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FRUITS ET LEGUMES : LE NOUVEAU MARCHE DE GROS, LES VIEILLES HABITUDES ET LES PETITES POLEMIQUES

par Houari Saaïdia

Qu’est-ce qui a changé dans le circuit du commerce de fruits et légumes depuis le transfert, il y a à peine deux semaines, du marché de gros ? « On a rompu avec le quasi-informel. C’est déjà une grande avancée. Maintenant, il faut continuer à travailler pour améliorer les choses, car c’est un début et donc il y a forcément des carences auxquelles il faut remédier », estime le directeur de l’entreprise gestionnaire du marché de gros de fruits et légumes d’El-Kerma. 

Un « sondage » auprès des différents intervenants dans le créneau, qu’ils soient agriculteurs, fournisseurs, mandataires, détaillants, ou concessionnaires, fait ressortir une « satisfaction générale » assortie de « mais… ». « La wilaya d’Oran s’est enfin dotée d’un marché réglementaire pour les produits agricoles. Mais il ne suffit pas de réglementer le gros pour réguler le détail et obtenir ainsi une bonne mercuriale (qualité / prix). Encore faut-il contrôler toute la chaîne, de la terre aux étals, en veillant particulièrement au bon fonctionnement du maillon central qu’est la grande distribution, c’est-à-dire le gros et le demi-gros. Ce n’est que de cette façon qu’on peut limiter la spéculation, se prémunir contre les pénuries, rationnaliser les prix, etc. », remarque un mandataire, qui a fait le CFA en vue de devenir cadre avant de faire un revirement de carrière à 28 ans, en préférant un box aux Halles centrales à un poste de fonctionnaire au Trésor public. « Pour une question de sous », précise-t-il sans détour.

« Nouveau » marché de gros d’El-Kerma. Il est 9 heures passées. La file de véhicules est ininterrompue au portail de sortie comme au portail d’entrée. A l’intérieur, l’activité bat son plein. Plusieurs dizaines de camions, ridelles rabattues, fourgons, pick-up, camionnettes bâchées, sont garés sur les quais longeant les neuf hangars. Ce sont des détaillants venus s’approvisionner. Qui par leurs propres véhicules qui par des véhicules de transporteurs privés. Ils sont venus des différents marchés de la ville d’Oran (La Bastille, M’dina Jdida, Eckmühl, Petit Lac, l’USTO…), ainsi que des autres marchés et points de vente alimentant les différentes communes de la wilaya. Après le marchandage (très serré), c’est la passation de la commande puis le chargement de la marchandise à bord. Pas question d’acheter sans faire un tour complet à travers les 194 stands, ou du moins ceux qui sont ouverts puisque certains n’ont pas encore levé le rideau depuis l’inauguration du marché, il y a une quinzaine de jours. Relever la température de la mercuriale avant toute transaction, c’est « l’abc » du métier. A cette heure-ci, il est quand même étonnant de voir que le trafic est si intense. On s’attendait plutôt à une baisse d’activité à moins d’une heure de la fin de la tranche horaire réservée à la vente aux détaillants. Renseignement pris auprès du directeur de l’Epic de gestion, on saura que cette séance a été prolongée jusqu’à 12 heures, à la demande des opérateurs, puisqu’il s’est avéré que l’ancien emploi du temps (de 4 h à 10 h) n’arrangeait pas tout le monde. « Arriver ici avant 10 h, ce n’est pas évident avec le problème de la circulation, au centre-ville comme sur les périphs. Midi, ce n’est pas l’heure tout à fait indiquée pour la clôture de la vente mais c’est mieux que 10 h », observe un marchand qui tient un étal au souk d’El-Hamri.

DES POLLUEURS ET DES MAUVAIS PAYEURS

«Nous arrêtons la vente jusqu’à midi parfois, mais nos partenaires doivent comprendre que nous ne pouvons aller au-delà car, entre la période de vente et celle d’approvisionnement qui commence dès 14 h, il faut évacuer toute la plateforme pour faire le nettoyage. Sur ce point, je tiens à souligner que certains intervenants ne nous facilitent guère la tâche. A l’avenir, les pollueurs seront sanctionnés », avertit le premier manager du marché. On ne peut que s’étonner -le moins qu’on puisse dire - quand on entend un mandataire dire à pleine voix, au sujet de la remise en état propre des lieux, que « ça ne me concerne pas », en justifiant que « je paie la location, le service nettoiement y est inclus ». Comment ne peut-on qualifier autrement que par l’incivisme cet acte, vu « en direct » : un employé chez un mandataire arrive avec un gros sac en jute rempli de rebuts pourris de fruits et légumes et, du haut d’un petit escalier, déverse le tout par terre alors qu’il y a tant de bacs à ordures vides à un jet de pierre ? « Les mauvaises habitudes ont la peau dure », commente, écœuré par la scène, un administrateur du marché, qui met ce comportement incivique sur le compte des plis qu’ont pris certains durant les années de « laisser-faire » aux Halles centrales.

