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Ces polymères qui inondent notre quotidien

par Mustapha Benmouna*

Pour le citoyen ordinaire, le mot polymère rappelle les produits en plastique qui submergent son quotidien, les sachets, les bouteilles, les tubes, les meubles, les jouets, etc. Une grande partie des produits autrefois fabriqués à l'aide de métaux, de verre ou de bois ont envahi l'industrie du plastique, avec des performances supérieures et un rapport qualité/prix bien plus avantageux. Même l'esthétique des produits plastiques s'améliore de jour en jour. Des centaines de millions de tonnes de plastique sont produits chaque année dans le monde.

Certains spécialistes avancent l'idée que l'humanité est entrée dans l'âge du plastique (lire des polymères) après ceux de la pierre et des métaux. Ce boom sociétal tient beaucoup aux avancées scientifiques et technologiques enregistrées dans ce domaine pendant les dernières décennies, ayant un impact direct et immédiat sur le développement socioéconomique. Parfois, les avancées scientifiques ne présentent pas que des aspects positifs et peuvent s'accompagner d'effets pervers. La présence de grandes quantités de déchets plastiques dans la nature, leur impact négatif sur l'environnement et leur recyclage difficile créent de nouveaux défis pour la science.

Le fait que nous soyons inondés par des produits à base de polymères dans notre vie quotidienne n'est pas une simple coïncidence. Il y a d'abord les avancées scientifiques et technologiques qui viennent d'être évoquées, mais il y a aussi la disponibilité des polymères en grandes quantités, à des prix compétitifs par rapport aux autres matériaux et la possibilité de leur remplacement par des polymères naturels issus de la biomasse (flore et faune). Les hydrocarbures fossiles représentent actuellement leur source principale. Le raffinage de pétrole brut permet d'avoir des carburants et une grande quantité de naphta dont le traitement par vapocraquage (chauffage en présence de vapeur d'eau) donne, entre autres, les unités de base de certains polymères courants comme l'éthylène, le propylène et le benzène. En effet, ces unités, dites monomères, sont liées entre elles, en chaine, selon des processus chimiques plus ou moins complexes, mais qui sont parfaitement maitrisés au laboratoire, comme à l'échelle industrielle. Ainsi donc, l'éthylène donne le polyéthylène (d'où on produit sachets, bouteilles, câbles, etc.), le propylène donne le polypropylène (pour produire films, sacs, godets, etc.), alors que le benzène est d'abord transformé en styrène avant d'aboutir au polystyrène (d'où on obtient récipients, emballages, isolants thermiques, etc.).

Le gaz naturel donne les mêmes monomères directement par vapocraquage et sans l'étape de raffinage. Il s'agit là d'une valorisation substantielle de ces ressources tant convoitées, à l'origine de l'avènement des plastiques et autres matériaux polymères. Cette valorisation a été longtemps utilisée par les tenants des technologies pour exploiter, à faibles coûts et partout dans le monde, des ressources rapidement épuisables.

Dans la cadre des efforts en vue du développement durable et de protection de la nature, il y a une tendance forte, dans le monde, à rechercher des substituts aux polymères synthétiques, obtenus à partir d'hydrocarbures fossiles, en puisant dans la biomasse. Le grand défi est d'envisager cette transition avec des gains non seulement dans la protection de l'environnement, mais aussi du point de vue de la rentabilité et de l'efficacité dans les applications pratiques. Les polymères existent en grande quantité dans la nature, ce qui laisse espérer que le recours à des substituts naturels ouvre, dans un proche avenir, la voie vers une transition industrielle sans pollution et une réduction drastique de l'émission des gaz à effets de serre. Des exemples de substituts se trouvent dans la cellulose, principal constituant du bois et du papier, le caoutchouc naturel (poly isoprène), le coton (cellulose), la soie (protéine animale dite fibroïne) et tant d'autres substances issues de la flore et de la faune.

Le génie de l'homme, sa force d'observation de la nature ont permis déjà chez les anciennes civilisations, l'utilisation de ces substances à des fins multiples. En Extrême-Orient (Chine) et au Moyen-Orient (Syrie, Irak), l'homme utilisait la soie et le coton pour se vêtir, le bitume (mélange d'hydrocarbures) pour assurer, entre autres fonctions, l'étanchéité dans les habitations et les barques.

