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Ne craignez rien.
L'islamisme a grandement progressé. Il va avoir sa droite, sa gauche et son
centre. Seule la sémantique reste à refaire. C'est selon. Une éclaircie
couvrira le monde arabe. Un gros nuage va le mettre sous une chape de gros
soucis.
La température y est tantôt ambiante, tantôt imposée. Apres un printemps violacé irradiant espoir et sang, voilà un hiver vert qui s'annonce majoritairement sur la tête des maghrébins. La religion est certes une constance dominante au sein de la géographie théologique du monde arabo-musulman. Son immixtion dans le champ politique a été, jusqu'à un certain temps, limitée à des entités sectaires bien situées dans l'espace sus-dit. Mais avec l'avènement des révolutions printanières et ce qu'elles créèrent comme transmutation dans l'exercice de l'acte public gestionnel des affaires, la donne a pris une autre allure. En Tunisie, En-Nahdha est majoritaire. En Libye, l'embryon du politico-religieux pointe son nez dans le nouveau paysage encore brouillé d'une nouvelle morphologie voulue démocratique. Les élections égyptiennes imminentes vont apporter, elles aussi, un score flagrant et irrésistible des frères musulmans. Le Maroc vient lui aussi de plonger dans l'identique lancée et ne fausse pas la reconfiguration idéologique que va connaitre le grand Maghreb. Un peu plus loin, l'Egypte définit à la manière de la mode maghrébine sa nouvelle donne politique. Les frères y sont aux premières lignes. Ceci ne signifie rien en termes profondément politiques, si ce n'est cette hargne longtemps emprisonnée dans une société voulant s'affermir car hermétiquement fermée à toute expression. L'exemple nous est donné par nos années 90. L'on parlait de vote-sanction. La mouvance dite islamique s'est rapidement répandue, comme une trainée de poudre et par la poudre à travers le tissu social pour qu'ensuite elle se voie s'incruster dans les arcanes menant droitement vers la prise du pouvoir. Un répit fut cependant observé. « L'interruption du processus ». La casse était meurtrière et le prix se payait fort en devises de carnages et d'assassinats. Le processus électoral ininterrompu devait impérativement avoir lui de peur de connaitre une prépondérance à vocation dominante de prélats. Mais avec le temps, la marche tonitruante de la démocratie et sa standardisation comme mode factuel de gouvernance, cette option ne semble plus faire peur. Reste cependant son expérimentation par un sieur paraissant fort galant nommé Ghanouchi. Le monde extérieur l'attend aux détours de sa politique gouvernementale. Elle s'impose au contre gré des plus libéraux comme une résultante céleste de toutes les opérations révolutionnaires déclenchées çà et là. Un raisonnement entièrement social. Alors, bienvenus au club à tous. La mouvance islamique gagne ainsi tous les terrains, là où une contestation se fait surgir. A proximité de la masse, au contraire des politiciens de salons et d'écrans, elle rafle et raflera toutes les mises. C'est cette chose là, ce sentiment futur d'un nouveau schéma du monde polico-religieux, que des exégètes commencent à s'investir dans la conception de nouvelles idéologies, sinon patronne l'émergence d'approches à faire imprégner dans l'acte politique. Kardhaoui, dans une représentation télévisée, converse librement des modalités du vote, du code électoral, de l'abstention, des scrutateurs et du dépouillement de voix. Il évoque également les cas de fraude, de détournement de l'expression élective, en se référant à chaque module à un verset ou un hadith. Le cheikh a ainsi traversé un pont jusqu'ici demeuré distinctement infranchissable en conceptualisant la démocratie sous un angle religieux. Il aurait démontré que la démocratie n'était pas une apostasie. Il manie dans une symbiose mystique la règle participative populaire, la chariaa, et la liberté du choix. A l'entendre l'observateur qui vous sert, se croyait être dans un cours d'une école de hautes études politiques dédié en exclusivité à l'autopsie des systèmes électoraux à travers les âges et les univers. Et si kardhaoui se portait candidat à l'élection présidentielle de son pays ? Une chose pas mal, diront ses adeptes mais certainement aussi les Etas unis, l'Union européenne, la Russie et même la chine. L'on oubliera aussi vite, une fois son intronisation célébrée, ces appels au meurtre et au lynchage. Ses sentences fetwaiques de légalisation du sang et du fratricide. Tout ceci dessine en filigrane et au crayon à mine, selon la mine de chacun, ce que sera le monde arabo-musulman de demain. L'intégrisme va changer de nom, comme le