Dans le brouhaha de la foule en perpétuel mouvement dans un des neuf entrepôts, un sexagénaire très gaillard, visage blême de colère, carnet de bons de commande dans une main, botte de carottes dans l’autre, n’arrête pas de râler. « Regardez cette marchandise (la carotte), je l’ai achetée hier et elle est déjà défraichie et flétrie. Tenez, touchez-en les fanes, sentez-en l’odeur ! Ça commence à se putréfier. Si je ne trouve pas preneur d’ici à midi, et ça m’étonnerait que j’en trouve un, je vais devoir jeter tout le lot à la poubelle. Tout ça à cause d’un hangar mal aéré. Ça manque de ventilation ici. En plus, l’air est encore infecté par l’ancienne décharge. Même la pomme de terre et l’artichaut ne peuvent résister longtemps dans cette fournaise. Quant à l’abricot, la figue, la poire…n’en parlons pas ! Cet endroit ne convient même pas pour un cimetière », vocifère ce mandataire vétéran. Quand bien même sa façon de s’exprimer en gesticulant est assez violente, impulsive, ce commerçant n’a pas tout à fait tort. Il n’est pas d’ailleurs le seul à se plaindre du mauvais conditionnement dans les neuf hangars. Beaucoup de mandataires déplorent en effet une « atmosphère défavorable » (air non conditionné, température anormalement élevée, fort taux d’humidité, mauvaise ventilation…) dans les espaces de stockage, ce qui « accélère la périssabilité des produits », selon eux. A ce titre, ils demandent à l’administration du marché de revoir le système de toiture climatisante de ces box en charpente métallique. Ce sujet reste en tout cas sujet à polémique puisque l’entreprise gestionnaire assure, pour sa part, que ces constructions répondent aux référentiels internationaux en matière de conditionnement pour la filière fruits et légumes.

LE CONDITIONNEMENT, SUJET A POLEMIQUE

Mais, peut-être, il faudrait recourir à une expertise technique « complémentaire », confiée à un collège de spécialistes, afin d’apporter des réponses exactes et précises à ces questions. « On ne veut remettre en question aucun acte de gestion, d’œuvre ou d’ouvrage ni discréditer personne. Les autorités n’ont rien à perdre en expertisant le système de conditionnement mis en place, mais plutôt tout à gagner. On veut seulement en avoir le cœur net, car c’est la santé du consommateur qui est en jeu », suggère sur un ton très sérieux un traiteur, qui veille à choisir lui-même les légumes entrant dans les plats du menu commandé par ses clients, des hôtels et des salles de fêtes pour la plupart. Et d’ajouter : « A part cette question ainsi que d’autres petits points, force est de constater que ce nouveau marché a résolu pas mal de problèmes pour Oran, en général, et les professionnels de la filière, en particulier. Auparavant, je n’osais pas aller faire mes emplettes au marché de gros de Cité Petit. Tout le monde sait que c’est un endroit coupe-gorge, sans parler du problème de la circulation. Ici, c’est tout à fait différent. On est en totale sécurité. C’est un espace clos, avec des postes de police aux accès, une brigade de gendarmerie à l’intérieur et des agents de sécurité en patrouille. De plus, des caméras de surveillance seront bientôt installées. Certains se plaignent des contraintes, comme le bouchon, les contrôles à répétition, etc., posées par le barrage fixe dressé par les gendarmes sur l’autoroute à hauteur de la voie d’accès à ce marché, mais moi je dis le contraire; c’est un élément de sécurité de plus pour nous, abonnés de ce marché. Mais apparemment, ça ne plaît pas beaucoup aux transporteurs de marchandise qui ont la manie de faire la surcharge ». Avec l’affluence qui n’a pas baissé d’un cran depuis le premier jour, le marché de gros d’El-Kerma renfloue bien ses caisses. Une moyenne de 2.500 véhicules par jour est recensée à l’entrée, selon le directeur de l’Epic, qui révèle qu’une recette journalière entre 100.000 à 150.000 dinars est enregistrée au titre de la taxe d’entrée. Un vrai pactole qui échappait à la trésorerie de l’organisme qui gérait les anciennes halles centrales -celle-ci ramassait plutôt des miettes par rapport aux montants prévus par la comptabilité -, lequel organisme était incapable, durant les dernières années, à recouvrer même les redevances de location, plutôt symboliques, auprès des mandataires.

« Notre tarif est le plus bas à l’échelle nationale. Je défie quiconque de me prouver le contraire », réplique-t-il aux réclamations faites par certains qui trouvent la taxe imposée à l’accès « excessive ». Le barème est basé en fait sur le tonnage, « à vue d’œil » pour le moment en attendant la mise en service d’une bascule électronique. 200 DA pour une camionnette de 1,5 tonne, 400 DA pour un camion de 2,5 tonnes ou un fourgon, 600 DA pour un camion de 6 tonnes et 800 DA pour un camion de 10 tonnes et plus.

