|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
La réussite de la
transition dépend du soutien populaire si le soutien politique fait défaut; le soutien politique est à son plus haut niveau
lorsque les objectifs de l'agence sont populaires, ses tâches simples, ses
rivaux inexistants et les contraintes minimes. Ces conditions s'appliquent
rarement aux bureaucraties gouvernementales et encore moins à des institutions
chargées de conduire une transition démocratique;
c'est-à-dire elles vont bouleverser les équilibres existants. En d'autres
termes, il y aura toujours de la résistance et la volonté de maintenir le statu
quo. Le maintien du caractère pacifique et structuration de la mobilisation
populaire restent déterminants. Jusqu'à maintenant, le régime algérien (à
l'instar de nombreux pays de la région) a adopté une stratégie de survie
impliquant un pluralisme guidé, des élections contrôlées et une répression
sélective. Il s'agit d'un exercice d'équilibre où les dirigeants diminuent ou
augmentent les limites de l'ouverture politique en réponse à ce qu'ils
considèrent comme facteurs stimulant le régime; un
cycle dans lequel le régime oscille entre autoritarisme et libéralisation,
selon leur perception de la menace. Le régime traite les attentes nationales en
fonction des points de vue des dirigeants, de l'intensité de l'opposition
politique, du degré des pressions internes et externes, entre autres.
Craintes des mouvements de masse La société algérienne a connu des transformations profondes. Il faut s'attendre à ce que son rôle soit plus important sur les décisions politiques. Plusieurs signes étaient déjà visibles. Les manifestations sur le gaz de schiste, par exemple, montrent clairement que les populations cherchent à avoir leur mot à dire sur les orientations stratégiques de la nation. Au-delà du lieu de localisation des protestations (au sud de l'Algérie -un fait exceptionnel- et partiellement soutenue au Nord), elles ont impliqué différentes couches de la société algérienne et pas seulement les jeunes. La nature de leurs revendications est aussi inhabituelle. La conscience environnementale était indéniable. D'où la difficulté de coopter les manifestants financièrement, car ils n'avaient pas de revendications sociales liées à une classe particulière, mais des demandes environnementales-économiques. Les manifestants voulaient que le gouvernement cesse toute activité sur l'exploration du gaz de schiste. Ce mouvement posait des défis tout à fait nouveaux au pouvoir politique, traduisant l'émergence d'une conscience nouvelle. La dimension environnementale n'est que l'une des expressions des transformations profondes qu'a connues la société algérienne. Le message politique était clair: les grandes options économiques du pays ne sont plus l'apanage du gouvernement, mais aussi de la société civile. Les manifestants défendaient le droit de la population à participer aux grandes décisions économiqueees et stratégiques du pays. Ceci ouvre une nouvelle phase, souvent tendue, dans la relation entre le pouvoir et la société. Malgré la présence de nombreux signes, le pouvoir algérien est resté myope au point où des personnalités politiques vantent publiquement la capacité du gouvernement à contrôler les manifestations. Les Algériens n'ont jamais été fatalistes. Ils n'ont jamais résigné à leur sort. L'Algérie est familière avec les manifestations quotidiennes. La stratégie toutefois du gouvernement a toujours cherché à éviter la convergence des contestations dans le temps et l'espace ; ne pas se produire en même temps à travers tout le pays. Les manifestations sont restées dispersées, géographiquement, et ne se produisent pas en même temps. Historiquement, les élites au pouvoir se révèlent incapables d'accepter et n'admettent pas qu'il pourrait exister des raisons légitimes qui poussent les populations à se rebeller contre leurs codes et règles. Ces mouvements de masse sont décrits comme non démocratiques, et l'expression irrationnelle des griefs partagés, découlant de la privation ou des conditions aliénantes de la ?société de masse'. Ce type d'analyse des mouvements populaires a marqué la pensée des élites durant des siècles. De manière générale, elles affichent constamment une profonde ambiguïté et ambivalence au sujet des mouvements de masse, dépeints généralement comme une menace. Les élites présentent les formes de comportement