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Les résolutions
d'un homme aux objectifs confus ne peuvent être authentiques (Al Mutannabi)
Qu'elle soit clairement reconnue ou soigneusement dissimulée, l'ambition personnelle est le moteur essentiel de toute action d'une personne visant à assumer le pouvoir suprême dans un pays, quelle que soit la voie qu'elle choisit ou qui lui est ouverte pour y accéder. Il n'y a pas de Saint parmi les chefs d'Etat ! La sainteté n'est pas un attribut recherché chez un homme politique qui nourrit l'ambition de se pousser ou de se faire pousser à la tête de cette collectivité nationale reconnue internationalement qui s'appelle l'Etat. Les mécanismes les plus transparents d'accès au pouvoir, que sont ceux promus et appliqués par les régimes démocratiques, n'ont pas pour objectif de garantir que seul celui qui n'est pas mû par ce sentiment de vanité personnelle, qui est le fondement de l'ambition politique, ait tant le droit que l'obligation morale d'occuper le siège de l'autorité suprême de l'Etat. Un homme qui n'a pas l'ambition de se placer au-dessus de la masse des gens, et qui refuse une autre vie que celle que peut lui offrir la jouissance égoïste du bonheur individuel, quels que soient le sens et le contenu qu'il donne à ce bonheur, ne saurait être attiré par une carrière pleine de risques et d'imprévus, et dont il ne contrôle que peu de données. L'expression «Un homme politique sans ambitions personnelles» est aussi paradoxale que l'expression : «un avion qui ne vole pas.» Pour la survie de la collectivité nationale Ceci rappelé, il n'en reste pas moins que toute collectivité nationale a besoin d'un homme à sa tête, qui en assure la direction, et qui promeut les idées, conçoit, décide de, et anime les actions dont l'objectif central est d'assurer la survie, si ce n'est la prospérité de cette communauté. Nul Etat, c'est-à-dire cet ensemble politique qui se résume en une nation, un territoire, une histoire, une culture, une langue, reconnue par la communauté internationale, ne peut se passer d'un chef d'Etat. Peu importe le moyen par lequel cet homme accède à cette position, à laquelle aspire tout homme politique : que ce soit par un coup d'Etat ou en respect des mécanismes définis dans la Constitution nationale de l'Etat en cause. Une telle position donne à l'homme qui l'assume le contrôle de toutes les ressources de la collectivité nationale : ressources humaines, ressources naturelles, ressources financières. Contrôle qui peut, soit être total, dans le cas où il n'existe dans le système politique en place aucun mécanisme permettant de faire contrepoids au détenteur du pouvoir suprême, soit être limité pour éviter tout abus de pouvoir de la part de cet homme. L'abus de pouvoir, partie de la nature humaine L'abus de pouvoir est partie de la nature humaine, tout comme la respiration, et tout homme détenteur d'un pouvoir a tendance à en abuser, sauf si ses actes sont soumis à censure automatique au cas où ses décisions dépassent les frontières de ses attributions. Plus le pouvoir est étendu, plus les occasions d'en abuser sont multiples. De plus, de l'exercice du pouvoir suprême à l'appropriation privée des ressources nationales, la frontière est aussi fine que poreuse. Cette dérive patrimoniale est d'autant plus aisée si le chef d'Etat agit dans un contexte politique qui lui facilite de choisir ses proches collaborateurs parmi un groupe restreint d'hommes et de femmes choisis par cooptation, donc sur la base de critères affectifs n'ayant rien à voir avec leurs qualités, leur expérience ou même leur moralité, et de faire des membres de sa famille des acteurs essentiels de son pouvoir politique. La cooptation et le népotisme : une Paire inséparable La cooptation et le népotisme sont les attributs normaux d'un système politique où le chef d'Etat ne connaît aucune restriction à son pouvoir suprême. Proclamer les principes généraux et généreux d'égal accès de tous, sans considération d'origine sociale ou régionale, et sur la base exclusive de leurs compétences, d'un côté et de l'autre, n'accepter aucun contrepoids à son pouvoir, est une contradiction dans les termes. C'est tout simplement une impossibilité à la fois conceptuelle et pratique. Le chef d'Etat ne peut en même temps exiger de jouir de tout le pouvoir politique que couvre à l'extrême sa position au sommet de la hiérarchie de la nation, et prétendre qu'il peut exercer ce pouvoir sans limite tout en ouvrant à tous, de manière égale, l'accès aux positions de contrôle d'une parcelle de son pouvoir, en son nom et pour lui. Les considérations de sens de l'Etat : de simples slogans Le chef de l'Etat, qui choisit d'être un homme de pouvoir, ne peut déléguer une partie de son pouvoir qu'à ceux