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La transition numérique: Un horizon indécis pour l'Algérie

par Lakhdar Ydroudj

Depuis la généralisation de l'internet beaucoup de pays ont choisi la voie numérique pour réussir la transition vers les nouvelles formes d'organisation de la société et de la performance économique, industrielle, culturelle et surtout technologique.

Les facilités du numérique et les enjeux de la numérisation ont dictés la mise ne place de stratégie pour atteindre les standards de cette opération. Le numérique a enfanté une nouvelle souveraineté qui est venue s'ajouter aux souverainetés politique, économique, industrielle, technologique, culturelle, scientifique, médiatique etc. D'ailleurs la citoyenneté numérique est consacrée dans les textes juridiques des pays hyper connectés pour passer a l'ultime étape de ce processus qui est de créer le méta humain dans l'espace infini du Metaverse.

On se rappelle des déclarations des officiels américains et notamment Al Gore, alors vice président des Etats Unis d'Amériques- qui a mis en exergue l'avenir futuriste des Etats qui seraient en diapason avec les nouvelles exigences du développement des nations, tout en apportant le soutien nécessaire aux investisseurs dans le domaine et en prenant en charge la construction de l'infrastructure de l'Etat Electronique. Ces approches nous renseignent sur le sens souverain de l'investissement dans ce domaine qui est la nouvelle clé de la croissance, de la compétitivité et surtout du confort des citoyens.

Diagnostic numérique négatif :

L'Algérie est un des pays qui reste en voie de développement depuis plus d'un demi-siècle malgré toutes les ressources dont il détient et qui devaient être un moyen de figurer parmi les pays développés. Il semblerait aussi qu'il va passer beaucoup plus de temps dans la voie de la numérisation que le temps passé dans le processus du développement sans pouvoir réaliser l'objectif et sortir du sous développement chronique. Il n'est pas de notre intention de procéder à une analyse sociologique de l'échec du développement du pays mais il serait utile de rappeler que le développement numérique repose sur l'investissement dans le capital humain et les compétences et dont les ressources algériennes dans ce domaine s'exportent aisément dans les environnements les plus compétitifs au monde. A vrai dire l'Algérie n'a pas encore entamé le processus de la numérisation puisque elle exécute des opérations sporadiques de l'informatisation dans quelques secteurs qui seraient une des premières étapes de la numérisation. Cette dernière exige la participation active des citoyens dans l'activité à distance, comme acheter un billet d'avion, payer ses impôts, effectuer une inscription universitaire a distance, ou tout simplement acheter son billet de cinéma, de musée, de théâtre depuis son domicile et effectuer toutes les opérations bancaires a partir de son portable ou de son PC en toute securité sans avoir le souci d'être piraté. Il faut aussi signaler que la numérisation est une étape ultime de dépasser les procédures administratives lourdes et répétitives pour les citoyens de fournir les documents en papier. En d'autres termes, l'ère numérique est une relation électronique entre le citoyen et toutes les institutions qui gèrent des matricules au lieu de documents comme archives.

Le discours et les institutions :

L'Algérie n'arrive pas à amorcer un départ efficace pour réaliser sa mutation électronique puisque les traditions de travail du siècle dernier dominent toujours la sphère socio-économique. L'étape cruciale de la transition numérique devait se faire au niveau du gouvernement avec une mise en exécution d'une stratégie pour avoir un e-gouvernement au lieu de maintenir un gouvernement en papier dans les différentes institutions de l'Etat. Pour cela, le discours politique ne suffit pas si l'Etat n'épouse pas la transition comme ce fut les cas dans plusieurs pays qui ont pu atteindre les standards de la numérisation dans tous les domaines.

Même si la volonté politique de numériser existe, un ensemble de conditions devaient être remplies et prises en charge pour espérer un démarrage effectif des opérations liées à la numérisation. La condition essentielle c'est de définir une stratégie a cour et moyen terme avec une définition adéquate de toute l'infrastructure et les compétences pour sa mise en chantier. Les dates butoirs sont très importantes à définir dans le cahier des charges sinon le chantier restera ouvert a l'infini. Pour plusieurs pays, la numérisation a exige la création de superstructures institutionnelles pour veiller a l'application des directives de l'Etat et ses programmes visant a mettre en place le E-Gouv.