terrorisme va changer de camp. Verra-t-on des démocrates faire des faux barrages ? Les origines du redéploiement de ces forces qualifiées d'obscurantistes qui s'incubaient dans un mutisme total au sein des pays maghrébins remontent à leur indépendance. Tous les systèmes politiques introduits après le recouvrement de cette indépendance, ont eu cette tendance hégémonique de vouloir castrer toute mouvance d'ordre religieuse. La fragmentation du champ d'intervention et de sa puissance de persuasion devenait un objectif non déclaré à atteindre par tous les dirigeants de la sphère arabe. L'avènement du terrorisme a facilité la tache. La mise à l'écart de toute disposition organique prônant un brin d'islamisme dans un quelconque programme national à caractère politique était, déchiffrée par l'occident comme un rempart à un dérèglement sociétal rampant. Les partis se prévalant de cette option ont vite été laminés, quand ils ne formaient pas un décor superficiel pour charmer les appétits d'une démocratie rendue nécessaire. C'est au nom des droits de l'homme et notamment de la lutte contre le terrorisme que les régimes arabes durs et directifs ont non seulement pu dématérialiser toute l'idée tendant à faire surgir un Etat religieux mais su aussi, par voie de conséquence se maintenir. Leur survie dépendait justement, pensaient-ils de ce défaut de légitimation. L'appropriation de la gestion politique de l'islam est ainsi devenue une chasse gardée pour le pouvoir en place, seule moyen de désamorcer la contestation islamiste. L'Algérie a connu cet embarras avec l'imbroglio constitutionnel crée par l'article 40 qui mal interprété avait permis à « des associations à caractère politique » de réinventer le paysage national. La suite est connue. Peu après 1999, l'on assiste à l'émergence, voire à une mise en valeur des zaouïas. Laissées pour compte depuis fort longtemps, que ce soit durant la révolution par les Oulémas algériens, ou par Boumediene durant la construction du socialisme ; ces confréries ont pris de l'allure et sans rougir s'investissent nonchalamment dans le champ politique. Elles étaient de toutes les élections présidentielles. En Tunisie, la laïcité bourguibienne restée inachevée n'avait pu se faire ni assurer sa complémentarité dans son entièreté sous le règne de Benali. Seuls des droits sociaux façadiers sont à enregistrés au profit de la femme. Rien de plus. L'activité politique était toujours cadenassée et la moindre dissidence sévèrement châtiée. Au Maroc, tous les rois successifs proclamés constitutionnellement comme des commandeurs des croyants, avaient fait de la monarchie une délégation divine. Donc c'est au roi que la mission de sauvegarde et d'application de la charia reste dévolue. Le royaume devient sans conteste une « unique institution religieuse légitime ». Devant un tel durcissement les classes défavorisées intellectuelles ou non se refugiaient indistinctement dans les plis de la résignation et de la fatalité qu'offrait altièrement toute religion. Le mektoub et le sabr pris pour un attentisme tactique ne pouvaient longtemps survivre au sursaut que recommandaient aussi le djihad et l'intifadha. Mais avec la déchéance de la vie sociale, ses inégalités et les conditions ardues la contestation, la révolte et la désobéissance civile se sont vite installées dans la cavité de chaque membre de la société. La mouvance était là pour recueillir un par un les aigris, les recalés et les mis pour compte. Les régimes continuant à faire taire les voix chicaneuses accentuaient davantage le style de la camisole et de la bande adhésive buccale. Voilà que survient le printemps arabe où toutes les énergies sociales de toute obédience politique, du laïc, au croyant à l'athée au démocrate, au centriste jusqu'à l'apolitique s'y sont impliquées et se trouvèrent unis pour la cause : renverser un régime. Une fois fait, la mise est semble t-il d'un seul coté. Mettant à profit « la révolution » des jeunes, les vieux loups et les apparatchiks de la nomenklatura islamo-conservatrice se sont tous imprégnés de l'esprit vociférateur du « dégage ! » et de « irhal ! ». C'est grâce à ces jeunes que le démantèlement des obstacles en face de telle mouvance a eu lieu. Depuis ce fameux printemps, si l'on dénombre le nombre de morts pour la cause ; qu'elle serait d'abord leur tranche d'âge, puis leur couleur politique ? Tous des jeunes, la majorité sans ancrage idéologique. De simples citoyens lambda. A-t-on vu un leader, un co-leader blessé, agressé ou tout simplement interpellé en début de soulèvement ? Ils scrutaient avec perspicacité l'évolution et toisaient les probabilités de