dont il est assuré, au vu de leur mode de choix, qu'ils exécuteront sans murmure toutes ses décisions, qu'elles soient ou non justifiées par des considérations tenant aux intérêts nationaux. La fidélité au chef de l'Etat, non le partage de conceptions identiques quant à la notion d'intérêts nationaux, est le critère fondamental de choix des hommes auxquels des positions de pouvoir sont attribuées. Les considérations de sens de l'Etat, de compétence, de valeur morale, d'expérience, sont utilisées, a posteriori, pour justifier les choix de personnes ; mais la motivation derrière leur choix est d'assurer que le chef d'Etat peut, en toute clandestinité, conduire, à sa guise, et selon ses propres critères directement dictés par ses intérêts personnels, les affaires publiques. L'opacité : un attribut normal des actions de l'homme de pouvoir L'opacité des politiques, des décisions et des actions, est garantie et renforcée par ces critères d'ordre affectif, qui président aux choix des hommes exerçant une partie du pouvoir au nom du chef de l'Etat. La transparence n'est, par définition, pas un guide dans les orientations du chef d'Etat ; la cooptation et le népotisme sont des éléments indispensables de ce choix d'un homme de pouvoir. D'ailleurs, la réticence extrême du chef de l'Etat à changer les hommes autour de lui, ceux, qui sont chargés d'appliquer ses politiques, même s'ils font preuve d'une incompétence patente dans l'exercice de leurs attributions, tient au fait qu'il n'y a d'autre test de loyauté que celui tenant aux critères de choix de ces hommes, critères qui n'ont rien d'objectif ou de liés aux intérêts de la Nation. Un chef d'Etat peut ne pas être un homme d'Etat Un chef d'Etat qui choisit d'être essentiellement un homme de pouvoir, c'est-à-dire un homme dont toutes les actions ont pour seul objectif de le maintenir au pouvoir aussi longtemps que Dieu lui prête vie, ne peut prétendre être un homme d'Etat, c'est-à-dire essentiellement un homme dont le fil directeur de ses politiques et de ses actions est de rendre son pays plus puissant parmi les nations, et son peuple plus prospère et plus heureux. Un homme d'Etat se distingue d'un chef d'Etat, non par le titre qu'il porte ou par les attributions qui lui sont reconnues, du fait des textes constitutionnels ou autres fondant sa légitimité et la légalité de son domaine de prise de décision, mais par l'esprit qui l'anime et les convictions qui sous-tendent, de manière déclarée ou implicite, ses actions. Ce ne sont pas, évidemment, les déclarations de principes qui font foi ou qui distinguent l'un de l'autre, l'homme de pouvoir et l'homme d'Etat. Ce sont les actes visibles ou invisibles qui forment la trame de la mise en œuvre de ses attributions. Le chef d'Etat comme homme d'Etat Ne se proclame pas homme d'Etat qui veut. Et un homme de pouvoir ne peut s'attribuer ce titre de noblesse sans donner les preuves concrètes qu'il le mérite. L'exercice du pouvoir suprême est forcément solitaire. Le chef d'Etat doit, à un moment donné ou à un autre, cesser de prêter l'oreille à ses collaborateurs et à ses conseillers les plus fidèles et les plus compétents, pour prendre une décision, dans la solitude la plus totale. Toute décision qu'il prend est personnelle, et la responsabilité des critères sur la base desquels elle a été arrêtée sont les siennes propres. Il ne peut blâmer ceux auxquels il prête son auguste oreille, pour les décisions irréfléchies ou mal conçues qu'il prend, car, une fois prises, elles lui appartiennent sans partage. L'homme d'Etat utilise comme pierre de touche à ses décisions, si banales soient-elles, car, à ce niveau de pouvoir, leurs conséquences ont des répercussions sur le sort et l'avenir de toute la société, les intérêts à court et long terme de la collectivité dont il assure la direction suprême. Il ne peut prendre aucune décision, de caractère même circonstanciel ou opportuniste, s'il n'est pas assuré, dans son âme et conscience, et au vu de son expérience, qu'elle sera bénéfique à la société, au-delà de ses répercussions à court terme sur l'état des choses dicté par les circonstances. Ne pas confondre stabilité et stagnation ! La stabilité, tant recherchée, devient alors, dans cette conception du pouvoir qu'affiche l'homme d'Etat, une dynamique plus qu'un état statique où rien ne bouge, en apparence, et où tout se détériore en réalité, conduisant à court ou à long terme à une crise politique grave. La stabilité visant seulement à maintenir les choses en l'état ne peut résister longtemps à la logique de déséquilibre qui constitue l'évolution de la société, constamment travaillée par des courants de pensée, de besoins et d'actions difficiles à contrôler car imperceptibles sauf à l'homme d'Etat. Dans ce sens, toute