La soie n'a été introduite en Europe qu'au 19ème siècle, sans beaucoup de succès d'ailleurs, puisque l'industrie de la soie reste essentiellement l'apanage des pays asiatiques, principalement la Chine. Les explorateurs en Amérique Latine rapportent que les Mayas et Aztèques fabriquaient des objets, notamment des jouets pour enfants et des chaussures étanches, à l'aide de caoutchouc naturel, tiré de la sève d'hévéa. Toutes les civilisations anciennes, chinoise, grecque, romaine ou musulmane n'ont pas attendu l'avènement des polymères pour découvrir leurs bienfaits thérapeutiques à travers les plantes médicinales.

Les progrès scientifiques accumulés durant les dernières décennies permettent une grande maitrise des propriétés physicochimiques des polymères et ouvrent la voie aux innovations technologiques et au développement des nanotechnologies où ils occupent une place privilégiée. La conception de nouveaux polymères met en synergie les travaux combinés de chercheurs dans de nombreuses spécialités complémentaires. En plus des chimistes, premiers concernés par la synthèse, la mise en œuvre et les modifications de ces matériaux engagent tout aussi bien les physiciens, les ingénieurs et les biologistes. Pour mieux comprendre cet aspect, il faut rappeler qu'il s'agit d'une macromolécule formée d'un grand nombre d'unités monomères répétitives, liées chimiquement entre elles pour former une longue chaine dotée d'une grande masse. Malgré la complexité de la réaction chimique, le nombre de monomères enchainés (donc la masse) est relativement contrôlable. Il varie à volonté, de quelques dizaines à des centaines, des milliers voire des millions. La masse élevée du polymère lui confer des propriétés particulières par rapport aux petites molécules. Les possibilités de le modifier, le fonctionnaliser (en lui attachant d'autres molécules ayant des fonctions spécifiques), le concevoir en architectures différentes (linéaire, ramifié, cyclique, etc.) et le mélanger avec d'autres espèces moléculaires offrent un large éventail d'applications couvrant pratiquement toutes les activités de la vie moderne.

L'histoire des polymères est assez particulière si l'on considère d'une part, leur présence dans la nature restée insoupçonnée pendant longtemps et leur utilisation par l'homme depuis l'ère antique et d'autre part, la place majeure qu'ils occupent dans la vie moderne et leur encrage dans le domaine scientifique qui n'a commencé qu'à partir des années trente. L'idée émise pour la première fois en 1920, par le chimiste allemand Hermann Staudinger, d'une chaine formée d'unités répétitives liées chimiquement n'a été acceptée qu'après une dizaine d'années d'intenses travaux de recherche. Cette découverte a donné une grande impulsion à l'industrie des polymères et les besoins de la guerre (1ère et 2ème guerres mondiales), notamment dans la fabrication de pneus performants, ont accentué l'intérêt accordé aux polymères marquant un tournant décisif dans la recherche sur ce domaine. Staudinger a reçu le prix Nobel de chimie en 1953 pour avoir suscité tant d'engouement pour les polymères et contribué à les ériger en science à part entière, fortement présente aussi en physique, en biologie, en génie des matériaux et en d'autres domaines.

La révolution sociétale due à l'utilisation, à grande échelle, de produits à base de polymères a eu lieu grâce à la symbiose entre le monde de la recherche et celui de l'innovation technologique et du développement socioéconomique. Les nombres de publications et de brevets d'invention ont connu une croissance exponentielle depuis les années trente. On compte actuellement de nombreux journaux, de renommée établie, consacrés entièrement aux polymères. Les grandes universités dans le monde ont des activités de formation et de recherche centrées sur les polymères en chimie, en physique, en génie des matériaux et en biologie. Parfois des départements entiers sont consacrés aux polymères ou leur équivalent, les macromolécules. Dans certains pays, il y a des centres dédiés à la recherche dans ce domaine comme l'institut Max Planck de recherche sur les polymères à Mayence (Allemagne) et l'institut Charles Sadron à Strasbourg (France), autrefois appelé centre de recherche sur les macromolécules. Cinq prix Nobel ont été attribués, entre 1953 et 2000, pour des travaux directement liés aux polymères (H. Staudinger 1953, G. Ziegler et K. Natta 1963, P.J. Flory 1974, P. G. de Gennes 1991, A. K. McDermid, A. Z Heeger et H. Shirakawa 2000).

