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Des milices, des espions et des batailles de pouvoir : Un Etat libyen fictif enlevé en pyjama

par Salem Ferdi

Le Premier ministre libyen Ali Zeidan a été cueilli, en pyjama, jeudi à 2h30, du matin, dans son lit, à l'hôtel Corinthia de Tripoli où il réside. Un signe de plus de la déliquescence libyenne.

L'opération a été menée par la «Cellule des opérations des révolutionnaires de Libye» qui dépend, officiellement, du Congrès général national libyen (CGN), présidé par Nouri Abou Sheiman. Une affaire confuse qui confirme l'ampleur des désordres. Un grand chroniqueur arabe qui avait parlé de «république bananière» après l'enlèvement, à Tripoli, d'Abou Anas Al-Libi par un commando américain, s'est «excusé». Même dans les républiques bananières, écrit-il, on n'a pas vu un Premier ministre, «chef de l'exécutif» se faire enlever, en pyjama, et insulter par des miliciens. Ali Zeidan a été libéré, quelques heures plus tard mais les circonstances et les acteurs véritables de cette rocambolesque affaire ne sont pas encore clairement connus. Le poids des milices, une réalité désastreuse, n'explique pas tout. Derrière les milices se profile une lutte confuse pour le pouvoir, au sein des autorités de transition. Les groupes politiques déplorent, formellement, le poids des milices, tout en les entretenant et les utilisant dans les jeux du pouvoir. Certaines sources affirment que l'arrestation d'Ali Zeidan était programmée, depuis longtemps, et l'opération lancée par les Américains contre Abou Anas n'a fait que l'accélérer. Le président du CGN aurait été au courant mais s'est empressé de se désolidariser de l'opération, après les réactions d'ahurissement et de condamnations, venant de l'étranger et principalement des Occidentaux. La «Chambre des révolutionnaires de Libye» et la «Brigade de lutte contre le crime» ont invoqué un mandat du parquet pour mener leur action. Certains - dont le Premier ministre libyen lui-même ? laissent entendre que les Frères musulmans, en opposition ouverte contre Ali Zeidan, auraient un rôle dans l'affaire.

Le président du CGN, Nouri Abou Sheiman, élu avec le soutien des Frères musulmans aurait joué le jeu. Le Premier ministre libyen aurait été «libéré» par d'autres miliciens qui ont encerclé le commissariat où il était détenu.

LES EQUATIONS DE LA DELIQUESCENCE

Après sa libération, Ali Zeidan a publié un tweet dans lequel il affirme que les auteurs de l'enlèvement ont échoué à le faire démissionner. Le Premier ministre, très affaibli par l'action de forces spéciales américaines qui a écœuré de nombreux Libyens, semblait hésiter entre l'apaisement et la tentative de fructifier politiquement l'affaire. Il a accusé, sans le nommer, un parti politique qui «veut destituer le gouvernement par tous les moyens». Il a indiqué qu'il donnerait plus d'informations sur ce «parti politique» qui a organisé mon enlèvement» et qui veut destituer le gouvernement «par la force, par la démocratie, par les voies non démocratiques ou par n'importe quel autre moyen». Ali Zeidan a réitéré qu'il n'était pas informé de l'opération américaine, à Tripoli, et que s'il l'avait su, il aura informé Abou Anas. «Pensez-vous qu'un citoyen ou un musulman ou n'importe quelle autre personne puisse apprendre qu'on va faire du mal à une autre personne et l'accepte? Si je l'avais su, je l'aurais informé à l'avance. Je ne le connais pas, mais quand même, je l'aurais informé». Des assurances peu convaincantes. Tout comme d'ailleurs l'empressement du président du Congrès général national libyen (CGN) Nouri Abou Sheiman à se désolidariser des auteurs de l'enlèvement qui sont, officiellement, sous son autorité.

Il y a bien une bataille de pouvoir et les milices, qui se comptent, par centaines, font partie de l'équation de la déliquescence générale.

Les Occidentaux qui ont organisé le chaos qu'ils pensaient pouvoir «contrôler», en Libye, font mine de s'alarmer de «l'anarchie» qui y règne. Ils ont, sans surprise, exprimé leur soutien à Ali Zeidan. Mais cela ne change rien à la réalité d'un terrain libyen devenu dangereux pour les habitants de ce pays et pour les autres pays.

SYMBOLE D'UN ETAT FICTIF

Le Premier ministre libyen est un symbole d'un Etat presque fictif. Il était au Maroc quand les Américains ont commis l'enlèvement d'Abou Anas Al-Libi. Il a protesté, très mollement, en ajoutant qu'il «espérait» que cela n'affecterait pas les «relations entre les Etats-Unis et la Libye». Il a fait, exactement le contraire de ce qu'un responsable «normal» aurait dû faire en de telles circonstances: exprimer une forte colère. Son enlèvement en pyjama, par des miliciens, n'a fait que confirmer la fiction de l'Etat libyen. Techniquement, la Libye n'a pas d'Etat. Elle est en voie de «somalisation». Personne, en Occident, ne veut aller en Somalie. Mais la Libye avec ses richesses pétrolières pourrait, au nom de la «menace» qu'elle fait peser sur le «monde», se retrouver dans le scénario d'une intervention étrangère directe. Au « sol ». Les services étrangers sont bien présents et grenouillent. Au lendemain de l'enlèvement d'Abou Anas al-Libi par les Américains, la Cellule des opérations des révolutionnaires de Libye, qui se retrouve sur la sellette, après l'affaire Zeiden avait décidé un «état d'alerte maximum face (...) aux atteintes à la souveraineté du pays de la part des renseignements étrangers». Constat juste, mais le ver a déjà pourri le fruit !