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L'article de l'hebdomadaire Le Point, une commande de l'Elysée

par Salah Lakoues

Notre réflexion met en lumière une critique souvent exprimée en Algérie concernant certains médias français et leur rapport à la question kabyle. Voici une analyse à partir de publications récentes autour du dossier spécial de l'hebdomadaire Le Point consacré à la Kabylie en août 2025 :

Origine de la «thèse séparatiste» et mythe kabyle

La « thèse kabyle » et l'autonomisme sont régulièrement présentés par des historiens comme une construction coloniale remontant au début de la présence française en Algérie. Dès 1830, la France a cherché à instrumentaliser les différences entre Kabyles et Arabes pour fragiliser l'unité nationale, profitant de la diversité algérienne pour diviser et dominer. La politique berbère menée par le pouvoir colonial visait à créer un « mythe kabyle », supposant des différences raciales et culturelles fondamentales. Mais cette stratégie coloniale a souvent produit l'effet inverse, renforçant le sentiment nationaliste et l'indépendantisme parmi les Kabyles eux-mêmes.

Pourquoi ce dossier, pourquoi maintenant ?

La couverture de Le Point intervient dans un contexte de crispations franco-algériennes, marqué par une volonté de Paris d'accentuer la pression politique sur Alger. Les discours sur la Kabylie servent parfois à raviver la mémoire coloniale, à relancer des débats identitaires… ou à peser indirectement dans le rapport de force diplomatique. Unité algérienne et mythe du «danger séparatiste» Malgré les clichés ou les tentatives de division, la Kabylie est historiquement et culturellement partie intégrante de l'Algérie, ayant contribué activement à l'indépendance et à la construction nationale. Les discours alarmistes sur une déstabilisation majeure ou une menace à l'unité nationale relèvent plus du fantasme politique que d'une réalité sérieuse, selon la plupart des spécialistes. Le Point reprend une vieille thématique largement débattue en Algérie et en France, avec une approche qui suscite des réactions aussi vives que nuancées. Pour beaucoup, cette «thèse séparatiste» est instrumentalisée dans les contextes de crise pour fragiliser une nation méditerranéenne forte et non alignée. Le débat sur la pluralité culturelle, linguistique et régionale en Algérie est légitime, mais il est souvent dévoyé quand il devient un outil de pression ou de division extérieure.

Le mythe kabyle est une construction idéologique élaborée principalement par l'administration coloniale française lors de la colonisation de l'Algérie (1830-1962). Ce discours avait pour but d'opposer les Kabyles aux Arabes en présentant les premiers comme plus proches, voire plus assimilables, à la culture française. Voici les origines clés de ce mythe colonial :

Différentiation raciale et culturelle : Dès les premières années de la conquête, certains officiers et administrateurs français mettaient en avant une supposée proximité raciale des Kabyles avec les Européens, les décrivant comme plus travailleurs, disciplinés et ouverts à la francisation, contrairement aux Arabes perçus comme plus «fanatiques» et réfractaires.

Politique berbère : cette approche a donné lieu à une politique dite «berbère» qui privilégiait la Kabylie, avec des mesures comme une scolarisation intensive, le recrutement disproportionné de Kabyles dans les unités militaires coloniales, et des tentatives de christianisation. Tout cela visait à créer une population kabyle «à part» plus facilement intégrable dans l'Empire français.

Construction d'une «alternance» Arabe/Kabyle : le mythe confortait l'idée d'une division essentielle entre Arabes et Berbères/Kabyles, en opposant «le bon Kabyle» au «méchant Arabe». Cette opposition était exploitée politiquement pour mieux contrôler la population autochtone en insufflant des divisions.

Instrumentalisation idéologique et scientifique : des travaux d'ethnologues dits «kabylophiles» servaient à légitimer cette différenciation artificielle et renforcer l'idée d'une identité kabyle séparée. L'importance de l'organisation sociale kabyle, présentée comme plus démocratique et «authentique», était exagérée pour justifier la politique coloniale.

Résistance et contre-mythes : paradoxalement, cette politique a contribué à forger une conscience identitaire kabyle face au colonialisme, une conscience qui s'est exprimée aussi dans la lutte pour l'indépendance et au sein du mouvement national algérien unifié. Le mythe kabyle est un artefact colonial conçu pour diviser et dominer, fondé sur une construction idéologique et politisée plus que sur la réalité historique et culturelle. Il continue à peser dans les débats contemporains sur l'identité et l'unité nationale en Algérie.