collectif comme spontanées, émotionnelles et socialement pathologiques. Par conséquent, si ces «vagues de fanatisme de masse» sont laissées sans contrôle et surveillance, cette forme potentiellement dangereuse d'activité non institutionnalisée pourrait menacer un mode de vie apparemment sain, stable et bien établi. Les élites supposent que ces mouvements surgissent en réponse aux griefs de personnes souffrant des dislocations et aliénations qui accompagnent le changement social, économique et politique rapide. Ce qui donne lieu à un comportement collectif «irrationnel, impulsif et déviant». Les élites ont d'énormes difficultés à percer la dynamique des mouvements de résistance et de masse en dehors que l'idée que qu'ils sont des fanatiques irrationnels. Elles gèrent cette tension en attribuant toute efficacité causale une «main étrangère» ou à une «avant-garde» d'extrémistes sinistres qui manipule les masses. Crane Brinton traduit cette pensée. Comme pour la maladie, écrit-il dans «L'Anatomie de la révolution» (1938), les symptômes d'une révolution sont généralement présents avant que la maladie ne soit diagnostiquée. Ces «symptômes» sont souvent présents pendant des générations. Comme une maladie avec une forte fièvre, les révolutions commencent souvent avec modération [les Règles des Modérés] et se terminent par «une crise [?] un délire [avec] la domination des révolutionnaires les plus violents [les Règles des radicaux], le règne de la terreur». Les déclarations du gouvernement traduisent la même réflexion lorsqu'il avertit : « Les citoyens ont offert des roses aux policiers, c'est beau, mais je rappelle qu'en Syrie, ça a commencé aussi avec les roses ». Toutefois, les Algériens ont montré une grande maturité. Outre le pacifisme et la maturité des manifestants, il convient de noter la forte implication des femmes algériennes, qui est un signe de la profondeur des transformations sociétales. Difficultés de changement Il convient de garder à l'esprit que la transition démocratique sera le résultat contingent de processus politiques dynamiques et qu'elle n'est donc ni statique ni entièrement cohérente. En effet, les problèmes que créent les changements récents en Algérie pour les hommes politiques et fonctionnaires sont fondamentalement différents de ceux qu'ils créent pour d'autres analystes. Cinq principaux organismes et ensembles d'agents peuvent être distingués ; les analystes académiques ; les organismes gouvernementaux ; les organismes non gouvernementaux ; les médias ; et les personnes dans la vie quotidienne. A l'exception de la première catégorie, dont l'orientation est principalement ?mais pas nécessairement- théorique et analytique, les autres ont (du fait que les changements en cours empiètent sur la conduite de la vie sociale) une orientation globalement pratique, une orientation à l'action et les stratégies d'action (Il y a aussi une différence entre les quatre autres catégories). En d'autres termes, le politicien et le fonctionnaire opèrent directement dans le monde réel et sont soumis aux contraintes du facteurs-temps et des ressources. Leur approche est normative, prescriptive et prospective. Elle n'est pas simplement empirique et ne vise pas seulement à décrire et à expliquer les phénomènes et à envisager le futur. Leur analyse évalue les choix politiques et stratégiques auxquels l'Etat est confronté, et recommande souvent un plan d'action. La question est ; comment gérer et canaliser le mécontentement populaire et le traduire en énergie positive. Pour l'instant, aucun programme avec contours clairs susceptible de recueillir le consentement des algériens n'est en vue. A ce titre le pouvoir et l'opposition ne propose rien sinon quelques déclarations générales qui sont, par définition, larges et globales. Ces déclarations prennent la forme de paroles émouvantes et d'observations générales sur les défis, mais les traduire en action nécessite est un pragmatisme complexe. Cela pour dire que le vrai capital d'un homme ou d'un parti politique est sa capacité de mobilisation. A cet égard, l'opposition s'est démarquée par son éclipse et a raté une occasion historique de conduire le changement. Désarmée intellectuellement, l'opposition est dispersée, sans véritable projet de société et sans un vrai profond ancrage social-national. Ce qui explique le rejet de la politique. A cause de la faiblesse de l'opposition, le réveil