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Les «climato-sceptiques», naïfs ou vendus?

par Paris : Akram Belkaid

Qui a tort, qui a raison ? Qui ment et qui est sincère ? Qui est de bonne foi et qui manipule ? Ces questions nous sont imposées par le débat qui entoure le réchauffement climatique et la responsabilité de l'être humain dans ce dérèglement.  Il n'est pas aisé d'y répondre sans se mettre à dos un camp ou l'autre. Il n'est même pas possible d'en parler avec sérénité tant les positions peuvent être tranchées, violentes. Commençons donc par clarifier les choses en précisant que je fais partie de ceux qui croient que l'augmentation de la température résulte-entièrement ou en partie, cela je ne le sais pas-de l'activité humaine. Cette affirmation fait ricaner les «climato-sceptiques» actifs. L'un de leurs arguments est d'affirmer que rien n'est prouvé sur le plan scientifique et qu'il existe des chercheurs qui ne sont pas du tout d'accord avec la théorie selon laquelle l'effet de serre, provoqué par l'accumulation d'émission de gaz (essentiellement du dioxyde de carbone-le fameux CO2-et du méthane), serait à l'origine du réchauffement climatique. Ce faisant, ils moquent les convaincus qui adhèrent à cette théorie sans même avoir les compétences scientifiques pour comprendre de quoi il s'agit.

 Arrêtons-nous une seconde sur ce raisonnement et faisons le parallèle avec ce qui s'est passé pour l'amiante. Il y a trente ou quarante ans, quand les premières voix se sont fait entendre à propos des dangers cancérigènes de cette substance, ce fut le même discours qui leur fut opposé. «Ce n'est pas encore prouvé», «il faut attendre les résultats des recherches en cours», «il y a des savants qui pensent que l'amiante n'est pas une menace pour la santé»... Voici ce que l'on pouvait entendre et lire à l'époque. Largement alimentés par des lobbyistes grassement rémunérés par tout ce que l'économie pouvait compter de groupes hostiles à la thèse de la dangerosité de l'amiante (sociétés minières, opérateurs du bâtiment, assurances...), ces contre-feux ont alimenté le doute et retardé les actions de prévention sanitaire et de désamiantage. On connaît la suite.     Des milliers de personnes sont mortes ou souffrent des effets de l'amiante et il existe encore quelques criminels en liberté qui continuent-vraisemblablement contre monnaie sonnante et trébuchante-d'affirmer que l'amiante est inoffensif. Ce fut aussi le cas pour le tabac. Combien d'instituts marrons et d'experts prévaricateurs ont-ils été rémunérés par l'industrie de la cigarette pour empêcher toute législation coercitive ? Combien d'études biaisées, pour ne pas dire falsifiées, ont-elles été diffusées avant que le tabac ne soit enfin reconnu pour ce qu'il est, c'est-à-dire un poison qui détruit la santé ? C'est donc le même chemin douteux que les climato-sceptiques les plus en vue empruntent aujourd'hui. Volontairement ou non, ils font le jeu de l'industrie du carbone qui n'a aucune envie de voir son modèle de fonctionnement être profondément remis en cause. Et à chaque fois que je lis ou entends une déclaration hostile au protocole de Kyoto, j'ai en tête que la force de frappe des lobbys est bien plus importante que celle des scientifiques qui travaillent sur le climat... Mais il y a un élément du discours des climato-sceptiques qui pose encore plus de problèmes. Depuis plusieurs mois, ces derniers appellent à la raison et à la prudence. Se cachant derrière des exhortations au débat et au respect de la diversité des points de vue, ils dénoncent un nouvel intégrisme, une sorte de religion dont les défenseurs de l'environnement seraient les apôtres. Ne perdez pas votre sens critique, nous disent les sceptiques. Méfiez-vous des vérités et des dogmes. En clair, ils nous encouragent à être vigilants, à ne pas nous laisser manipuler et à défendre notre libre arbitre.

 Sur la forme, on peut convenir que ce discours se tient et qu'il provoque même d'intéressantes réflexions philosophiques. Ne rien prendre pour argent comptant, ne pas courir avec la foule, se méfier des vérités toutes faites, sont de saines précautions surtout dans une époque où tout ou presque n'est que communication d'influence. Le journaliste que je suis est par exemple d'accord pour reconnaître que les gouvernements mentent et qu'il faut toujours penser noir quand ils affirment blanc. C'est évident : sur bien des dossiers, il n'y a pas toujours qu'une seule vérité mais plusieurs.

 Mais cela ne veut pas dire que cela vaut pour tout. Je note par exemple que de nombreux climato-sceptiques n'hésitent pas à dénoncer la théorie du complot quand ça les arrange, comme par exemple pour ce qui est des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. De même, les ultra-libéraux, qui n'ont d'amour que pour le marché, ne veulent rien entendre du discours réformiste qui vise à mieux maîtriser la mondialisation. Par contre, ces deux catégories, qui se confondent dans un même refus de la thèse du changement climatique, nous exhortent soudain à faire preuve d'ouverture d'esprit et à dialoguer dès lors qu'il s'agit du carbone... Pire, ils affirment même que ceux qui sont convaincus que c'est l'Homme qui contribue à détraquer le climat, sont victimes d'un gigantesque complot ourdi (ah, quel beau mot que l'on adore en Algérie) par les scientifiques et les écologistes radicaux. Admettons qu'il y ait complot et posons-nous une question très simple : quel en serait le but ? Pourquoi une telle mobilisation si ce n'est pour tirer la sonnette d'alarme ? Que l'on nous donne vite les réponses !

 Par contre, il est très facile de dire pourquoi des millions de dollars sont actuellement dépensés pour décrédibiliser la thèse du réchauffement climatique. Il est facile de dire pourquoi : pendant des années, l'administration Bush, inféodée aux groupes pétroliers, a fait la chasse aux scientifiques qui la défendaient. En réalité, et que l'on me pardonne l'outrance de ce trait, nombre de climato-sceptiques sont des «vendus». Quant aux autres, pauvres naïfs manipulés, ils ne se rendent même pas compte qu'ils sont les idiots utiles de la grande famille du carbone. Je terminerai par une autre précision personnelle. Je fais certes partie des non-sceptiques mais, contrairement à nombre de ceux qui partagent cette conviction, je refuse de céder à l'alarmisme et au catastrophisme ambiants. Soyons un peu optimistes. L'Humanité s'est toujours adaptée aux changements et elle le fera encore. Bien sûr, prendre des mesures pour limiter les émissions de gaz à effet de serre permettra une meilleure adaptation mais je crois sincèrement que c'est faire fausse route que de continuer de bombarder les gens d'images et de visions apocalyptiques. Cela ne fait que donner des arguments en or aux climato-sceptiques...