réussite. La télécommande était alors un bon instrument de mesure ; quand affalés sur leurs sofas, ils soupesaient opportunément le meilleur moment d'intervenir. Il a suffit que la marche révolutionnaire prenne un trait irréversible pour que les écrans de télévision fassent affluer des « personnalités » costumées dissertant sur les tenants et aboutissants de la révolution. L'un ancien interné, emprisonné, persécuté l'autre pionnier retiré, en exil, ou dans une opposition factice. Amr Moussa a mis quelques jours pour rejoindre la place Tahrir, après avoir corroboré prudemment l'offre de Moubarak à venir aux termes de son mandat. Ghanouchi a foulé le sol tunisien, une fois le terrain défriché et tapissé pour lui. Par contre Bouazizi et autres jeunes égyptiens n'ont eu de mérite que celui d'avoir dorénavant à être cités dans les nouveaux manuels scolaires relatant à nouveau l'histoire. Quant à la Lybie, les « révolutionnaires » pervertis et déboussolés ne savent plus à quel « saint » se vouer. Voilà qu'ils sont incapables de pouvoir former un gouvernement, provisoire soit-il qui puisse acquérir un acquiescement total et « majoritaire ». Un Abdeljallil qui se dédit à chaque conférence de presse, lorsqu'il annonce l'impérativité de référentiels islamiques à toute disposition légale, ne sait encore plus ce que veut sa population. Le libyen pratiquait bien la religion, mais manquait ardemment de liberté et d'expression. Maintenant que les sociétés ara bes sont au pied du mur et contraintes à aller à l'endroit de cette nouvelle géographie politique, que doit-on faire ? vivre en cohabitation ? Les constituantes sont un peu partout. Les projets de constitutions sont aussi en cours d'élaboration. Outre leur aspect d'organiser les pouvoirs en les séparant à l'orthodoxie des règles solennelles, il y aura lieu de peaufiner en leurs dispositions de véritables cahiers de charges. Assurant les droits et les obligations, tant pour les uns que pour les autres, il est question de respect mutuel dans l'alternative aux commandes du pays. Si jusqu'à maintenant la majorité persévère à exercer légitimement la conduite des affaires, ce qui en termes absolus la place dans une posture dictatoriale sans nul recours, la situation avec la protection des minorités doit elle aussi être garantie dans la loi fondamentale. Le cahier des charges aura à s'arranger pour que la majorité n'ait plus de prérogatives illimitées et la minorité puisse jouir de garde-fous garantissant sa liberté à chercher et avoir le pouvoir. Les moyens ne seront que pacifiques. Ainsi l'institutionnalisation ou l'appropriation en exclusivité de la religion doit être évitée ce qui permettra l'accession de tout citoyen sans distinction confessionnelle au libre exercice de sa citoyenneté. En vertu de cette ouverture d'une autre couleur politique, les nations arabes voire maghrébines doivent se résoudre à vivre en pleine harmonie. Prenant justement les préceptes islamiques de la cohabitation, ces nouvelles majorités se mettent à l'épreuve de la gestion intégrée. C'est vrai que les ex-majorités survivaient par la carotte ou le bâton. Les actuelles se doivent de s'empêcher de le faire avec le minbar ou le bâton. Les sciences essentielles du management politique sont de nos temps permissibles, étant disponibles pour ceux dont l'esprit n'est plus fixé sur un rituel ou des ablutions. Ceux-ci sont et demeureront une intimité causale et intrinsèque fortement individuelle. La religion dans nos contrées n'a été à travers le temps qu'une solidarité et une assistance partagée. Gérer le citoyen et non le croyant tel est par philosophie le challenge à remporter par les nouveaux maitres maghrébins. La foi religieuse comme la conviction idéologique se doit d'agir dans la bienfaisance et le bonheur social, économique et universel. L'histoire algérienne, voire musulmane contemporaine garde dans de bons soins soyeux cette expérience vécue à Damas au mois de juillet 1860; où l'Emir Abdelkader contre vents et marées arriva à assurer une haute protection à des chrétiens persécutés, chassés à mort et obligés à piétiner la croix, venus se refugier en sa maison. Parmi les fugitifs se trouvaient les consuls d'Amériques, de Russie et de Grèce(1). A l'époque le conseil de sécurité n'existait pas, ni d'ailleurs la ligue arabe ou le congrès musulman. N'est-ce pas, là un exemple extraordinaire de tolérance, de générosité et de philanthropie ? 1-Boualem Bessaih. In les grandes figures de la résistance algérienne. L'Emir Abdelkader : L'apôtre de la résistance algérienne. ElDjazair.com. N° 43.Octobre 2011. |
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