
Le procès lié à
l'affaire du détournement de 11,8 milliards de centimes au port d'Oran est
prévu demain devant le Pôle spécialisé d'Oran.
A s'en tenir à
l'avis favorable pour la demande de report signifié par le juge lors du
précédent passage du dossier, accord assorti de la condition « pour une ultime
fois », le procès aura lieu lors de cette audience de mercredi. De toutes les
péripéties qu'a connues cette affaire depuis son déclenchement en février 2012
à ce jour, le changement de «rôle» attribué au receveur principal, qui est
passé du plaignant dénonciateur à l'inculpé, en est le plus spectaculaire.
Début février 2012, Kh. M. ne pensait pas un seul instant qu'en se présentant
devant le bureau du procureur, dossier en main, pour dénoncer un trou financier
de plusieurs milliards dans la recette douanière du port d'Oran, avec une
longue liste nominative de mis en cause, qu'il allait lui-même devenir accusé,
plus tard. Son acte s'est retourné contre lui, tel «l'arroseur arrosé». En
effet, début novembre 2013, soit 21 mois après, le plaignant reçoit une
convocation pour se présenter le 10 novembre 2013 devant le juge d'instruction
de la 1ère chambre du Pôle spécialisé d'Oran pour, cette fois-ci, répondre des
charges qui sont retenues contre lui. Il apprend ainsi qu'il est désormais sous
le coup de l'article 119 bis du code pénal. Traduction : «Négligence manifeste
ayant entraîné le détournement et la dilapidation de deniers publics (à savoir
plus de 11,8 milliards, à en croire le chiffre dévoilé par le receveur lui-même
». Le déclic ? Il est à rechercher dans un document comptable, d'une extrême
importance, remis entre-temps par la défense d'un nombre de douanières
préposées à la caisse à la période des faits, poursuivies dans cette affaire, à
savoir une copie du «journal auxiliaire des encaissements», retraçant avec
exactitude la comptabilité de toute la période (fin 2011) où les malversations
présumées auraient été commises, en reproduisant tous les versements de droits
et taxes douaniers dans le cadre des procédures de dédouanement, par référence
d'opération, la partie versante, type du règlement (espèce, chèque, traite,
application). Cependant, force est de relever que cette base de données,
pourtant préalable et élémentaire à tout acte d'expertise, n'a pas été
consultée par le collège des trois experts comptables et financiers désignés
par le magistrat instructeur, le 17 septembre 2012, aux fins d'apporter des
éclairages, d'ordre technique, relatifs aux faits incriminés, dans le cadre de
l'investigation à charge et décharge du juge d'instruction. La question qui se
pose avec insistance : pourquoi les experts n'ont-ils pas jeté un regard sur
ces pièces comptables ? Ces documents faisaient-ils l'objet d'une rétention
délibérée, gardés dans un endroit secret par exemple, par certaines parties qui
n'avaient pas intérêt à ce qu'on ouvre cette boîte de Pandore ? Et si ce
support d'information du système informatique de comptabilité de la douane a
été contourné par les experts, tout comme les personnes inculpées qui n'ont
pris attache avec aucune d'elles, alors, dans ce cas, d'où ont-ils puisé leurs
données ? Selon l'ordonnance de renvoi devant le tribunal délictuel -l'affaire
a été décriminalisée en cours de route- du juge d'instruction près le Pôle
spécialisé, datée du 7 juillet 2013, sur un total de 29 mis en cause dont 5
douaniers, 24 transitaires et déclarants en douane ainsi qu'un importateur,13
ont été maintenus dans leur qualité d'inculpés alors que les 16 autres ont
bénéficié d'un non-lieu dans l'intervalle. Il leur est reproché les délits de :
«falsification de titres émis par une administration publique. Dilapidation de
deniers publics. Exonération et rabattement de droits et taxes. Trafic
d'influence. Abus de fonction. Acceptation de cadeaux et de privilèges auxquels
ils n'avaient pas droit. Atteinte aux systèmes de traitement informatique des
données. Blanchiment d'argent», conformément aux articles 222, 349 bis 1, 42 du
code pénal, et les articles 29, 31, 32, 33 et 38 de la loi relative à la
prévention et à la lutte contre la corruption. Au plan des faits et des charges
retenues, il est consigné qu'à la suite de l'instruction dans le cadre de cette
affaire, «l'existence de montants détournés du Trésor, à partir de la caisse de
douane du port d'Oran, représentant de l'argent en espèce ou en chèque, droits
et taxes, et ce via trois modes opératoires». «Premièrement, poursuit
l'instruction, le fait que les agents de la douane n'ont pas enregistré, en fin
d'opération de liquidation, le montant de l'excédent et n'ont pas remis aux
opérateurs économiques concernés une copie du titre de garantie qui leur
préserve leur droits quant au montant excédent dans leurs comptes respectifs
auprès de la recette douanière. Ces droits non déclarés ont été détournés par
les mêmes douaniers au profit de tiers. Cet usage illégal a été opéré au moyen
d'établissement de titres de garantie et fausses quittances définitives au
bénéfice de transitaires ou opérateurs économiques agréés pour leur permettre
la mainlevée sur leur marchandise sans paiement de taxes et droits douaniers
relatifs aux opérations d'importation qu'ils ont faites.» Deuxième artifice,
selon l'accusation toujours, «la non-liquidation de dossiers de déclaration
garantis au profit de certains transitaires et opérateurs économiques par les
services de douane en attendant leur examen dans les délais légaux impartis, en
dépit du fait que ces dossiers ont été liquidés par la douane et illicitement
utilisés par les agents de la caisse en tant que garantie au profit de tiers.»
Le troisième procédé consiste en «la liquidation de dossiers d'importation,
dédouanés par versement immédiat sur la base qu'ils ont été garantis par
titres, alors qu'ils ont fait l'objet de versement cash ou par chèque et ce,
par l'établissement de titres définitifs et la remise de duplicata à des
transitaires et opérateurs économiques en contrepartie de versement en espèces
ou par chèque, alors que les droits et taxes versés ne sont jamais entrés dans
la caisse douanière». Mais, la défense des douaniers mis en cause, pour sa
part, met en avant des preuves matérielles, sous forme de pièces comptables
authentiques, pour démentir ces accusations «infondées». En outre, elle
s'interroge sur les raisons du «non-accès des trois experts, malgré la longue
durée qu'a prise leur mission, à la feuille de journée (JAE) centralisateur et
le journal auxiliaire des encaissements (M17), disponibles au service
comptabilité et finances de la douane du port». Elle s'interroge également
quant aux délais «excessivement, abusivement longs» de traitement par
l'appareil judiciaire de ce dossier, tout en faisant remarquer que le maintien
derrière les barreaux, depuis plus de 19 mois, de fonctionnaires du corps de la
douane, dont des femmes et mères de familles, est tout à fait contradictoire
avec la volonté et le discours politique actuel de l'Etat algérien pour bannir
la détention provisoire, qui plus est, le cas d'espèce, «arbitraire». Ainsi, la
chambre d'accusation aura à statuer sur, outre les demandes de non-lieu
formulées par des avocats d'inculpés, des requêtes de remise en liberté au
motif que, soit les délais légaux de détention préventive ont été dépassés dans
certains cas, ou, en raison de la présentation de toutes les garanties de
représentation devant la justice pour un certain profil de personnes détenues.