Même si elle a un caractère pluridisciplinaire, la science des polymères se réduit essentiellement aux deux aspects : Synthèse et caractérisations d'une part, études physicochimiques de l'autre. Les techniques de polymérisation sont relativement maitrisées mais les travaux de recherche se poursuivent pour affiner la connaissance des cinétiques de réaction, profitant des progrès dans les moyens de calcul numérique et de l'émergence de l'intelligence artificielle. Il y a aussi de gros efforts à opérer dans la transition vers les polymères issus de la biomasse. La compréhension de la biosynthèse est fondamentale dans la réussite d'une transition rapide et efficace. Il y a déjà une avancée dans ce domaine si l'on note qu'une partie du caoutchouc produit dans le monde provient de l'hévéa et le caoutchouc synthétique (poly isoprène) est fabriqué en grandes quantités à l'usine. Les produits dérivés de la cellulose occupent une place importante dans l'industrie des fibres, notamment textile et papier.

La caractérisation d'un polymère commence par l'évaluation de sa masse moyenne (il y a une certaine dispersion de la masse dite poly-molécularité) qui joue un rôle clé dans la relation structure-propriété-performance. L'analyse thermo-physique permet de situer les températures de transition (fusion, cristallisation, transition vitreuse entre autres) donnant une vue d'ensemble sur le diagramme des phases. La connaissance de plus en plus précise des différentes morphologies est aussi à l'ordre du jour, pour son importance dans l'évaluation de la performance du matériau dans les diverses applications. Les techniques d'imagerie (optique, électronique, force atomique) ne cessent d'évoluer pour aller le plus loin possible dans l'exploration des structures et de la morphologie jusqu'à l'échelle du nanomètre, voire de l'atome.

La physicochimie concerne les propriétés en solution, notamment les interactions à l'intérieur d'une même chaine ou entre chaines différentes, à concentration croissante, allant de l'infiniment dilué (chaine isolée) aux fortes concentrations jusqu'à l'état fondu. Il s'agit là d'études thermodynamiques, de la relation structure-propriété-performance, de la rhéologie, de la viscoélasticité, de l'élasticité, de la thermomécanique etc. La bonne conduite d'un programme de formation ou d'un projet de recherche-développement nécessite donc, comme on l'a déjà souligné, une synergie de compétences et des équipes pluridisciplinaires.

Il y a une autre catégorie de polymères dont l'importance n'échappe à personne. Il s'agit des polymères biologiques ou bio-polymères qui sont de trois sortes : poly-nucléotides, polypeptides et polysaccharides. Ces noms ne sont peut-être pas bien familiers au citoyen ordinaire mais leur importance et leurs enjeux dans la vie sont bien connus de tout le monde. Dans les poly-nucléotides, on retrouve l'acide désoxyribonucléique (ADN) et l'acide ribonucléique (ARN), les deux autres types sont les polypeptides (protéines) et les polysaccharides (poly-glucides). L'ADN est présent dans la cellule vivante et dans certains virus, c'est une double hélice formée de l'association de deux chaines ou brins.

Chaque monomère, ou nucléotide consiste en une base azotée formée de quatre éléments : Adénine (A), Cytosine (C), Guanine (G) et Thymine (T), en plus d'un sucre, le désoxyribose, et d'un groupe phosphate qui assurent le lien entre deux nucléotides voisins. L'ARN est formé d'une chaine hélicoïdale unique analogue à celle d'un brin de l'ADN avec quelques différences, en particulier dans la base azotée où l'Uracile (U) remplace la Thymine et le sucre ribose est à la place du désoxyribose. L'ordre de succession des nucléotides dans l'ADN est la signature de l'information génétique, structurée en gènes. Chez l'être humain, chaque gène est présent en double exemplaire, l'un hérité de la mère et l'autre du père. Au cours de la division cellulaire, la double hélice est répliquée en une autre véhiculant la même information génétique. On comprend alors l'importance de cet aspect génétique dans l'identification des personnes sachant, par exemple, qu'il représente le socle dans la mission de la police scientifique.

Notre organisme est le siège, en permanence, d'un grand nombre de réactions chimiques dans lesquelles chacune des composantes A, C, G, T a un rôle crucial. Si pour une raison quelconque, venant de paramètres internes ou d'aléas de l'extérieur (par exemple l'exposition à une radiation ionisante), une mutation génétique se produit, tel un changement dans la séquence de base d'un gène, une maladie comme le cancer peut se déclarer plus ou moins rapidement. Dans toutes les réactions qui ont lieu en permanence dans notre organisme, la présence des protéines est primordiale et des maladies comme le cancer, peuvent se déclencher suite à une défaillance dans le mécanisme d'action de certaines d'entre elles. Chaque cellule renferme un grand nombre de protéines, certaines bien exprimées et facilement identifiables et d'autres moins, difficilement quantifiables par les techniques de séparation disponibles, malgré les grands progrès enregistrés dans ce domaine.

