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18 avril : journée internationale du Monument: Oran, entre monuments et souvenirs

par Kouider Metaïr*

Qu'est-ce qu'un monument ?

Du latin monumentum (de monere, se souvenir).

Il charrie ce pouvoir de se souvenir, de se remémorer afin de savoir comment vivaient les anciens; leurs savoirs, traditions et créativité, leurs manières de construire, d'habiter, de fonder des villes et des civilisations, de gérer les conflits, etc.

La connaissance de toute cette complexité du passé s'avère nécessaire pour administrer notre présent et entrevoir le futur. Remercions les anciens de nous avoir légué des monuments historiques et dont on ne se lasse jamais du ravissement qu'ils nous procurent lors de nos visites ! Nous sommes, tout le temps, émerveillés aussi par les découvertes archéologiques dont les traces et pièces sont fièrement arborées par le pays.

Qu'en est-il de nos monuments ?

Notre ville dispose d'un patrimoine riche et diversifié mais très abîmé et n'ayant quasiment pas bénéficié de projets de restauration dignes de ce nom. Mis à part le Palais de la culture, quelques autres monuments ont certes vu des projets de restauration, souvent ratés, comme c'est le cas de l'Opéra d'Oran en 1996, du Fort Santa Cruz en 2006, des Arènes en 2011.     Le Conservatoire a vu lui aussi plusieurs projets ratés, les uns après les autres.

Le bilan n'est pas reluisant !

Si nous nous référons à la liste publiée dans l'ordonnance de 1967, confirmée plus tard par la loi 98/04 de protection du patrimoine, nous avons, depuis l'indépendance, perdu des pans entiers de notre patrimoine. Nous avons vu disparaître l'abri Alain, provenant de la période préhistorique, la Porte du Caravansérail, une échauguette, la Posada espagnole, la fontaine Emerat. Plusieurs autres sont abîmés ou désaffectés: Grotte du Cuartel, Donjons, église Saint Louis, Tambour San José, Ecusson de la Porte d'Espagne, Palais du Bey Bouchelaghem. D'autres exigent une intervention d'urgence : Palais du Bey Mohamed El Kébir, Mosquée du Pacha, Minaret de la Perle, à titre d'exemples. Les monuments qui sont encore debout se déprécient par le manque d'entretien. «La conservation des monuments impose d'abord la permanence de leur entretien», souligne la Charte de Venise dans son Article 4.

Prenons l'exemple de la Casbah, noyau originel de la ville, qu'on peut dater de 11 siècles, l'âge de la ville. Elle dépérit a vue d'œil. A part les bastions en pierre taillée, de la période espagnole, qui avec leurs courtines ceignent le périmètre, tout l'intérieur, en pisé et briques, de la période ottomane et lointaine, est en état de ruine avancée. Pourtant, on pourrait créer une dynamique de sauvetage en lançant un projet de fouilles archéologiques, qui nous révéleraient les strates des périodes arabo-musulmanes et mettraient au jour des trésors qui viendraient étayer et enrichir l'histoire de notre ville. A ce sujet, l'accord, qui fut donné par le ministère de la Culture et des Arts, depuis maintenant presque une année, tarde à se concrétiser sur le terrain.

A propos des démolitions dans un site historique

Dans un secteur sauvegardé, comme l'est désormais Sidi El Houari depuis 2015, il est inapproprié de parler de démolitions, terme consacré plutôt aux bidonvilles et aux constructions illicites. Il serait plus juste d'utiliser les termes d'étaiement d'abord et d'action de démantèlement ensuite si nécessaire, permettant de préserver le bâti précieux, de récupérer les matériaux nobles comme la pierre taillée, le thuya, les pavés, la brique pleine de Mers El Kébir, la tuile de Marseille, les portes, impostes, mosaïque et céramiques d'époque et autres ferronneries d'art inimitables.

Nous avions donné l'exemple en 2008, lors du démantèlement de l'immeuble de la rue Benmara Boutkhil (ex-Philippe) qui menaçait de s'effondrer. Nous avions récupéré toutes les pierres taillées de la fameuse Porte Napoléon qui était cachée par la façade, pierres que nous avions entreposées sur le site du Palais du Bey, dans l'idée qu'elles peuvent servir un jour. Comme quoi, c'est possible !

Le contrôle technique des constructions (CTC) classe «rouge» les immeubles à démolir. Cet organisme juge selon les critères techniques, notamment la structure du bâtiment. Il n'intègre nullement dans son jugement l'aspect esthétique, architectural et historique de tel ou tel bâtiment. C'est pour cela que son appréciation est incomplète. C'est au bureau d'études, avec ses techniciens et son architecte agréé par le ministère de la culture, de se prononcer et de dire le dernier mot. Il est anormal que dans le secteur sauvegardé de Sidi El Houari on ne voit pas encore la mise en œuvre des mesures d'urgence, déjà approuvées lors de l'approbation de la 1ère phase du plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur du secteur sauvegardé (PPSMVSS). Par contre, on voit déjà les 1ères démolitions spectaculaires, comme celles de ce début avril 2023, au quartier Derb. Il est dit que les immeubles menaçant de s'effondrer sur des personnes et qui sont irrécupérables peuvent être démolis comme ultime possibilité. Mais là, c'est l'exception et non pas la règle ! L'exception tend, malheureusement, à s'ériger en règle, à telle enseigne que son application nous a valu l'anéantissement total, dans un premier temps, de la Scaléra et, en second lieu, des «jardins Welsford», avec la disparition de 28 rues et ruelles et plusieurs bâtis classés. Le cas récent de l'«Hôtel du Sahara» de la ville de Biskra est flagrant. Le CTC a préconisé la démolition, alors que les architectes experts du ministère de la Culture ont jugé possible de restaurer le bâtiment, d'autant plus que nous avons les artisans qui maîtrisent ce type de maçonnerie traditionnelle. Entre les deux, l'APC de Biskra a choisi la voie facile de la démolition, réduisant à néant un repère urbain et historique, marqueur de la ville.

Urbanisme et patrimoine

Beaucoup pensent que le patrimoine gêne le développement urbanistique de la ville par les contraintes imposées par la loi 98/04.

Or, si on regarde de plus près, la conversion de sites patrimoniaux peut amener un plus à la ville. Nous avions formulé, à propos de l'extension de la place du 1er -Novembre, la proposition de conversion des fossés de la fortification du Rosalcazar au profit des besoins de la population en termes de parking, d'espaces culturels, de fluidité de la circulation, pour un investissement quasi nul. Ce projet d'extension de la place du 1er -Novembre avec la conversion des fossés, l'aménagement d'un accès piéton au Rosalcazar et au-delà à la Promenade Ibn Badis, peut changer la face du centre-ville. Grâce au patrimoine, on peut recomposer de manière insoupçonnable une bonne partie de notre ville. Mais là, il faut disposer d'une vision urbaine intégrant toutes les potentialités, d'où la nécessité du Projet Urbain en tant que démarche, afin d'énumérer opportunités, besoins et compromis pertinents entre nécessité de moderniser la ville et sauvegarde du patrimoine. En conclusion, perdre un monument est considéré comme un appauvrissement. C'est irréversible et ce n'est pas une tour en béton qui va le remplacer. Et comme le patrimoine est un héritage, on se serait comporté comme de mauvais héritiers, qui dilapident, à coup de bulldozer, ce que les autres ont mis des siècles à bâtir.

*Ingénieur, ex-vice-président de l'APC d'Oran en charge de l'urbanisme, fondateur de l'association culturelle Bel Horizon.