du peuple algérien a eu lieu sans qu'il y ait les outils pour le traduire institutionnellement. L'opposition ne peut pas s'enfermer dans le slogan du «dégagisme». Elle a la responsabilité de présenter une vision heureuse de l'avenir Pour l'instant, il y a la proposition du pouvoir. L'opposition doit présenter sa feuille de route ; ce devrait être projet contre projet au lieu de s'enfermer dans le slogan «dégagez». C'est la seule façon de sortir de cette inertie institutionnelle. Comment l'opposition envisage-t-elle l'avenir ? Maintien ou pas des élections à la date prévue ? Y aurait-il une période de transition, et si oui, quels seront les acteurs ? Combien va-t-elle durer ? etc. Au mois elle doit faire émerger les contours autour de lesquels les débats seront axés. Une transition négociée intelligemment et fermement sur la base de lignes claires est susceptible de conduire au bon port. Le «dégagisme» pur et simple a montré ses limites. Le cas de la Tunisie et de l'Egypte sont deux parfaits exemples. Ben Ali et Moubarek sont partis, mais les anciens membres des régimes déchus ont fini par trouver un moyen de retourner au pouvoir. Seules des propositions concrètes pourraient remédier à l'éclipse de l'opposition et lui donner crédibilité. La feuille de route se situe dans une sphère ambiguë entre la complexité de la gouvernance et les aspirations et revendications légitimes des populations. Naviguer entre l'ordre/sécurité et liberté/justice/paix exige une clarté quant à la finalité politique ?qui obtient quoi comment et quand. Au fur et à mesure que les idées prennent formes, le but de la feuille de route évolue, passant de son rôle d'un outil pour comprendre la réalité (outil d'apprentissage et de compréhension) à un outil qui fournit une politique ou un plan d'action. Cette tâche nécessite une compréhension claire de ce qu'attendent les différentes parties prenantes ainsi qu'une connaissance du processus décisionnel. L'homme politique est impliqué dans un processus de dialogue et d'échange avec les populations. Le but principal de la recherche scientifique dans la communauté universitaire est de contribuer à la découverte de la vérité et d'améliorer la compréhension du monde. Les analyses des fonctionnaires gouvernementaux partagent cet engagement, mais sous un angle différent. En ce qui concerne le rôle fonctionnel, leur but ultime est d'aider le gouvernement à mener sa politique de manière plus judicieuse et à utiliser plus efficacement ses ressources et son pouvoir stratégique. Les idées et les théories sont censées définir, organiser et expliquer pour le monde pratique en quoi, quand et où les actes (ou les menaces) ont des conséquences stratégiques. L'orientation des fonctionnaires n'est pas seulement académique, mais surtout pratique en définissant correctement le problème et en précisant les principes de façon à créer une connexion optimale, à la fois, entre théorie et pratique, entre planification et action, et entre stratégie et tactique. La feuille de route est l'étude de «comment faire», un guide pour accomplir quelque chose efficacement. Tous les partis et les acteurs prétendant à jouer un rôle quelconque doit apporter des réponses à ces questions. Evidemment, la proposition du président est intrinsèquement anticonstitutionnelle et n'a pas de légitimité. Mais ce n'est pas la première fois que l'exécutif prend de telles décisions ; les pratiques anti-conditionnelles sont familières. Est-ce normal ? En aucun cas. A vrai dire, la constitution a toujours été la chose du régime. Bizarrement et soudainement, la même constitution, qui a été établie dans des conditions douteuses suivant un processus opaque sans le consentement de la population, est devenue la source de référence. En d'autres termes, insister sur l'aspect anticonstitutionnel de la proposition du président Bouteflika en se basant sur une constitution qui est elle-même n'a pas une base de légitimité solide n'a aucun sens. Un tel débat reflète un manque d'imagination politique. Il est important que l'opposition reprenne l'initiative si elle veut peser sur l'avenir de l'Algérie. Le président Bouteflika a eu quatre mandats pour préparer l'alternative. Mais il n'a rien fait. Le mot transition est une expression nouvelle dans le discours présidentiel. Mais les Algériens pourront-ils cette fois-ci faire confiance au régime ? La question ne se pose pas en termes de