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![]() ![]() ![]() La finance ne passera pas entre les gouttes d'un monde qui change
par Hervé Goulletquer* ![]() PARIS Les
indices boursiers américains semblent nous envoyer le message d'un retour à une
forme de normalité. Pour preuve, ils ont peu ou prou retrouvé leur niveau de
début d'année. Mais doit-on croire à ce scénario de normalisation ? Plutôt non,
avec 3 objections à présenter.
Premièrement, l'incertitude n'a pas disparu aux Etats-Unis. Si elle a diminué, elle reste à un niveau encore élevé, ce qui fait craindre que la confiance des entreprises et des ménages en soit affectée négativement, constituant un frein à la croissance. Deuxièmement, il est difficile de croire que le Président Trump est arrivé au terme des négociations commerciales. Le maître de l'Art of the Deal n'a pas encore obtenu un nouvel équilibre probant et pérenne des comptes extérieurs de son pays ! Mais on peut anticiper que le rééquilibrage des comptes extérieurs des principales puissances mondiales devra passer par des ajustements du rapport épargne investissement pour nombre d'entre eux. L'exercice sera douloureux ; si tant est qu'il soit possible ! Troisièmement, il faut remettre les initiatives trumpiennes, dans le cadre plus large d'un « capitalisme de la finitude » en train de s'installer. Le monde extérieur présente moins d'opportunités que de risques ; il est donc nécessaire de défendre son « pré-carré » et tant pis si le système économique s'en trouve moins bien optimisé et donc devient moins efficace. Alors incertitude (tout change) ou inflation (tout est moins bien organisé) ; aux banques centrales de devoir choisir ! La Fed fait le choix d'un certain attentisme, le temps de mesurer l'impact de la guerre commerciale sur l'inflation. La BCE met l'accent sur les conséquences négatives de l'incertitude sur le tempo de l'activité ; en considérant que la conjoncture est peu propice à une accélération durable des prix. Le monde se referme, tout du moins se redessine ; avec quelles conséquences sur la vie économique ? Les contours du nouveau « terrain de jeu » ne se discernent pas encore très bien mais on peut donc anticiper une gestion moins efficace et une offre moins diversifiée, avec des implications défavorables sur les prix, et donc des taux d'intérêt plus élevés. De quoi appeler à la vigilance des banques centrales. Dans tous les cas, comment ne pas percevoir que l'attention devrait connaître une translation de la demande vers l'offre ? Concernant la politique monétaire, l'objectif reste toujours d'ancrer les anticipations inflationnistes à un « niveau suffisamment faible » et d'adopter une politique axée sur le moyen terme, impliquant une vision claire de l'horizon de retour à la cible d'inflation. L'enjeu est double : il faut une agilité analytique pour évaluer précisément une situation en transformation, avec un renouvellement des outils ; et parallèlement il est crucial de maintenir des anticipations inflationnistes bien ancrées pour minimiser le coût du retour à la cible. Dans un environnement incertain, le guidage prospectif des politiques monétaires ne peut être précis, rendant pertinente une approche avec plusieurs scénarios, et non un seul comme aujourd'hui, pour éclairer les acteurs économiques. Le changement est conséquent. Que deviennent les flux d'échanges dans cet environnement en transformation ? Il faut déjà remarquer une réduction de la distance géopolitique (calculée en fonction des votes à l'ONU) des échanges pour la Chine, l'Europe et les Etats-Unis et une diminution de la concentration des importations. Ainsi les Etats-Unis réduisent leurs échanges avec la Chine et celle-ci amorce une réorientation vers les pays émergents. Que devient la mondialisation financière ? Le lien entre tensions géopolitiques et stabilité financière est clair, avec deux canaux interdépendants : le premier, financier, se manifeste par des restrictions sur les capitaux et une aversion au risque, affectant la liquidité. Le second, économique, découle de mesures protectionnistes, désorganisant les chaînes de valeur. A moyen terme, le degré de diversification géographique dans les allocations d'actifs pourrait se réduire. Le nouvel équilibre risquerendement devra se faire à des niveaux plus faibles. De plus, dans un environnement géopolitique plus instable, des facteurs de risque moins endogènes à la sphère économico-financière sont aussi à intégrer, comme la cybersécurité et une transition énergétique rendue plus compliquée. Si le fonctionnement de l'économie mondiale est bien train de se transformer, avec une logique de l'abondance laissant place à une autre de finitude, peut-être que l'acceptation de déséquilibres marqués de la balance des opérations courantes deviendra faible. Parce que la méfiance partagée vis-à-vis d'une dépendance trop forte aux importations implique une moindre dépendance de la croissance de chacun aux exportations. La perception des risques géopolitiques et économiques pourrait « dans la vraie vie » restreindre l'ampleur des flux avec de régions du monde perçues comme moins amicales. Un certain entre-soi prédominerait. Encore faut-il qu'il ne soit pas trop étroit et qu'ainsi les bienfaits d'une certaine diversification puisse encore jouer. *Economist at Accuracy, a business and financial consultancy. |
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