, c'est ce que réclame généralement le citoyen : des responsables capables de faire face de manière rapide et efficace aux problèmes qui se posent au quotidien. Montrer de l'énergie ne signifie pas pour autant qu'on apporte des solutions. Abdelmalek Sellal l'a appris à ses dépens. Recevant les chefs d'entreprises, il leur a déclaré il y a un an qu'il était disposé à prendre toutes les mesures pour faciliter l'investissement. De l'aveu même du FCE, il a fait preuve d'une bonne volonté exceptionnelle. Au final, la seule mesure significative qu'il a prise, c'était de supprimer des documents administratifs lors de l'ouverture de comptes bancaires. Dire que cela a permis de faciliter l'investissement serait exagéré !

Aux yeux du public, c'est pourtant ce qui marche le mieux. Faire semblant de maîtriser la situation. De toutes les façons, chacun a ses solutions. Y compris l'Algérien le moins qualifié. Face à toute situation, la réponse est simple : il n'y a qu'à? Chacun propose sa solution. Qui peut déboucher sur de vraies impasses. Et des drames. Pendant des années, l'Algérie assistait, impuissante, à une croissance terrifiante du nombre d'accidents de la circulation. Et puis, une logique sécuritaire s'est imposée : alourdir les sanctions contre ceux qui ne respectent pas le code de la route, avec notamment de pénibles opérations de retrait du permis de conduire, et des procédures insupportables. Le retour au civisme, le respect de la loi, le respect des autres, la vie en commun, l'éducation, toutes ces solutions ont été ignorées. Les facteurs premiers de ce drame, comme l'explosion du nombre de véhicules et l'état des routes, ont été également oubliés. Résultat: le nombre d'accidents continue d'augmenter. Et si tout le monde se plaint de cette situation pénible, on ne se souvient même plus pourquoi il y a eu recours à des mesures aussi extrêmes, sans obtenir de résultats probants. Cette tendance à décider vite, et en tous domaines, pour satisfaire une opinion en colère peut mener à de graves dérives, des situations cocasses, et déboucher sur des illusions. Toujours au sujet des accidents de la circulation, l'administration a répondu en érigeant des ralentisseurs, les fameux dos-d'âne. Des citoyens ont, à leur tour, été pris par la frénésie des dos-d'âne. Ils en ont installé devant chez eux. Progressivement, les routes en ont été hérissées, et la circulation devient une épreuve. Avec cette anecdote : dans une ville de l'intérieur, un jeune homme a souhaité que le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, effectue une visite tous les six mois. Pourquoi ? Parce que lors de son passage, tous les ralentisseurs sont supprimés !

Un retraité, qui a longtemps souffert de l'inaction de l'administration, réfute pourtant cette idée de parler de sarkozysme. En Algérie, le choix ne se pose pas entre une décision prise dans la précipitation, et une bonne décision. Le choix, aujourd'hui, c'est entre une décision aléatoire, hasardeuse, et pas de décision du tout. Il faut accepter les décisions sarkozystes. Peut-être déboucheront-elles, accidentellement, sur de nouvelles situations, mais elles valent mieux que l'indécision, dit-il.