confiance bien qu'elle nécessaire. Il s'agit plutôt de rapport de force à construire, consolider, formaliser et institutionnaliser. Ensuite négocier la transition à partir d'un rapport de force. Aujourd'hui le rapport de force n'est en faveur du régime en place. Le peuple algérien s'est réveillé. Il reste à traduire ce «réveil» politiquement et institutionnellement. Le régime propose une transition, gérée par lui-même, à travers (entre autres) une conférence nationale inclusive et indépendante qui adoptera la Constitution. Théoriquement c'est cette Commission qui définira l'architecture institutionnelle de la nouvelle république. Mais quelle sera sa mission et sa composition ? Quels sont ses membres ? Quels moyens seront mis à sa disposition ? etc. Voici quelques questions cruciales. Agir pour influer sur ces questions pour avoir satisfaction semble plus intéressant que de discuter de la constitutionnalité surtout que l'on sait que l'Etat de droit a toujours été une fiction. Il s'agit d'agir pour déterminer l'ordre du jour et les termes du débat tout en restant mobilisé. Les bureaucraties gouvernementales, contrairement au secteur privé, ne peuvent pas allouer librement les facteurs de production ou définir leurs propres objectifs. Une bureaucratie n'est ni entièrement sous la direction directe de l'exécutif ni entièrement libre de toute influence présidentielle ou législative. Le contrôle sur les revenus, les facteurs de production et les objectifs de l'agence est entièrement conféré à des entités extérieures à l'organisation -législatures, tribunaux, politiciens et groupes d'intérêt. Le Parlement en particulier y exerce une influence à travers sa capacité à établir le budget de la bureaucratie. Des efforts constants sont déployés pour réformer une bureaucratie et changer ses objectifs. Apporter des changements s'avère souvent difficile. Car les organisations gouvernementales opèrent dans un domaine de contraintes particulier qui affecte leur capacité à exécuter les politiques et amorcer les changements. Contrairement à «la gestion des affaires qui se concentre sur la ?ligne de fond' (c'est-à-dire les profits), la gestion gouvernementale se concentre sur la ligne supérieure (c'est-à-dire les contraintes). Et cela a évidemment un impact sur la capacité d'action. La constitution ou la législation qui crée des organismes publics leur attribue des objectifs vagues, énumère seulement des préoccupations très larges et laisse la détermination de leur signification précise pour les forums politiques ultérieurs. Cela ne doit pas être le cas des institutions chargées des de la transition démocratique. Leurs missions, objectifs, ressources, composition, statuts doivent être clairement définis, sans aucune ambiguïté. En effet, l'une des difficultés inhérentes au développement de la transition démocratique découle du fait que les priorités doivent être établies à la fois parmi les objectifs, les opportunités, les problèmes, les menaces et les remèdes parce que le nombre de défis est immense et les ressources sont rares. Le processus décisionnel, qui diffère d'un pays à un autre, a son importance. L'élaboration des politiques publiques dans les systèmes européens, par exemple, a été comparée à un combat professionnel : deux prétendants, ayant gagné le droit d'entrer dans le ring, s'affrontent pour un nombre prescrit de rounds, et quand un combattant renverse l'autre, il est déclaré vainqueur et arrive à établir des politiques. Le système algérien est très opaque. Surtout depuis la maladie du président Bouteflika, le processus décisionnel algérien ressemble plus à une bagarre dans un bar dans laquelle n'importe qui peut participer, les combattants combattent tous les arrivés et changent parfois de camp, aucun arbitre n'est responsable, et les combats ne durent pas un nombre déterminé de rounds mais indéfiniment ou jusqu'à ce que tout le monde tombe de l'épuisement. L'absence d'un leadership consensuel qui bénéficie de l'appui de la majorité des Algériens ne facilite pas la tâche de la transition. La mise en œuvre d'un changement global en termes de cette transition démocratique nécessite des institutions et entités organisationnelles dotée d'une autorité et d'une capacité d'élaborer, d'évaluer et d'exécuter un programme intégré de réformes. La transition démocratique représente plus qu'un changement de cap. *Chercheur en histoire militaire |
|