Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'énergie en Algérie entre les exigences de la sécurité énergétique et l'inéluctable transition énergétique

par M. Benabbou Senouci*

L'énergie est essentielle au fonctionnement et au développement socioéconomique des sociétés modernes. De ce point de vue, le secteur de l'énergie est stratégique et constitue un noyau autour duquel gravitent de nombreux secteurs socioéconomiques aussi importants l'un que l'autre, relevant de la dimension sociale, économique, industriel et même environnementale.

L'énergie est un élément crucial de la vie et des activités économiques contemporaines. Pour répondre aux demandes des générations présentes et futures, elle doit être utilisée de manière efficace et durable. A cet effet, deux notions sont galvaudées : «la sécurité énergétique» et «la transition énergétique». Pour pouvoir aborder convenablement ces deux notions ou concepts, je pense qu'il faut préciser le contenu de chaque concept et sa genèse; il me semble qu'il est important de souligner que chacun des deux concepts n'a ni la même signification, ni le même contenu, pour un pays doté de ressources énergétiques, voire exportateur net d'énergie, comparé à un autre pays qui, pour ses besoins énergétiques, dépend totalement de ses importations.

De la sécurité énergétique

Le concept de sécurité énergétique s'est développé après le premier « choc pétrolier » de 1974, à préciser que, ce qui est considéré comme un « choc » pour un pays importateur de pétrole ne l'est pas forcément pour le pays exportateur, ainsi, l'augmentation significative des prix du pétrole 1973-1974 a mis en lumière l'importance de l'énergie dans le développement économique des pays. Les études sur la sécurité énergétique ont été principalement menées dans un cadre d'économie politique axé sur l'offre, mais depuis le début du millénaire, le concept de sécurité énergétique est devenu interconnecté avec d'autres questions environnementales, sociales, politiques et de sécurité.

Dans les années 1970 et 1980, la sécurité énergétique signifiait un approvisionnement stable en pétrole bon marché sous la menace d'embargos et de manipulations des prix par les exportateurs. A ce titre, l'AIE définit la sécurité énergétique « comme la disponibilité ininterrompue de sources d'énergie à un prix abordable » mais bon nombre de définitions de la sécurité énergétique mentionnent l'apport de l'Asia Pacific Energy Research Center (APERC, 2007), des quatre « A » de la sécurité énergétique :

- Availability (disponibilité),

- Accessibility (accessibilité),

- Affordability (abordabilité), et

- Acceptability (acceptabilité).

Cette approche a été critiquée par des auteurs qui avançaient l'idée que la sécurité énergétique est une « vulnérabilité des systèmes énergétiques vitaux » qui regroupent des ressources énergétiques, des infrastructures et des utilisations liées entre elles par des flux d'énergie qui soutiennent des fonctions sociales essentielles. Il faudra remarquer que les approches qu'on vient de citer, à l'image de la majorité des approches qu'on trouve dans la littérature économique, s'inscrivent dans une logique de pays importateurs net d'énergie.

La sécurité énergétique, pour les pays exportateurs d'énergie, peut se trouver dans des approches telle que la stratégie à long terme de l'OPEP où les principaux objectifs énoncés sont principalement liés à la garantie de revenus pétroliers à long terme par la stabilisation de prix équitables de l'énergie et à la sécurisation globale de la demande mondiale de pétrole pour les producteurs.

La sécurité énergétique pour les pays exportateurs d'énergie doit refléter un état de la société et de l'économie qui permet, sur la base de l'utilisation efficace du potentiel énergétique, de maintenir le niveau de la consommation d'énergie nécessaire au développement socioéconomique du pays, le niveau optimal des exportations vers les marchés mondiaux de l'énergie du point de vue des critères commerciaux en tenant compte des intérêts du pays. Ainsi, la dimension internationale des pays exportateurs d'énergie est prise en compte à travers la capacité de mettre en œuvre sa stratégie pour le marché mondial.

En Algérie, le secteur de l'énergie joue un rôle vital car il répond aux besoins énergétiques des acteurs économiques et le financement du développement socioéconomique grâce aux recettes des exportations des hydrocarbures : 98% des recettes d'exportation et plus de 50% des recettes du budget de l'Etat. A ce titre, c'est au Haut Conseil de l'énergie, créé par le décret présidentiel de 2022, de statuer sur les stratégies à suivre dans les domaines de la sécurité énergétique et de la transition énergétique (article 2), notant que le Haut Conseil de l'énergie a remplacé le Conseil national de l'énergie créé en 1995, ce dernier n'était pas tellement actif.

