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![]() ![]() ![]() ![]() C'est une figure
majeure de la sociologie de la santé en Algérie qui vient de prendre sa
retraite et de passer le flambeau. Après plus de vingt ans, à la tête du Groupe
de Recherche en Anthropologie de la Santé (GRAS) de l'Université d'Oran, le
professeur Mohamed Mebtoul laisse derrière lui une
œuvre scientifique considérable et un héritage intellectuel inestimable.
Une page se tourne, mais l'empreinte qu'il laisse sur les sciences sociales de la santé reste profonde, vive et inspirante. Une œuvre fondatrice et lucide Depuis la fondation du GRAS en 1991, Mohamed Mebtoul n'a cessé d'interroger les logiques visibles et invisibles qui traversent le système de santé algérien. Sociologue de formation, anthropologue de terrain par conviction, il a construit patiemment une œuvre originale fondée sur l'écoute des patients, des professionnels et des familles, dans leur vécu quotidien et leurs parcours souvent complexes face à la maladie. Son regard, à la fois critique et empathique, a permis de dévoiler les tensions cachées du système : entre les ambitions des réformes et les inerties institutionnelles, entre les principes de gratuité et les réalités inégalitaires, entre la montée du secteur privé et la fragilisation du secteur public. Pour lui, il ne saurait y avoir de réforme efficace sans une compréhension fine des pratiques sociales, des résistances informelles et des stratégies d'accès aux soins déployées par les citoyens. Un système traversé de contradictions À travers ses nombreuses publications-dont plusieurs ouvrages de référence comme Une anthropologie de la proximité (1994) ou Réformes sanitaires et logiques sociales en Algérie (2022)-Mohamed Mebtoul montre avec rigueur, comment les politiques de santé, souvent pensées de façon administrative et technocratique, se heurtent à des réalités sociales complexes. Parmi ses publications les plus marquantes, on peut citer : Une anthropologie de la proximité : les professionnels de la santé en Algérie (l'Harmattan, 1994). Les jugements des médecins algériens sur l'activité de soins : une identité professionnelle fragile, Sciences sociales et santé, 1998. Les enjeux de la privatisation des soins en Algérie (2004) Médecins et patients en Algérie (2005) Les soins de proximité en Algérie. À l'écoute des patients et des professionnels de santé (GRAS, 2015) : La dimension sociopolitique de la production de santé en Algérie, Famille et santé, 2010 La prise en charge familiale des malades en Algérie. Entre invisibilité et rôle central (GRAS, 2019) Réformes sanitaires et logiques sociales en Algérie : regards critiques d'un sociologue de terrain (2022) Il a été l'un des premiers à alerter sur les effets pervers d'un modèle fondé sur une gratuité généralisée mais mal régulée. Dans un pays où l'accès aux soins reste encore inégalitaire-selon les territoires, les classes sociales ou les capacités à mobiliser des réseaux d'intermédiation-il plaide pour une refonte systémique, où la justice sociale et la participation des usagers deviennent les véritables leviers du changement. L'art de révéler l'invisible Au fil de ses enquêtes, souvent conduites dans les marges urbaines, les zones rurales ou les services hospitaliers surchargés, Mohamed Mebtoul a mis en lumière des figures discrètes mais essentielles du système de santé : les femmes aidantes, les agents de santé de proximité, les familles, les usagers invisibilisés. Il a aussi documenté les formes d'adaptation, de contournement et de survie que les Algériens inventent face aux déficits institutionnels. À travers une sociologie incarnée, il montre que la santé ne se limite ni aux actes médicaux ni aux structures officielles, mais qu'elle se fabrique dans l'épaisseur du social, dans les familles, dans les interactions, dans la débrouille quotidienne. C'est cette capacité à « écouter les silences », à capter les non-dits, à restituer les voix absentes, qui fait la force de son approche. Une pensée engagée, une transmission généreuse Mais l'œuvre de Mohamed Mebtoul ne se limite pas à ses publications. Enseignant passionné, il a formé plusieurs générations de chercheurs et de praticiens, contribuant à faire émerger en Algérie un champ autonome et dynamique d'anthropologie de la santé. Il a su construire des ponts entre les sciences sociales, la médecine, les politiques publiques et la société civile. La relève est assurée. C'est la chercheuse Aïcha Benaded, collaboratrice de longue date, au sein du GRAS et auteure d'une production scientifique remarquée, qui lui succède en début de juillet 2025. Avec elle, le Laboratoire entend poursuivre ce travail rigoureux d'analyse critique, de plaidoyer pour l'équité et d'engagement au service d'une santé plus humaine et plus juste. Une voix précieuse dans le débat public Alors que l'Algérie s'interroge sur la refonte de son système de santé, à l'heure des crises sanitaires, de la montée des maladies chroniques et des réformes à relancer, la pensée de Mohamed Mebtoul résonne comme un appel à penser autrement. Ni pamphlétaire, ni consensuel, son travail propose une voie médiane, exigeante, nourrie de terrain et soucieuse de sens. Il nous rappelle que les réformes techniques ou budgétaires, si nécessaires soient-elles, échouent lorsqu'elles ignorent les logiques sociales et institutionnelles à l'œuvre, les vécus des patients, les conditions de travail des soignants et les dynamiques territoriales. Merci, Professeur Mebtoul Reconnaître le travail de Mohamed Mebtoul, c'est reconnaître qu'il existe en Algérie une pensée scientifique engagée, lucide et ancrée. Une pensée qui ne se contente pas d'observer, mais qui accompagne, qui éclaire, qui dérange parfois, mais toujours avec bienveillance. Dans un pays où la santé publique mérite mieux que des ajustements ponctuels, l'apport de Mohamed Mebtoul constitue une boussole précieuse. Merci à lui pour avoir ouvert cette voie, avec courage, constance et humanité. *Economiste de la santé, Ancien cadre de l'OMS à Genève |
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