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![]() ![]() ![]() Guerre et droits de douane, un double choc pour l'économie mondiale
par Stephen S. Roach* ![]() NEW
HAVEN Le déclenchement d'un nouveau conflit militaire au Moyen-Orient, en
parallèle d'une guerre tarifaire destructrice, crée une combinaison funeste
dans une économie mondiale au ralenti. Bien que la possibilité d'un
cessez-le-feu provisoire existe, le risque d'une récession mondiale imminente
augmente considérablement.
Le premier de ces deux chocs était déjà de trop. Les droits de douane imposés par le président américain Donald Trump, quel que soit le niveau qui leur sera finalement fixé, sont synonymes de risques baissiers pour la croissance mondiale. La possibilité d'un second choc une guerre entre Israël et l'Iran, à laquelle ont désormais pris part les États-Unis vient aggraver la situation dans une économie mondiale de plus en plus vulnérable. Comme l'illustre en effet ma théorie du risque cyclique, il suffit de peu de choses pour faire basculer une économie proche du décrochage dans une récession pure et simple. Cette règle élémentaire a remarquablement fonctionné dans la prédiction des récessions mondiales survenues ces 45 dernières années. Contrairement à une récession au sein d'une économie dans son individualité, qui témoigne généralement d'une contraction de la production réelle, une récession au niveau mondial voit habituellement se contracter environ la moitié des économies de la planète, pendant que les autres continuent de croître. Une récession mondiale est par conséquent associée en général à un ralentissement de la croissance du PIB planétaire jusqu'à une fourchette toujours positive de 2 à 2,5 % située 0,8 à 1,3 points de pourcentage en dessous de la tendance de 3,3 % observée après 1980 avec pour exceptions les épisodes de 2009 et 2020, lorsque la crise financière mondiale et la pandémie ont respectivement provoqué de franches contractions de la production mondiale. La vitesse à laquelle survient le décrochage constitue la clé d'une évaluation du risque cyclique. Elle correspond à une zone de vulnérabilité, mesurée par d'importants écarts baissiers par rapport à la croissance tendancielle. Si l'on examine les 45 dernières années, je situerais la vitesse de décrochage de l'économie mondiale dans une fourchette de 2,5 à 3 % : dans cette zone, le monde manque de la résilience nécessaire pour pouvoir faire face à un choc, comme observé lors de chacune des quatre dernières récessions mondiales. Mais revenons à la période actuelle. Selon les dernières Perspectives de l'économie mondiale du Fonds monétaire international, la croissance du PIB mondial devrait ralentir pour atteindre 2,8 % en 2025 chiffre situé précisément au milieu de la zone de décrochage. Tandis que les récessions mondiales récentes ont été le résultat de chocs uniques, l'économie mondiale pourrait aujourd'hui être impactée par deux chocs : la guerre des droits de douane et le conflit armé au Moyen-Orient. La possibilité d'une combinaison de ces deux chocs vient accentuer la probabilité d'une récession mondiale ; pour les experts prévisionnistes, c'est l'indice presque irréfutable d'une récession à venir. Comme toujours, le diable se cache dans les détails, et en l'occurrence dans les effets de transmission spécifiques des deux chocs sur la croissance mondiale. La guerre commerciale ne constitue plus réellement un sujet d'actualité. Je pense que le paquet de droits de douane de Trump qui résultera des litiges juridiques en cours impliquera des droits de douane mondiaux de 10 %, des taux considérablement plus élevés pour la Chine, ainsi que des droits de douane supérieurs spécifiques à certains produits, destinés à protéger les industries américaines traditionnelles telles que les véhicules à moteur et leurs pièces détachées, l'acier et l'aluminium. Les droits de douane mondiaux de 10 % correspondent à une multiplication par cinq du taux effectif moyen de 1,9 % appliqué ces 30 dernières années, jusqu'au « Jour de la libération » proclamé début avril, qui constitue un choc à tous points de vue. Cette rupture crée des risques baissiers pour une économie chinoise toujours dépendante des exportations, ainsi qu'une incertitude majeure pour l'économie américaine, ce qui entraînera quasi-certainement un recul des dépenses d'investissement et de l'embauche, lesquelles dépendent de la stabilité des anticipations des entreprises quant à l'avenir. L'économie américaine et l'économie chinoise représentant ensemble un peu plus de 40 % de la croissance cumulée du PIB mondial depuis 2010, il ne faut pas sous-estimer l'impact potentiellement destructeur d'une guerre des droits de douane sur l'économie mondiale. Quant au choc lié à la situation au Moyen-Orient, l'impact macroéconomique des conflits militaires est généralement mesuré par les prix du pétrole. À la suite des frappes israéliennes contre l'Iran le 13 juin, les prix du pétrole ont dans un premier temps grimpé, mais à partir de leurs plus bas niveaux depuis trois ans, et sont restés bien inférieurs aux moyennes enregistrées depuis 2022. Dans un second temps, immédiatement après l'annonce par Trump d'un cessez-le-feu le 23 juin, l'essentiel de la hausse des prix du pétrole liée à la guerre a connu un retracement. Si les hostilités se poursuivent ce qui est toujours possible au Moyen-Orient les prix de l'énergie et des autres matières premières risquent d'augmenter considérablement, les marchés commençant en effet à s'inquiéter des possibilités de représailles iraniennes, qui pourraient notamment perturber la production et la distribution de pétrole, ainsi que les voies maritimes. En définitive, le bombardement américain sur les installations iraniennes d'enrichissement d'uranium, mené le 21 juin, vient injecter une nouvelle dose d'incertitude dans un monde d'ores et déjà extrêmement volatil. Il est beaucoup trop tôt pour prédire la mesure dans laquelle la participation des États-Unis à la guerre menée par Israël contre l'Iran impactera les prix mondiaux de l'énergie. La situation rappelle toutefois en un sens l'invasion du Koweït par Saddam Hussein en août 1990, qui avait entraîné la multiplication par deux des prix du pétrole en l'espace de trois mois. Dès 1991, l'économie mondiale enregistrait un ralentissement, atteignant une vitesse de décrochage de 2,5 %. En 1992-1993, le choc énergétique lié à la guerre provoquait une récession mondiale modérée. La clé des perspectives à court terme ne réside pas dans les droits de douane américains ni dans la guerre en Iran dans leur individualité, mais dans leur entremêlement géopolitique. Ces chocs sont susceptibles de s'alimenter mutuellement jusqu'à menacer une économie mondiale vulnérable, qui risque le décrochage. Bien que les prévisions conjoncturelles ne constituent jamais une science exacte, le double choc de cette année rend de plus en plus probable une récession mondiale. *Membre du corps enseignant de l'Université de Yale, et ancien président de Morgan Stanley Asie, est l'auteur des ouvrages intitulés Unbalanced : The Codependency of America and China (Yale University Press, 2014) et Accidental Conflict : America, China, and the Clash of False Narratives (Yale University Press, 2022). |
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