On assiste actuellement à une sorte de shift d'intérêt scientifique de la génomique (étude du génome très avancée) à la ?protéomique' (?protéome' ou étude des protéines et leurs propriétés qui est loin d'être complète).

Dans la troisième catégorie des bio-polymères, on retrouve les poly-glucides ou polysaccharides qui sont d'origine végétale (amidon) ou animale (glycogène). Ils sont utilisés en particulier comme additifs alimentaires et dans certaines applications médicales pour leurs propriétés thérapeutiques.

Il ne s'agit donc pas seulement de plastique mais également de polymères présents dans d'autres domaines comme l'énergie, l'agriculture et son corolaire la sécurité alimentaire, l'eau en tant que matière vitale nécessaire pour l'agriculture, l'industrie et les ménages, la santé, le confort et le bien être du citoyen. Certains pays comme les Etats-Unis d'Amérique, le Brésil ou l'Indonésie produisent des biocarburants (éthanol) à partir de la canne à sucre, du maïs et d'autres produits de la biomasse. Cependant, le développement de cette filière demeure lent à cause du coût de revient toujours élevé.

De plus, il y a des voix qui s'opposent à la réservation de grandes superficies de terre pour ces cultures alors qu'elles peuvent être exploitées plus judicieusement pour avoir des produits agricoles destinés à l'alimentation en vue de résorber le problème de la faim et atteindre l'autosuffisance. Pour améliorer la qualité alimentaire, il y a un recours de plus en plus accentué aux plantes génétiquement modifiés. Dans le cas du maïs, par exemple, cette modification est faite par l'introduction d'un gène de bactérie pour permettre à la plante de produire une molécule insecticide. Les organismes génétiquement modifiés (OGM) sont d'origine végétale (maïs, coton, soja, etc.), animale ou simplement une bactérie et la modification de la séquence génétique a pour but de conférer à ces organismes des propriétés nouvelles. Si pour les plantes et les bactéries, cette modification n'a pas l'air de soulever des objections majeures dans la société, par contre la manipulation du gène animal pose un sérieux problème d'éthique.

Les polymères trouvent des applications en pharmacie dans la mise au point de nanoparticules capables de véhiculer des médicaments en vue d'un largage ciblé. En attachant de petites chaines de polyéthylène glycol (PEG) à la surface de la nanoparticule, on la rend biocompatible même si elle présente une certaine toxicité. Le PEG occupe de nombreuses fonctions dans l'agro-alimentaire (fruits et confiseries) comme dans la santé (laxatif) pour son caractère biocompatible, hydrosoluble et la facilité de son élaboration. Il entre aussi en force dans l'industrie des cosmétiques pour ses propriétés épaississantes et émulsifiantes. Certains polymères fonctionnalisés se comportent comme des matériaux intelligents, capables de répondre, d'une manière déterminée, à un signal extérieur ou un changement dans les conditions locales du milieu (salinité, pH, etc.).

Pour atteindre un tel niveau de maitrise des propriétés des polymères et étendre leurs applications à tant de domaines, la physique a apporté une contribution décisive aux côtés de la chimie et d'autres disciplines, comme on peut le voir, juste à titre d'exemple, à travers les hydrogels. Ce sont des réseaux de chaines connectées par des liaisons chimiques ou physiques, ils gonflent dans l'eau selon des processus élucidés surtout en physique. Ils possèdent une grande capacité de rétention de l'eau en multipliant leur volume par un chiffre qui peut atteindre la dizaine ou plus. Cette capacité de gonflement trouve des applications dans de nombreux domaines. En agriculture, les hydrogels permettent de retenir l'eau de pluie, en la restituant progressivement et maintenir la terre humide plus longtemps. Le recours à cette option à l'échelle nationale permettrait l'économie d'une grande quantité d'eau traitée à prix fort. La capacité de rétention de l'eau par les hydrogels est aussi utilisée dans la conception des couches pour bébés en vue de leur assurer un meilleur confort. Les chaines peuvent également s'associer par des liens physiques non permanents (contrairement aux liens chimiques) comme dans le cas des gélules renfermant des médicaments. Après consommation, la gélule est dissoute en libérant les molécules bioactives alors que le gel dissocié est évacué, hors de l'organisme, sans risque pour la santé. Le même processus s'applique à l'insuline qui diffuse progressivement hors du réseau polymère, évitant aux diabétiques des injections répétées parfois dans la même journée. En combinant cette diffusion avec un processus de contrôle du taux de glycémie, on améliore sensiblement la qualité de vie des diabétiques dont le nombre augmente constamment en Algérie et dans le monde.

