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![]() ![]() ![]() ![]() Ils
tombent. Un à un. Des corps frêles, des regards éteints, des vies interrompues
avant même d'avoir eu le temps de s'ancrer.
Enfants sans nom, femmes aux bras vides, vieillards priant dans la poussière. Ghaza ne vit plus, elle survit. Elle n'est plus une terre, elle est une blessure ouverte, une plainte continue, un cri qui s'élève au-dessus des hommes, au-dessus de la terre. Ce n'est plus une ville. C'est une supplication. Un long sanglot arraché à la gorge de l'Humanité. Une enfant que l'histoire a laissée en bas du chemin, oubliée, ignorée, piétinée. Et pourtant... dans cette nuit rouge, où même les étoiles ont détourné les yeux, des voix s'élèvent. Des voix venues de loin. Pas de ceux qui partagent la langue, la prière ou la géographie. Mais de peuples séparés par les mers et les croyances, qui se lèvent, démunis, mais dignes. Ils n'ont ni la Kaâba dans leur direction, ni l'arabe dans leur bouche. Mais ils ont l'humanité en bandoulière. La Colombie. Jamais son drapeau n'a effleuré Jérusalem. Mais ses cicatrices, celles laissées par la guerre, la faim, les disparus, reconnaissent d'instinct celles du peuple palestinien. Et alors, sans calcul, sans crainte, elle a levé la voix. Une voix rauque, abîmée par les décennies de lutte, mais vraie. Elle a dit non. Non au mensonge diplomatique qui maquille un massacre en légitime défense. Non au silence complice, vendu au prix du commerce. L'Afrique du Sud. Terre de Mandela. Terre qui a connu la ségrégation, la terreur et l'injustice codifiée. Elle regarde Ghaza et ne voit pas un conflit lointain. Elle y voit Soweto, transposé. Elle y entend l'écho de l'apartheid, parlé dans une autre langue. Et elle nomme. Elle ose nommer : crime contre l'Humanité. Car là où les autres s'éclipsent dans les détours du vocabulaire, elle marche droit, fidèle au legs de ses combattants. Et pendant ce temps... Ceux qui prient vers la même Qibla. Ceux qui disent « frère » cinq fois par jour, se taisent. Ou pire : ils sourient. Sous les dorures, les djellabas repassées, et les sourires diplomatiques. Les Émirats. L'Arabie. Leurs poches gonflées de pétrole et de versets récités à demi-voix. Ils ont troqué la ferveur du juste pour le confort de l'alliance. Ils ont fait taire la douleur sous les applaudissements feutrés des sommets économiques. Ont-ils oublié ce verset ? « Cette communauté qui est la vôtre est une seule communauté, et Je suis votre Seigneur. Adorez-Moi donc. » (Sourate 21:92) Oui, ils ont oublié. Oublié que l'exil du Prophète fut consolé par des étrangers devenus frères. Oublié que la fraternité n'est pas un slogan, ni un costume de sommet. C'est un geste. Un sacrifice. Un écho du cœur. Aujourd'hui, ce sont les étrangers qui défendent Ghaza.Et ceux qu'on croyait frères, détournent les yeux. Ils prient, oui. Ils élèvent des minarets aux coupoles dorées, illuminés de mille lanternes. Mais leurs cœurs sont de pierre. Ils ont le rituel, mais pas la révolte. Ils ont les ablutions, mais pas la pureté. Ils ont les versets, mais pas les actes. Le Prophète a dit : « Le croyant envers le croyant est comme une construction dont chaque partie soutient l'autre. » Mais où sont les piliers ? Où est la main tendue? Où est l'épaule offerte au deuil ? Où est la colère juste ? Les peuples, eux, pleurent. Dans les rues du Caire, de Rabat, de Beyrouth... on pleure. Mais les dirigeants, eux, comptent. Ils alignent les chiffres, pas les morts. Ils signent des traités pendant que des mères signent la dernière page de la vie de leurs enfants. Et la Palestine comprend. Elle comprend que le mot frère ne suffit plus. Elle comprend que la fraternité ne se proclame pas : elle se prouve. Et parfois... elle vient d'ailleurs. D'un inconnu qui n'a jamais foulé ta terre, mais qui porte ta peine comme une mission sacrée. Il y a frère... et frère. Il y a celui que le Coran t'enseigne et celui que la souffrance révèle. Il y a celui qui vend son âme pour un sommet à Manama, et celui qui, sans obligation, porte ton nom jusque devant la Cour de La Haye. Il y a celui qui partage ta prière et pactise avec tes bourreaux. Et celui qui ne partage rien de toi, si ce n'est ce miracle : la capacité d'indignation. Il y a frère... et frère. Et peut-être est-il temps de réécrire les liens du sang. De rebâtir l'arbre généalogique de la conscience. Car le véritable frère...n'est pas celui que ton passeport désigne. C'est celui qui ne dort pas, tant que tu saignes. |
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