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La preuve par le terrorisme et la T.V

par Abdou B.

«La bêtise au front du taureau» Baudelaire

Les lectures, les analyses qui ont suivi les discours et annonces du président de la République font florès et bien entendu soulèvent de légitimes questions et suscitent de justes méfiances. Les cheminements du pouvoir d'un côté et de la société de l'autre ont été durant les décennies parallèles, et marqués par la violence, l'autoritarisme et les monopoles absolus de l'administration, d'un syndicat et de cooptations obscures. Dans la foulée des «révolutions» arabes, de la montée en puissance des mouvements sociaux, de la prégnance active de l'intérêt, des réseaux sociaux, de la prise en compte intéressée par de grandes puissances du monde arabe, les choses bougent en Algérie. Malgré des résistances fortes, des rentes fabuleuses, les risques réels de pertes de pouvoir, d'influence et beaucoup plus éventuellement du statu quo, le ronron institutionnel et les siestes mémorables du Parlement ne sont plus tenables. Dans tous les scénarii possibles, sincères ou pour gagner du temps, il apparut urgent de faire bouger les lignes. Pour le pouvoir, l'opposition, la société civile, les jeunes organisés ou pas, les élites et les experts, l'Algérie doit opérer un saut qualitatif ou se préparer à des sauts dans l'inconnu et la violence.

A juste raison, des voix crédibles dans de nombreux secteurs s'interrogent quant à la sincérité sinon sur les capacités de M.Bouteflika pour mener à bon port les réformes annoncées. Ces dernières, malgré des imprécisions (calculées?) des sentences parfois lapidaires, des incursions maladroites de l'exécutif dans la vie interne des partis, dans la répression disproportionnée et surtout illégale en fonction de la Constitution, des lois, de la levée de l'état d'urgence sont dites. A la manière de M.Bouteflika, à l'intérieur d'un système hors du temps, par sa confusion, ses cacophonies et des contradictions criantes, des avancées qui jurent avec la nature des institutions actuelles sont mises sur la table. Et parfois avec colère, sinon brutalité à en croire des confrères plus et mieux informés.

 Le président de la République remet en cause des axes importants de la Constitution (pourtant revisitée par ses soins), le trafic des urnes, la représentativité de l'actuel Parlement, la pénalisation des délits de presse avec des doutes sur sa majorité etc. Si ces intentions sont réelles, pour des raisons nombreuses et variées et si beaucoup de propos prêtés à M.Bouteflika sont vrais, il y a des disqualifications aussi vraies qui méritent l'attention de tout le monde, des regards nouveaux et des décisions courageuses qui trancheraient avec la guerre des tranchées qui ne sert que le statu quo et la rente, propres aux forces rétrogrades.

Seraient donc disqualifiés des acteurs et même des institutions qui ont surtout brillé les dix dernières années par l'attentisme le plus fainéant, par l'absence totale d'idées aux plans culturel, politique, sociétal, économique, urbanistique, agricole, universitaire etc. Ils seraient par conséquent disqualifiés, pour exécuter des réformes qui les poussaient à la porte en provoquant un changement systémique, qui ferait basculer toutes les constructions illégitimes, peu légales et entachées de fraudes, de détournements, d'atteintes aux libertés et au pluralisme? C'est autour de ces problématiques, de personnages, d'administrations hégémoniques et d'un réel déficit de confiance que tournent les questions, les hésitations, les méfiances et l'attentisme de partis, de courants et de personnalités influentes dans le champ politique.

Le F.F.S a émis un signal à prendre au sérieux, en refusant d'aller à un dialogue dirigé par M. Bensalah. Les supporters des thèses du F.F.S, des courants et des personnalités en dehors des appareils partisans estiment que le choix le plus judicieux, le plus fédérateur et le plus pertinent aurait dû se porter sur un homme, un duo ou un trio indiscutables aux plans de toutes les légitimités, non futurs candidats à une présidentielle et susceptibles d'être écoutés par la majorité des partis représentatifs, de la société civile, de la jeunesse et des élites. Mais les noms avancés seraient automatiquement refusés (dans les coulisses) par les appareils, une partie des services et des «familles». C'est dire les difficultés qui attendent M. Bouteflika. Ce dernier, selon des fuites plus ou moins crédibles, est fermement convaincu et décidé à faire faire au pays des réformes de qualité, qui lui donneraient la reconnaissance sinon l'amour du pays, des jeunes et ceux de la postérité sur les tables des grands hommes d'Etat qui ont marqué leur pays et la marche de l'humanité.

La chose est difficile, les haines et les soupçons insondables. Les rancunes sont énormes, tenaces et empoisonnent le champ politique. L'Algérie a une vraie «spécificité», une terrible «constante». Etant le pays qui a été, qui est chaque semaine meurtri par des meurtres islamistes qui portent sous terre des anonymes en uniformes. On en connaît que le nombre affiché en première page de la presse privée. Pas une seule fois, le pouvoir et l'opposition n'ont eu le courage de prendre langue pour une grandiose manifestation comme Alger en a connu avec le F.F.S et le F.I.S. Le seul mot d'ordre en théorie consensuel: «Non au terrorisme!» n'a jamais trouvé des preneurs réunis. Alors aujourd'hui, il peut être crédible de croire ceux qui disent que le statu quo et le terrorisme sont du pain béni pour le pouvoir et des courants dans l'opposition.

Les crispations autour de l'audiovisuel ajoutent au soupçon, à la méfiance et aux résistances des appareils rentiers. Des officiels balbutient des incantations débiles sur le cahier des charges de la seule chaîne qui a une existence juridique, alors qu'ils ne l'ont jamais ni lu, ni demandé son abrogation et encore moins son application. Aujourd'hui, toute la classe politique accepte deux choses unanimement. La première est qu'un seul diffuseur qui ne tient pas une minute devant la richesse des offres concurrentes, propose des «programmes» pour tous. De 6 à 89 ans, les Algériens, clonés ou mutants regardent les mêmes choses. C'est ce que feignent de croire des décideurs parabolés dans le pays le plus parabolé de la terre pour longtemps. Une pour tous, mais tous branchés ailleurs! La chaîne unique et ses programmes annexes sont les principaux obstacles aux discours de M. Bouteflika. Ils torpillent tout à la source, c'est l'avortement avant la conception! Qu'ont-ils tous à chercher un cahier des charges, des instances de régulation et d'arbitrage pour le cinéma et l'audiovisuel, des Conseils supérieurs, des parts d'audience? L'Algérie en a déjà fait l'expérience avec des hauts et des bas avant «les révolutions» arabes? Il leur faudra juste lire les cahiers des charges des médias lourds et ceux des diffuseurs privés dans le monde. Et surtout, ouvrir son esprit, ce qui est le plus dur, lorsqu'il s'agit de regarder sa société comme elle est, et non comme un mineur autiste à perpétuité.