La couverture du Point reflète l'intensité de la crise diplomatique franco-algérienne et l'évolution stratégique voulue par une partie de l'exécutif français. Toutefois, l'isolement de l'Algérie reste limité par ses partenariats énergétiques majeurs conclus avec d'autres acteurs européens. Quant au rôle précis de l'Élysée dans le contenu du Point, il n'est pas établi au-delà de la convergence d'intérêts et d'agenda politique observable dans de nombreux contextes de tension internationale.

Le Point – comme d'autres titres majeurs – relaie et parfois accentue la tonalité dure de la communication présidentielle et gouvernementale, alimentant la perception d'une campagne médiatique concertée. Cela ne prouve pas l'existence d'une commande officielle, mais illustre la porosité entre l'agenda politique français et certains récits médiatiques lors de crises diplomatiques.

Isolement de l'Algérie : un objectif contrarié

Emmanuel Macron aurait, selon certains analystes, souhaité accentuer l'isolement politique et économique de l'Algérie, notamment en cherchant l'alignement de ses partenaires européens. Pourtant, cette stratégie se heurte à la volonté de l'Italie et de l'Espagne de renforcer leur coopération bilatérale avec Alger, notamment via les secteurs de l'énergie et des infrastructures.

Le projet Medlink en est un exemple frappant : il s'agit d'un ambitieux câble électrique sous-marin reliant l'Algérie à l'Italie pour exporter de l'électricité verte vers l'Europe, porté par l'UE comme projet stratégique. Cette initiative brise de fait tout isolement énergétique et place l'Algérie au centre des futurs réseaux d'interconnexion euro-méditerranéens.

L'Algérie face au déni français : mémoire, souveraineté et avenir partagé. L'Algérie, une révolution fondatrice.

L'Algérie a mené la révolution armée la plus importante du XXI” siècle, un combat exemplaire qui a marqué durablement l'histoire des luttes de libération. L'unité du peuple algérien, dirigé par le Front de libération nationale (FLN), a vaincu la France militairement, politiquement et diplomatiquement. Cette guerre ne s'est pas limitée aux maquis des Aurès ou de Kabylie : elle s'est également jouée au cœur même de la métropole, jusqu'à Paris, où la résistance algérienne a imposé un couvre-feu et mené des opérations de grande envergure. Contrairement au récit réducteur véhiculé par certains médias français, cette résistance n'était pas le fait d'une fraction de la société algérienne mais l'expression unanime de tout un peuple, sans distinction d'origine ou de région.

L'article du Point, une commande politique

La récente publication de l'hebdomadaire Le Point s'inscrit dans une stratégie claire : celle d'une commande de l'Élysée visant à réécrire l'histoire et à réactiver une mémoire coloniale biaisée. Derrière l'apparente analyse journalistique se cache une opération de communication politique, destinée à alimenter en France une rente mémorielle instrumentalisée par les élites. Ce procédé n'est pas nouveau : il répond à une logique qui refuse d'admettre la défaite coloniale et persiste à cultiver un récit victimaire, où la France serait trahie par l'histoire, plutôt que vaincue par un peuple en quête de liberté. Cette démarche reflète une volonté de peser sur la mémoire franco-algérienne pour la transformer en outil de politique intérieure française.

Les équilibres internes et les défis de l'Algérie d'aujourd'hui

Soixante-trois ans après l'indépendance, l'Algérie fait face à des défis considérables mais communs à l'ensemble de ses territoires. Le développement économique, la lutte contre le chômage, la diversification des ressources, la modernisation agricole et énergétique, ainsi que l'équité régionale sont au cœur des priorités. Du Nord au Sud, des Hauts-Plateaux au Sahara, toutes les régions connaissent les mêmes défis structurels et poursuivent les mêmes aspirations. La politique de rééquilibrage régional engagée par l'État vise à réduire les inégalités et à renforcer l'unité nationale, socle indispensable face aux pressions extérieures et aux turbulences régionales. L'Algérie aborde son avenir dans un monde marqué par les crises climatiques, énergétiques et sécuritaires, en mettant en avant la résilience de son peuple et la légitimité de ses institutions.

