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La Haute Cour défie Morsi, les militaires à l'affût : La bataille du pouvoir en Egypte devient âpre

par Salem Ferdi

Le bras de fer entre les Frères musulmans et les militaires égyptiens s'est durci après la décision de la Haute Cour constitutionnelle (HCC) de suspendre l'application du décret du Président Mohamed Morsi de rétablir le Parlement.

Même si la Haute Cour se veut hors des batailles politiques, il est admis, en Egypte, que ses membres, tous désignés du temps de Moubarak, sont sous orbite des militaires. La bataille « juridique » sur fond de crise institutionnelle, est donc totalement imbriquée dans la partie de bras de fer politique qui se déroule entre la présidence égyptienne et l'armée. Les avocats de la présidence de la République ont immédiatement réagi en dénonçant une « décision politique » de la Haute Cour constitutionnelle qui, selon eux, ne va qu'aggraver la crise. Le Président Mohamed Morsi ne semble plus pouvoir revenir en arrière, il a engagé la bataille, il devra la continuer. Sa force est que cette bataille, il l'a entamée avec l'aval de la puissante organisation des Frères musulmans. L'organisation a déjà commencé à mobiliser la rue pour cette bataille visant à annuler les effets du « coup d'Etat constitutionnel » mené par les militaires, à travers la Haute Cour. L'un des avocats du président, Me Abdel Moneim Abdel Makssoud, a lu un communiqué dans lequel il estime que le jugement de la Haute Cour « est nul et non avenu».

L'INSTRUMENT DE LA HAUTE COUR

L'Assemblée du peuple s'est formellement réunie mardi en application du décret présidentiel la rétablissant. Une réunion courte où les Frères musulmans et les salafistes (Nour) étaient présents. Les autres partis politiques ont boycotté la session et ont qualifié la décision du président Morsi de «coup d'Etat constitutionnel». Le président de la chambre basse, le Frère musulman Saad al-Katatni, avait assuré que le Parlement ne contrevenait pas à la loi, en siégeant malgré tout, et a indiqué que le Parlement avait renvoyé l'affaire de l'invalidation de la chambre basse devant la Cour de Cassation. La tension était d'autant plus forte que la Haute Cour constitutionnelle a opéré un étonnant revirement de position. Réunie lundi en urgence, elle avait indiqué qu'elle n'était pas habilitée à revenir sur le décret du chef de l'Etat mais qu'elle examinerait éventuellement les recours sur la constitutionnalité de la décision du Président Morsi. En une nuit, la Haute Cour a changé d'avis en décidant qu'elle pouvait «suspendre» la décision du chef de l'Etat, sans attendre les recours. Entre temps, les militaires du Conseil suprême des Forces armées (CSFA) s'étaient dits «confiants dans le fait que toutes les institutions de l'Etat respecteraient ce qui a été dit dans les déclarations constitutionnelles». Il est difficile de voir dans le changement brusque d'attitude de la Haute cour autre chose qu'une décision politique prise sur incitation des premiers concernés : les militaires qui se sont octroyés le pouvoir législatif via un additif à la déclaration constitutionnelle.

LA RUE, COMME MOYEN DE PRESSION

Comme c'est le cas depuis le début de la contestation en Egypte, c'est dans la rue que pourrait déborder les impasses institutionnelles et politiques de la transition. Des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées à Place ?Tahrir' pour soutenir le Président Morsi et scander des slogans hostiles à l'armée, qui a pris les rênes du pays depuis février 2011.

La Haute Cour constitutionnelle a beau assurer qu'elle n'est « partie prenante dans aucune lutte politique», elle est bien au cœur du jeu politique. Un instrument aux mains des militaires, disent de nombreux Egyptiens. L'indépendance de la Haute Cour paraît pour beaucoup d'entre eux, une pure fiction. L'impasse institutionnelle dans laquelle se trouve l'Egypte est une illustration des difficultés de la transition où l'ancien régime utilise les appareils qu'il contrôle tandis que les forces émergentes font jouer la rue. Ce qui n'exclut pas la possibilité de négociations en coulisses.

RISQUE DES DERAPAGES

Les Frères musulmans peuvent difficilement, sans risque de perdre leur crédit, revenir en arrière? Une solution négociée est possible mais le risque de dérapage est réel. Dans ce contexte tendu, le porte-parole du nouveau président a annoncé la communication dans les prochaines heures du nom du Premier ministre. Plusieurs noms de personnalités sont évoqués: le Prix Nobel de la paix Mohamed El Baradei, le directeur de la Banque centrale d'Égypte, Farouk el-Okdah, l'ancien ministre des Finances Hazem el-Beblawi ainsi que des candidats aux profils d'économistes comme Mahmoud Aboul Eyoon, ancien gouverneur de la Banque centrale, et Hisham Ramez, ancien vice-gouverneur de la Banque centrale égyptienne, actuellement directeur général de la Banque internationale du Commerce, la plus grande banque privée du pays.

L'impasse politique égyptienne est suivie avec attention à l'extérieur. La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton, qui doit rencontrer M. Morsi ce week-end, a réclamé un «dialogue intensif entre tous les protagonistes». Le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, s'est dit confiant que l'Egypte surmonterait la crise.