
A force de
manipulations de la question migratoire pour des raisons électoralistes, les
leaders politiques européens s'enfoncent dans le discours démagogique et
déroulent, à l'approche d'élections, le tapis rouge à l'extrême-droite.
Jeudi, le
Parlement européen a voté la mise en place du système de surveillance des
frontières de l'Union européenne (UE), dit «Eurosur». Il vient renforcer
l'autre système de surveillance, déjà opérationnel, «Frontex». Eurosur entrera
en application le 2 décembre prochain pour 11 pays constituant les frontières
sud et orientales de l'Europe et sera étendu à l'ensemble de 28 pays de l'UE en
décembre 2014. C'est une première réponse des eurodéputés à la tragédie de
Lampedusa de la semaine dernière : dissuader les réseaux de l'immigration
clandestine. Ils rejoignent en cela la décision du Conseil des ministres de
l'Intérieur de l'Union tenu deux jours auparavant. Ainsi, les responsables
politiques européens ressortent, d'abord et avant tout, l'arsenal répressif et
sécuritaire pour lutter contre l'immigration clandestine. Pour légitime qu'elle
soit, la réponse «sécuritaire et répressive» ne peut être la seule réponse aux
flux migratoires légaux ou non en ce début de 21ème siècle. En ne
s'interrogeant pas sur les raisons profondes du développement des réseaux de
passeurs clandestins, l'Europe fait «l'autruche» : elle se cache les yeux pour
nier une réalité géostratégique qu'elle façonne selon ses seuls et uniques
intérêts. Rappelons quelques segments de cette réalité géostratégique. C'est
l'Europe qui, au nom du tout libéralisme, a poussé et orchestré l'ouverture
totale des marchés des pays du sud-Méditerranée et d'Afrique ces 20 dernières
années, sans période de transition et sans tenir compte de l'extrême fragilité
structurelle de ces marchés. C'est l'Europe qui impose, depuis toujours les
termes de l'échange économique à son avantage exclusif. C'est l'Europe qui
«dépouille» les pays du sud du peu de leurs ressources humaines en mettant en
place une immigration choisie. C'est enfin l'Europe qui, au nom des droits de
l'homme et des idéaux de liberté, intervient au nom du droit d'ingérence,
militairement en Afrique et?en Libye pour soutenir des régimes politiques, loin
de défendre la démocratie mais plutôt ses propres intérêts à elle. En clair, le
développement de l'immigration clandestine (et subséquemment celle dite légale)
n'est pas un phénomène apparue du néant : il est la conséquence de l'échange
économique inégal entre l'Europe et les pays du sud. Plus, il est la
conséquence historique (colonialisme et néocolonialisme) du rapport dominant -
dominé entre le nord et le sud. Les pays du sud ont cru, ces 20 dernières
années, plus précisément depuis la chute du mur de Berlin et la fin de la
guerre froide, aux promesses d'une nouvelle ère de coopération basée sur le
partage des richesses, le respect des spécificités de chacun et la justice pour
tous. Ils ont marché dans cet ambitieux projet à l'orée de ce nouveau siècle.
Ils ont signé des accords multiples de coopération et d'échange commercial et
bouleversé les structures de leur marché local. Malheureusement, 20 ans plus
tard, les pays du sud se retrouvent plus endettés que jamais, avec des marchés
dépendant totalement de l'Europe ; des taux de chômage explosifs et cerise sur
le gâteau, des régimes politiques, à de rares exceptions, corrompus, violents,
sans aucune alternative sur l'avenir. C'est cela le résultat des courses : des
populations livrées à la pauvreté, la violence et un avenir incertain. Comment
donner comme seule réponse, le «rejet», à ceux et celles qui veulent se «sauver»
de situations aussi compliquées et dures dont l'Europe est, dans une large
mesure responsable ? Comment concevoir qu'à quelques heures d'avion de
l'Europe, des populations vivent avec moins d'un euro / jour, et continuer à
croire qu'elles ne tenteront pas le diable pour s'en sortir ? Et pour ajouter
du malheur au malheur, les responsables politiques (élus et gouvernants) usent
et manipulent la question migratoire à des desseins strictement électoralistes
chez eux. A celui qui arrive le mieux à mettre tous les maux des sociétés
européennes (crise économique, financière, effets de la mondialisation, etc.)
sur le dos des immigrés légaux et clandestins. Et voilà les «troubles de
l'identité» européenne en débat sur les plateaux de télés ; le sentiment
d'insécurité et les médias à la chasse au moindre fait divers impliquant un
étranger etc. L'Europe pleureuse, peureuse, égoïste, inquiète pour son avenir
jusqu'à finir dans les bras de l'extrême-droite. « Le ventre de la bête est
encore fécond d'où a surgi la bête immonde» avertissait l'homme de théâtre
allemand, Bertolt Brecht. Rideau.