LA MARCHANDISE A GOGO

Des percepteurs sont recrutés parmi la main-d’œuvre locale. Ils ont eu pas mal de problèmes avec certains « mauvais payeurs » jusqu’ici, confie-t-on. Ils s’acquittent non sans peine de cette tâche, en apparence facile. Mais ce sont incontestablement les éboueurs d’Oran Propreté qui sont aux premières loges pour témoigner des écarts de conduite de certains, eux qui subissent les mauvaises humeurs des uns et les saletés des autres. Ce qui les réconforte, pour l’heure, c’est l’annonce par l’entreprise de la mobilisation dans les jours à venir de contrôleurs en vue de réprimer les infractions au règlement intérieur. Quelques rares mandataires considèrent que le nouveau marché d’El-Kerma est un « fiasco ». L’un d’eux en veut pour preuve que « 80% des détaillants oranais vont se ravitailler à Mostaganem depuis la démolition des halles centrales », ajoutant entre deux bouffées de tabac : « en ce qui me concerne moi-même, j’ai perdu tous mes clients », en pointant son doigt vers un stock invendu de banane. Cette version d’exode massif des commerçants oranais vers le marché de gros de Mostaganem inspire d’autant la méfiance que le même commerçant, questionné plus tard sur ce qui ne va pas dans le marché d’El-Kerma, selon lui, répondra : « Rien ne va, même un café express coûte 50 dinars ». La bourde de trop ! Tous les présents, ses voisins de box compris, lui font remarquer que la cafétéria n’a pas encore ouvert, le concessionnaire gérant ne s’étant même pas installé.

La marchandise est en tout cas disponible ici, à gogo même. Les ventes, quant à elle, ne sont pas mauvaises, disons. Il y a des mandataires qui écoulent facilement leur produit. D’autres, un peu moins. A qualité identique et à prix égal, le capital « notoriété » fait la différence entre deux concurrents. « Une carte visite, un fonds de commerce, ça nous suit où qu’on aille. C’est une question de savoir-faire, un don de commerçant », se vante un mandataire, dont les employés s’affairent à déplacer les commandes vers trois camions à la fois.

L’offre étant un peu supérieure à la demande ces jours-ci, généralement, les prix de gros sont abordables pour la plupart des produits. Par exemple, la pomme de terre est proposée entre 25 et 35 DA le kilo, la carotte 30 DA, tout comme la betterave et le navet, le concombre entre 35 et 40 DA, la tomate 50 à 55 DA, la courgette 25 DA, l’aubergine 60 DA, le chou-fleur 50 DA, le haricot vert 90 DA, le poivron 90 DA, l’ail d’importation de 90 à 160 DA, le citron entre 90 et 130 DA. Pour les fruits, la pêche coûte de 100 à 140 DA le kilo -selon l’espèce et la qualité -, la poire d’importation entre 200 et 250 DA, l’abricot de 80 à 85 DA, la pomme d’importation 200 DA, la figue entre 70 et 80 DA, le raisin 500 DA, la pastèque 50 DA, le melon 70 DA, la banane 95 DA, le kiwi 300 DA, les dattes 200 DA, le cerise 500 DA, etc. Un relevé de la mercuriale avec le poids total entrant de chaque produit est quotidiennement dressé par l’entreprise de gestion.

UN MOTEL ET UNE STATION-SERVICE A VENIR

Le directeur de l’Epic fait savoir, d’autre part, qu’un service sera créé pour recevoir les commandes des collectivités et des institutions (l’armée, les hôpitaux, les maisons relevant de la DAS, etc.) pour les faire passer aux mandataires, selon des règles de concurrence transparentes. Le but d’une telle démarche est de contrecarrer les manoeuvres spéculatives à l’occasion des transactions directes, explique-t-il. Dans le même registre des « innovations », un site sera aménagé en motel, avec toutes les commodités nécessaires, pour permettre aux fournisseurs ou clients qui viennent de loin de passer la nuit. Ça sera payant bien-sûr, précise-t-il. Aussi, une station-service est projetée à l’intérieur du marché. Par ailleurs, selon des indiscrétions, certains box, parmi les 194 qui ont été affectés dernièrement par tirage au sort, auraient été déjà sous-loués par leurs bénéficiaires, lesquels ne seraient pas mandataires de profession et auraient profité de la conjoncture pour se faire recenser en tant quel tel dans la foulée des démarches pour la délocalisation du marché de gros. On parle même d’émigrés résidents en France qui ont sous-loué le local au prix fort de 60.000 DA le mois, avec deux années d’avance, sachant que le tarif officiel du bail est de 14.000 DA, pour un box équipé de sous-pont, et de 11.000 DA, pour un box ordinaire. Confronté à ces « rumeurs », le directeur de l’Epic de gestion affirme avoir en effet reçu des dénonciations en ce sens et avoir, suite à cela, déclenché récemment une enquête pour débusquer d’éventuels cas de sous-locataires. Selon le même responsable, la sentence est claire en pareil cas ; tout bénéficiaire qui n’exerce pas effectivement au niveau du box dont il a bénéficié sera automatiquement déchu.