Les polymères sont aussi présents dans les membranes de dessalement de l'eau de mer en servant à retenir le sel par un processus dit d'osmose inverse, également dans les membranes de traitement des eaux industrielles en captant les ions lourds, en dialyse pour éliminer les déchets et l'eau qui se trouvent dans le sang, suite à une défaillance rénale. La performance des membranes de polymères dans ces applications ne cesse d'augmenter grâce aux résultats de la recherche ciblant surtout de nouveaux matériaux qui résistent plus et se dégradent moins. La mécanique et la dégradation des polymères constituent des thèmes forts dans les programmes de formation et de recherche dans les grandes universités du monde.

L'un des gros avantages des polymères est qu'ils s'apprêtent à une variété de modifications pour être adaptés aux applications souhaitées. Ils peuvent être utilisés pour leurs propres caractéristiques (isolants électriques ou thermiques, pièces pour véhicules, etc.) ou comme supports à d'autres éléments en offrant une grande aisance de modification et de fonctionnalisation. On peut synthétiser une chaine, non seulement à l'aide d'un seul type de monomère, mais en combinant plusieurs types pour donner des copolymères d'une variété étonnante.

On peut associer des chaines de différentes natures ensemble et obtenir des copolymères di-blocs ou multi-blocs, linéaires ou ramifiés, sous forme d'étoiles, peignes, brosses ou autres, combinant les avantages des uns et des autres. Par exemple, on peut associer un bloc rigide qui assure la résistance mécanique aux chocs et un autre flexible qui absorbe l'énergie du choc, en la restituant sous forme de chaleur. On peut simplement disperser dans un réseau flexible, des billes de caoutchouc dure, en renfort et obtenir un résultat similaire à celui du di-bloc flexible-rigide. Grâce à de tels mécanismes, les pare-chocs d'une voiture gardent leur forme intacte durant la vie du véhicule. Ce procédé est également d'un grand intérêt dans la conception des matériaux de construction (ciment par exemple) et le génie civil des ponts et gratte-ciels, pour les zones sismiques afin d'amortir les effets d'un tremblement de terre. La chimie des polymères a beaucoup évoluée dans le domaine de la fonctionnalisation qui consiste à attacher des molécules sur une chaine pour obtenir des fonctions multiples. Il y a dans ce contexte, un nombre infini d'exemples et les polymères fonctionnalisés représentent un thème à part entière dans les programmes de formation et de recherche dans les grandes universités. Juste à titre d'exemple, on peut attacher la molécule de fullerène, une espèce de ballon de foot dont le diamètre est légèrement inférieur au nanomètre, montrant une structure cristalline nouvelle de soixante atomes de carbone (C60). Le fullerène possède des propriétés uniques ouvrant la voie à beaucoup d'applications comme dans la conversion photovoltaïque où il est pressenti comme donneur d'électrons. En l'attachant au polymère, il le transforme en semi-conducteur susceptible de remplacer les semi conducteurs classiques comme le silicium. La découverte du fullerène a valu à trois chercheurs, le prix Nobel de chimie en 1986.

La miscibilité sélective des polymères dans un liquide (eau ou solvant) est à l'origine de beaucoup d'applications. Une telle sélectivité existe dans la membrane cellulaire formée par une molécule amphiphile ayant deux parties, une partie polaire hydrophile (tête miscible dans l'eau) et une autre partie qui consiste en une petite chaine hydrophobe (queue non miscible dans l'eau). Dans le milieu physiologique, la tête se met à l'extérieur au contact du liquide et la queue à l'intérieur pour éviter ce contact. Un principe équivalent existe dans les savons et détergents où les molécules amphiphiles (sulfate de sodium ou SDS pour Sodium Dodecyl Sulfate) s'associent pour donner des micelles, la tête polaire baignant dans l'eau alors que la queue retient la matière grasse destinée à être éliminée par un flux d'eau. Il s'agit là de petites molécules capables de se mettre en forme de micelles d'architectures variées (sphériques, cylindriques ou autres). Les copolymères à blocs (di- ou tri-blocs), de tailles beaucoup plus grandes, peuvent également former des agrégats micellaires et être utilisés selon le même principe grâce à la sélectivité des blocs, quant à leur miscibilité dans le milieu liquide environnant.

