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Explosion du marché halal en France: La fatwa en euro des barons de l'agroalimentaire

par Kader Hannachi

Mardi et mercredi prochain s'ouvre à Paris le Salon du halal. L'édition 2012 intervient dans un contexte où ce marché, bien que faisant l'objet d'inquiétudes et de critiques de la part de groupes politiques et associatifs en France, ne connaît pas la crise. Les appréhensions qu'il suscite chez les non musulmans sont balayées par les enseignes de l'agro-industrie. Ses recettes sont estimées à plus de 5 milliards d'euros depuis 2010.

Dans le grand roman national français, l'intégration passe par la table et le lit. C'est ce que rappelait récemment et fort bien Gilles Kepel dans le journal Le Monde. L'islamologue qui avertissait que la narration de ce récit fondateur de l'Hexagone laïc est aujourd'hui «raturée» par la polémique sur le halal, a lancé une invitation au débat.

Les arguments qu'il développe en tant que sociologue français sont jugés sérieux : il met en garde contre les formes de discrimination et de crispation identitaire que la question a fait apparaître. Il pointe aussi le risque «d'endogamie communautaire». Car «passant de la viande à la chair», le halal, suggère-t-il, peut signaler une tentation de repli des groupes de confession musulmane; et générer, peut-être, de nouvelles fractures identitaires. C'est que l'affaire est sérieuse ! Depuis de longues années, elle mobilise les appareils politiques français pour des desseins idéologiques ou électoraux. Certains partis, à l'image de l'UMP de Nicolas Sarkozy ou du FN de Marine Lepen, en ont fait, sporadiquement ou systématiquement, un thème de campagne pour les présidentielles d'avril prochain.

Entre les «pour» et les «contre», ils ont construit un discours dont l'effet critique a été de susciter des frayeurs parfois dangereuses et xénophobes. Mais, loin des affaires de cuisine et de chambre à coucher propres aux subtilités de l'intégration à la française, les barons du marché de l'agroalimentaire, plus proches des tiroirs-caisses, rassurent. Pour certains, le halal n'est pas un signe de repli communautaire mais plutôt un signe d'intégration. «Les musulmans veulent consommer à la française mais halal», explique à l'AFP Antoine Bonnel, le directeur du Salon halal. Pour d'autres, le marché a tellement explosé qu'il n'est plus confiné à la seule consommation de la viande. Désormais, on trouve sur les étals des magasins des produits divers : charcuterie, pâtisserie, bière et champagne sans alcool, bonbons, petits pots pour bébé, nems, pizzas, etc.

En trois ans, affirme le cabinet Solis, spécialiste des «sondages ethniques» en France, le marché du halal a progressé de 10 à 15% par an pour atteindre, aujourd'hui, les 5, 5 milliards d'euros. De quoi mériter toutes les fatwas laïques et d'inciter les grandes marques de l'agro-alimentaire comme Nestlé, Panzani et les hypermarchés Carrefour et Casino à s'y mettre. Depuis peu, ils sont suivis par les chaînes de fast-food qui comme Quick s'est récemment lancé et non sans remous politiques dans l'aventure à partir Roubaix dans le nord de la France pour étendre le produit à 14 autres établissements de son réseau.

L'intérêt de l'agro-industrie pour le halal en France, rappelle-t-on, est tardif par rapport à l'Angleterre qui a connu ce phénomène il y a déjà plus de vingt-cinq ans en raison des fortes communautés musulmanes originaires d'Asie. Aujourd'hui, pourtant, les professionnels français sont en train de créer un modèle de marché pour toute l'Europe. «Il y a quelques années, le Royaume-Uni était en avance porté par le modèle pakistanais et malaisien mais aujourd'hui nous avons dépassé l'Angleterre au niveau du nombre de produits certifiés», confirme le cabinet Solis à l'AFP. There's no business like hallal business ? A chacun ses goûts et ses saints et vive le profit plutôt.