Une dimension internationale incontournable

L'Algérie ne se résume pas à un passé de lutte : elle est aujourd'hui un acteur central d'un monde en recomposition. Fidèle à la doctrine du non-alignement, elle défend un ordre multipolaire plus équitable, où la souveraineté des peuples et le droit international doivent primer sur les logiques de domination. Cette posture attire le respect des pays du Sud global et renforce son rôle de médiateur, que ce soit dans le dossier palestinien, au Sahel ou dans la défense du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, comme au Sahara occidental.

Face au discours occidental qui cherche à enfermer les nations dans une logique de dépendance, l'Algérie rappelle que sa victoire contre le colonialisme constitue un précédent historique majeur : celui d'un peuple qui a brisé les chaînes de l'oppression et a ouvert la voie à d'autres luttes d'émancipation en Afrique, en Asie et en Amérique latine.

Pour une mémoire libérée et un avenir partagé

L'article du Point, parce qu'il est le produit d'une commande politique, révèle moins une analyse objective de l'histoire qu'une tentative de prolonger une guerre mémorielle que la France n'a jamais cessé de mener. Or, les nouvelles générations en Algérie comme en France ont besoin d'un récit émancipé des passions coloniales, d'une histoire partagée qui reconnaisse à la fois les souffrances et la grandeur de la libération. L'avenir se construira non pas dans le déni et la manipulation, mais dans la reconnaissance et le respect mutuel. L'Algérie, forte de son passé révolutionnaire, de sa souveraineté préservée et de ses ambitions économiques, s'impose comme un pilier de stabilité et d'équilibre. Face aux pressions extérieures et aux manœuvres mémorielles, elle reste fidèle à son héritage : celui d'un peuple libre qui a vaincu la plus grande puissance coloniale de l'époque, et qui continue, aujourd'hui encore, à défendre le droit des peuples à la dignité.

Une vieille obsession française

L'histoire nous enseigne que la France coloniale n'a jamais cessé de vouloir diviser l'Algérie.

Sous de Gaulle, alors même qu'il préparait la sortie coloniale, l'idée de partition était sur la table : séparer le Sahara algérien, riche en ressources, pour le garder sous contrôle. À l'indépendance, la France a immédiatement soutenu le Maroc pendant la guerre des sables (1963), espérant affaiblir le jeune État algérien.

En 1964, les services secrets français sont soupçonnés d'avoir fait exploser un navire dans le port d'Annaba.

Les années suivantes ont été marquées par des tentatives répétées de déstabilisation, culminant pendant la décennie noire, où l'Algérie a résisté à une guerre terroriste qui aurait disloqué n'importe quel autre pays. La leçon que l'« État profond » français n'a jamais retenue, c'est que l'Algérie est une nation résiliente : elle a mené et gagné la plus grande guerre de libération du XXe siècle contre la France, et son État s'est forgé dans le feu de cette épreuve.

La Kabylie, partie intégrante de l'Algérie

Depuis la colonisation, Paris a tenté d'instrumentaliser la Kabylie contre le reste du pays, misant sur un prétendu «particularisme» qu'elle croyait pouvoir exploiter. Cette vision est non seulement fausse mais dangereusement déconnectée de la réalité. La Kabylie, c'est l'Algérie. Elle est présente dans toutes les régions, dans toutes les institutions, dans tous les combats qui ont forgé la nation. Les maquis de la guerre d'indépendance parlent d'eux-mêmes : la Kabylie a été l'un des poumons de la révolution, et cette identité est indissociable du destin algérien. Pourquoi ils échoueront encore ?

Ce que la France, le Makhzen et Israël espèrent reproduire en Algérie - ce qu'ils ont réussi à faire en Irak, en Syrie, en Libye ou au Soudan - ne se réalisera jamais ici. Notre unité nationale est le fruit d'une histoire douloureuse mais victorieuse, et nos divisions internes, si elles existent comme dans tout pays, ne peuvent pas être instrumentalisées pour briser l'État.

La réponse nécessaire

Face à ces offensives informationnelles :

Il ne s'agit pas de censurer, mais de répliquer.

Déconstruire les narrations biaisées dans les médias et sur les réseaux sociaux. Nommer clairement les acteurs qui travaillent, consciemment ou non, à la division. Rappeler sans relâche que l'Algérie, dans toute sa diversité, est une et indivisible. Car ici, il ne s'agit pas d'un simple débat d'idées : c'est la cohésion d'un peuple et l'avenir d'une nation qui sont en jeu.