Les micelles de copolymères sont exploitées dans la conception des nanoparticules pour la thérapie ciblée. De nouvelles perspectives s'ouvrent avec la possibilité de coller à la nanoparticule, vecteur de médicaments, d'autres molécules de fonctionnalités diverses. On peut attacher des molécules capables de reconnaitre un changement local du milieu, comme la salinité ou le pH et réagir d'une manière prédéterminée pour libérer le médicament confiné à l'intérieur de la nanoparticule. D'autres fonctions existent dans la catégorie des matériaux ?intelligents' comme la capacité de réagir à un signal extérieur, telle qu'une excitation magnétique ou électrique. De nombreuses thèses de doctorat consacrées aux polymères émanent de plus en plus de départements autres que ceux de la chimie, dans beaucoup d'universités prestigieuses (pharmacie par exemple).

En Algérie, les polymères s'inscrivent parfaitement dans la stratégie envisagée par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Ils offrent une formidable ouverture vers les formations professionnelles, surtout au niveau du master dans de nombreux domaines. Bien sûr, la mère de toutes les méthodes de polymérisation, élaboration et modifications est la chimie mais comme on a pu le constater, les polymères ont fait de fortes intrusions dans la physique, la biologie, la médecine et dans bien d'autres domaines comme les mathématiques et l'intelligence artificielle. On devrait davantage s'inspirer d'instituts et universités au top classement comme MIT, Caltech et Stanford pour mettre au point des méthodes de formation et de recherche innovantes et une approche efficace pour un partenariat solide avec le secteur socioéconomique. L'idée nouvelle initiée par le ministère de coupler le diplôme de master avec la création d'une start-up semble être un pas dans ce sens. Il est à noter que dans les années quatre vingt, une génération de polyméristes Algériens formés dans de prestigieuses universités aux USA et en Europe exerçaient leurs compétences en Algérie dans plusieurs universités (Alger, Oran, Sétif, Tlemcen, etc.) et à Sonatrach. Certains nous ont quittés prématurément, d'autres ont été contraints à l'exil mais beaucoup ont poursuivi leur chemin dans le pays et porté l'étendard malgré les difficultés vécues. En exploitant efficacement les potentialités existantes et en identifiant les niches de compétences dans les polymères à travers les différentes régions du pays, on peut créer un pôle rayonnant au niveau africain et même au-delà.

Les polymères sont au carrefour des objectifs stratégiques de développement durable en Algérie. Quelques illustrations dans ce sens ont été présentées ci-dessus mais il y a beaucoup d'autres applications qui s'insèrent dans ces objectifs et la liste est trop longue pour pouvoir les énumérer toutes. Par exemple, les solutions de poly-électrolytes (polymères ionisés) sont de bons candidats dans la récupération assistée de pétrole (resté piégé dans la roche) pour améliorer le taux de récupération. Cependant, cette méthode butte à la fois sur la question économique pour son coût élevé et sur la transition énergétique où l'on doit plutôt privilégier les sources d'énergies renouvelables. Dans celles-ci, les poly-électrolytes solides peuvent remplacer, dans les batteries à combustibles, les électrolytes liquides polluants et inflammables. Les polymères sont aussi présents dans le développement des batteries électriques et la conception de nouvelles membranes échangeuses d'ions. Dans les batteries à hydrogène ou à lithium, elles servent de supports aux flux d'ions (protons pour la première et ions lithium pour la seconde) de l'anode vers la cathode. Cette option fait l'objet de recherches intenses, pour booster le marché des voitures électriques qui est déjà en place dans certaines parties du monde et envisagé dans un proche avenir en Algérie. Les pales d'éoliennes peuvent être faites de plastique renforcé par la fibre de verre ou de carbone avec une résilience mécanique supérieure à celle du métal et d'autres avantages en termes de poids et d'économie d'énergie.

L'intelligence artificielle est de plus en plus utile dans la recherche de nouveaux polymères et de méthodes de synthèse s'inspirant de la biomasse (bio-mimétisme). Le suivi de la cinétique de polymérisation dans ses différentes phases (initiation, propagation et terminaison) est toujours un sujet d'intérêt dans la recherche malgré les progrès déjà réalisés. Il nécessite le traitement d'un très grand nombre de données en des temps courts, là où l'apprentissage automatique (machine learning) ouvre une nouvelle piste pour de nouvelles conquêtes.

*Professeur de physique (retraité)