Revenons à la sécurité énergétique selon l'APERC; commençons par le premier aspect, la disponibilité qui renvoie à celui des réserves pour un pays producteur. En Algérie, les réserves d'hydrocarbures sont importantes, le pétrole avec 12,2 milliards de barils, classée au 15ème rang mondial et le gaz naturel avec 4.500 milliards de M3 au 10ème rang mondial, quoique l'Algérie ne cesse d'augmenter ses réserves grâce à la découverte de nouveaux gisements tels que ceux découverts en 2022 avec l'italien ENI, à signaler que ces réserves concernent les hydrocarbures conventionnels n'englobant pas le gaz de schiste où l'Algérie est classée 3ème réserve mondiale quatre fois les réserves locales en gaz naturel conventionnel avec un volume qui avoisine 20.000 milliards de M3.

Pour ce qui est de l'accessibilité, l'augmentation de la production pétrolière et gazière et l'augmentation du taux d'électrification nationale sont considérées comme des priorités par les pouvoirs publics, c'est ainsi que le taux de couverture électrique est de 100%, avec une longueur totale du réseau national de distribution de l'électricité de 328.996 km. Le taux de couverture en gaz naturel au niveau national a atteint actuellement 62%. Le nombre de stations-service réparties à travers le pays est estimé à 2.500 stations, même si ce nombre reste encore insuffisant comparé aux pays développés, vu l'importance du parc automobile et l'étendue du pays.

Pour ce qui est de l'abordabilité, il me semble qu'on n'a pas besoin de trop s'étaler sur les prix et les tarifs énergétiques qui sont abordables ou « trop abordables », à travers un système de subvention implicite.

Pour ce qui est de l'acceptabilité ou la durabilité, c'est par rapport aux impacts environnementaux du système énergétique en Algérie, qui, malgré les efforts et la profusion de textes réglementaires reste en deçà des attentes, le programme de transition énergétique ambitionne de pallier à ces insuffisances et de rattraper le retard en la matière, dont on reviendra après. A signaler que la consommation d'énergie en Algérie a également augmenté au fil du temps, principalement en raison de l'augmentation de la demande d'électricité urbaine et de l'augmentation du parc automobile. Cela peut avoir un impact sur la sécurité énergétique de l'Algérie, ajouté à cela le fait qu'une partie de l'infrastructure énergétique de l'Algérie est obsolète, ce qui peut compromettre la sécurité énergétique en augmentant la possibilité de pannes et de ruptures d'approvisionnement.

En conclusion, la sécurité énergétique est un enjeu majeur pour les pays exportateurs nets d'énergie tels que l'Algérie. Les défis à relever sont nombreux, notamment la dépendance excessive aux exportations d'énergie, la consommation croissante d'énergie et les problèmes d'infrastructure.

De la transition énergétique

La notion de «transition énergétique » est omniprésente dans les débats qui accompagnent les restructurations en cours du secteur énergétique. Mise en vogue en Europe depuis les années 1980, mais elle a commencé à être prise en compte à la fin des années 1990, (depuis 1998 en Allemagne), ce tournant a été présenté comme une réponse à deux défis énergétiques majeurs : conjurer simultanément les risques de l'énergie atomique et du changement climatique causé par la combustion d'énergies fossiles. Il s'agit d'assurer le passage d'une politique orientée par la demande à une politique déterminée par l'offre.

Il est évident que chez nous notre mode de vie est fondé sur (et façonné par) une énergie abondante et bon marché, et en tout premier lieu basé sur les hydrocarbures fossiles, en l'occurrence le pétrole et le gaz à hauteur successivement de 35% et 65%.

Mais ce modèle est manifestement insoutenable, comme en attestent les différents indicateurs disponibles (notamment l'estimation de la capacité annuelle de production, mises en regard des projections de consommation domestique, sans compter les effets néfastes de la dépendance de notre économie et les structures génératrices de croissance et développement des recettes des hydrocarbures, mais cela n'est pas notre propos.

A cet effet, la transition énergétique constitue l'alternative la mieux indiquée pour éviter une éventuelle situation d'impasse. Ainsi, nous définissons la transition énergétique comme étant le passage à un modèle énergétique, et à un mode de consommation de l'énergie où on consomme de moins en moins d'énergie fossile et de plus en plus d'énergies renouvelables et en même temps combine efficacité et sobriété énergétiques.

1- La sobriété énergétique conduit à consommer moins, en faisant notamment la chasse aux gaspillages d'énergie, et à toutes les consommations inutiles et/ou cachées. Elle suppose un comportement d'utilisation rationnelle de l'énergie. Les outils sont soit une politique incitative (politique de sensibilisation), ou bien une politique coercitive (politique fiscale), ou les deux à la fois.