stabilité imposée par la passivité du chef d'Etat face à l'évolution de la société, devient un ferment d'instabilité et débouche sur l'anarchie, comme le prouvent les évènements actuels dans nombre de pays de la région. Contrairement au chef d'Etat, qui n'ambitionne à rien d'autre qu'à être un homme de pouvoir, un homme d'Etat n'adopte pas la position à la fois paresseuse et vaniteuse de croire qu'enfin le «nirvana du pouvoir politique» a été atteint et qu'il s'agit seulement de maintenir l'équilibre au sein de cet «état de perfection» en ne changeant rien, ni dans ses politiques, ni dans les thèmes sur lesquels il a construit son pouvoir, ni dans les hommes et/ou les pratiques qu'il utilise pour se maintenir au pouvoir et entretenir cette stabilité. Si puissant soit-il, si convaincu soit-il de la nature quasi-surnaturelle des qualités qui l'ont conduit au pouvoir, le chef d'Etat qui perd les repères que lui donnent sa société, en constante tourmente comme toute société humaine, est un homme dont le pouvoir effectif, qui va au-delà de son pouvoir institutionnel, s'effrite avec le temps jusqu'au point où il se trouve contraint et forcé d'abandonner sa position ou de faire retraite honteuse face aux pressions de la masse irrésistibles, du mouvement collectif de rejet de sa politique et de ses fondements philosophiques. Dans un tel cas, même les forces de l'ordre, si disciplinées et si compétentes fussent-elles, ne constituent plus un barrage infranchissable contre la masse de ceux qui ne veulent plus d'une stabilité articulément maintenue au profit d'une mince minorité, et choisit l'anarchie, malgré les multiples souffrance qu'elle crée. En conclusion : 1) L'ambition personnelle est le ressort profond qui sous-tend l'effort des hommes politiques à atteindre le pouvoir suprême de l'Etat. 2) Il n'y pas de saints, ni parmi les candidats au poste de chef de l'Etat, ni parmi les chefs d'Etats. 3) Quelle que soit son mode d'accès à la magistrature suprême de l'Etat, le chef d'Etat détient le pouvoir lui permettant de contrôler les ressources collectives du pays en cause. 4) Si les mécanismes de contrepoids à son pouvoir suprême n'existent pas, le chef d'Etat a tendance à abuser de son pouvoir et à transformer l'Etat et ses institutions en propriété personnelle ; on passe alors d'un pouvoir institutionnel à un pouvoir patrimonial. 5) La cooptation et le népotisme sont nécessaires dans un système politique où le chef d'Etat est mû par des considérations strictement personnelles de maintien au pouvoir, car ce type de choix de ses collaborateurs lui assure la fidélité qui lui permet de mener ses politiques en toute liberté. 6) L'opacité tant dans les orientations politiques ainsi que dans les choix des actions constituent également un attribut sine qua non de l'exercice du pouvoir suprême par un homme de Pouvoir. 7) Le chef d'Etat, qui est un homme de Pouvoir, ne saurait prétendre être un homme d'Etat ; il y a contradiction dans les termes entre les philosophies qui sous-tendent ces deux types de positions et de conception du pouvoir suprême. 8) L'homme d'Etat prend toutes ses décisions, de la plus petite à la plus grave, en considération des conséquences à court et à long terme que ces décisions entraînent sur l'avenir de la collectivité nationale en cause, au-delà des considérations circonstancielles qui ont dicté ces décisions; 9) La stabilité, pour l'homme d'Etat, n'est pas ce sentiment de satisfaction qu'il tire de sa capacité de maintenir, à son gré, les choses en l'état, de poursuivre les mêmes politiques quelles qu'en soient les conséquences, de garder autour de lui les mêmes hommes, sans considération pour leur apport aux affaires de l'Etat. 10) La stabilité, pour lui, a un caractère dynamique : c'est la capacité de repérer les courants profonds qui travaillent la société, et d'en prendre en charge les conséquences avant que la situation qu'elles créent ne devienne incontrôlable. 11) Toute stabilité artificiellement maintenue en contre-courant de l'évolution de la société, aboutit à l'affaiblissement du pouvoir du chef de l'Etat, qui n'est pas dans l'esprit d'un homme d'Etat et débouche sur l'anarchie que les services de sécurité les mieux outillés, les plus loyaux et les plus compétents, ne peuvent réduire. 12) L'homme d'Etat prévoit et prend en charge les crises avant qu'elles n'éclatent au grand jour ; le chef d'Etat jouit simplement du pouvoir jusqu'à ce qu'il le perde dans des conditions humiliantes pour lui comme pour son peuple, qui est le premier à souffrir de l'anarchie dans laquelle il plonge, du fait de l'effondrement du système politique fondé sur la conception de l'homme de Pouvoir, au lieu de celle de l'homme d'Etat. |
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