2- L'efficacité énergétique, elle, désigne le fait d'utiliser moins d'énergie qu'avant pour fournir des services énergétiques équivalents, l'indicateur usuel de l'efficacité énergétique est l'indice d'intensité énergétique qui est le rapport entre l'énergie consommée et le PIB, ainsi en augmentant l'efficacité énergétique, nous utilisons moins d'énergie.

Les outils et politiques pour renforcer l'efficacité énergétique

- L'étiquette-énergie

Afin d'influencer les consommateurs et les investisseurs dans leur choix, il a été mis en place un programme d'étiquetage énergétique pour chaque produit. L'étiquette indique le classement du produit en fonction de son efficacité énergétique sur une échelle allant de A à G, sauf que chez la plupart de nos consommateurs, et vu le prix de l'énergie, c'est le paramètre du prix de l'électroménager qui est pris en ligne de compte, alors que l'aspect efficacité énergétique est totalement négligé.

- L'efficacité énergétique des bâtiments, les bâtiments sont responsables de plus de 40% de la consommation d'énergie en 2021, c'est dommage qu'en Algérie depuis les années 2000 a connu la construction de millions de logements s'est faite sans tenir compte des normes HQE (Haute Qualité Environnementale), notamment en isolation thermique.

- L'efficacité énergétique des transports. Les transports comptent pour presque 29% de l'énergie consommée en 2021, la politique énergétique consiste, comme c'est le cas dans notre pays, à encourager la conversion et l'installation d'équipement qui permet aux véhicules de rouler en GPL ou en GNc. Dans les pays développés on est déjà passé aux véhicules électriques.

3- Les énergies renouvelables (EnR), ce sont des énergies d'origine naturelle qui se renouvellent à une cadence supérieure à celle de leur consommation, pour ne citer que l'énergie solaire (photovoltaïque, thermique et thermodynamique), l'énergie éolienne (terrestre et en mer), et la Biomasse (bois et déchets), il y en a d'autres EnR. L'expérience a montré que même dans les pays les plus libéraux, il n'y a pas eu de développement d'énergies renouvelables sans une politique volontariste menée par les pouvoirs publics, par des mesures incitatives (financières, fiscales), et le développement du Partenariat Public Privé (PPP).

En Algérie, nous avons commencé à parler de l'efficacité énergétique au titre d'un programme de 2011-2013 dont le bilan n'est pas très reluisant. Et ce n'est qu'en mai 2015, que nous avons commencé à discuter de façon officielle en Algérie de la transition énergétique. D'ailleurs, un programme qui trace les objectifs jusqu'en 2030 avait été établi, dont une production en énergie renouvelable à hauteur de 22 GW, dont 12.000 MW pour la consommation interne et 10.000 MW pour l'exportation. Ceci aurait permis à l'Algérie de faire une économie équivalente à 6 milliards de dollars si ce programme avait abouti. Hélas jusqu'à 2021, nous avons réalisé seulement 400 MW sur les 22.000 prévus dans le programme. Récemment, le gouvernement a lancé un programme intitulé «Solar 1000» de 1000 MW qui devrait intervenir en 2023 et dont le pivot est la SPA Shaems qui est une société mixte entre Sonatrach et Sonelgaz et qui prévoit de réaliser 1000 MW chaque année jusqu'à atteindre les objectifs définis. En ce mois de mars, le groupe Sonelgaz a lancé un appel d'offres national et international pour la mise en service de 15 centrales solaires photovoltaïques, d'une capacité totale de 2000 MW, et on ne parle plus de la société Shaems ou du projet « Solar 1000 ». Nous espérons seulement que cela nous permettra de rattraper le retard accusé en matière de transition énergétique. Concernant l'hydrogène, notre pays dispose de tous les atouts pour développer l'hydrogène. Les Européens sont intéressés particulièrement par l'hydrogène vert parce que l'Algérie jouit d'un atout principal à savoir l'énergie solaire ?jusqu'à 3.600 heures d'ensoleillement par an?, et un taux de radiation parmi les plus élevés dans le monde. Il y a des experts qui disent que le Sahara algérien peut alimenter toute l'Europe en électricité. L'hydrogène est considéré comme l'énergie de l'avenir et l'Algérie dispose d'un potentiel énorme dans ce domaine et peut le produire de différentes façons. C'est pour cette raison que l'Algérie est courtisée par tous les pays, les pays européens notamment, et non pas uniquement pour son gaz.

Pour finir que si la sécurité énergétique est une exigence, la transition énergétique est un impératif, et s'impose constituant une réponse, (parmi d'autres), à la préoccupation de la sécurité énergétique et que les deux doivent être les leviers d'une gouvernance ou d'une politique énergétique dans l'objectif est d'améliorer le Mix énergétique avec une vision qui combine des priorités économiques nationales et engagements internationaux.

*Professeur à l'Ecole Supérieure d'Economie d'Oran.