La démarche de l'Algérie est loin de faire l'unanimité au sein des institutions nationales puisque elles maintiennent les procédures de travail classiques sans y répondre aux normes de l'organisation et qui utilisent le vocable de numérisation dans le discours sans le valider sur le terrain. Plusieurs administrations publiques ne disposent même pas de Q Matic Ticket pour organiser les foules, et font appellent aux services de l'ordre pour dispenser leurs services. On ne doit pas parler de numérisations dans ce genre de situation.

Même si on fait abstraction du fait précédent et on admet que l'Algérie avance vers la numérisation, la visite électronique de quelques sites officiels nous permet de confirmer que la démarche ne répond pas aux normes universelles connues dans le cyberspace notamment la mise à jour instantanée, l'interactivité, l'attractivité, l'esthétique, le répondant, et le contenu diversifié, ce qui confirme l'hypothétique avenir de cette opération puisqu'elle sacrifie le discours officiel et participe au maintien du grand décalage entre le discours et la réalité du terrain, laissant un citoyen entre les griffes d'une administration archaïque, une économie sous développée, un enseignement dirigée, des institutions a portes blindées, etc.

Plus de 24 heures après le remaniement ministériel opéré par la présidence le 16 Mars 2023 les pages ne sont pas mise à jour puisque on peut voir que la page par exemple diffuse une boucle d'informations du ministère du commerce dans un ruban qui date du 26 Février 2023.

https://www.commerce.gov.dz/fr

- Site consulté le 17 Mars 2023 a 11.40.

Le CV de Monsieur Ramtane Lamamra orne toujours l'icone de ?Ministre' sur la page officielle du ministère des affaires étrangères.

https://www.mfa.gov.dz/fr/the-ministry/the-minister-of-foreign-affairs-and-national-community-abroad

- Site consulté le 17 Mars 2023 a 11.48.

La page d'accueil du ministère de la jeunesse et des sports est loin d'être atypique des autres pages puisque c'est toujours le même ministre qui est en place.

https://www.mjs.gov.dz/index.php/fr/accueil

- Site consulté le 17 Mars 2023 a 11.57.

Ces exemples nous éclairent sur le caractère opérationnel de la numérisation en Algérie, qui a beaucoup de chemin à faire et ne peut pas se faire sans l'implication des responsables qui n'ont pas encore épousé la thèse du développement par le bais des puces électroniques en empruntant les autoroutes numériques du cyberspace disponibles pour tous les pays. Thèse pourtant prise en charge dans le discours du président de la république lors de ses passages devant la presse nationale. Les mises a jour sont le travail de cellule numériques des instituions qui n'ont pas d'horaire fixes ni de bureau. Equipées d'outils nécessaires ces cellules veillent en mainstream à ce genre d'opération.

Depuis 2021 (1) des annonces dorées sont faites autour du lancement de la procédure d'élaboration d'une loi sur la numérisation qui n'a pas été accompagne d'effet puisque en 2022 c'est le ministre en charge de la digitalisation « sure et positive pour construire la citoyenneté numérique de l'Algérie » (2) qui reformule les intentions pour la mise en marche pour dire que la loi et les textes réglementaires sont en cours d'élaboration (3). Cette déclaration a été faite en marge des travaux du salon DIGITECH 2022 et que l'histoire retiendra dans la cadre de discours de consommation publique puisque aucun bilan ne peut vraiment être a la hauteur des enjeux de la numérisation économique, social, culturel, industriel, technologique, éducatif, militaire, et les autres domaines des sociétés contemporaines (4). Nous pensons que la démocratisation de l'internet et le suivi des opérateurs et fournisseurs de l'internet par les autorités de régulation au niveau de l'Algérie profonde doit être la priorité en plus de l'obligation de toutes les institutions publiques et privées à avoir des sites interactifs vers lesquels les services doivent migrer dans le cours terme.

Si nous prenions en exemple le secteur financier, les banques nationales sont toujours à un stade primitif de la gestion monétique, puisqu'elles n'ont toujours pas compris les enjeux stratégiques de la démonétisation de l'argent (5). Pourquoi est ce que nos banques ne procurent pas par exemple des cartes de crédit en monnaie nationale pour les fonctionnaires et les travailleurs stables (pas de débit des comptes courant). Pourquoi l'e-banking peine a se développer ? Pourquoi les ATM ou distributeurs sont logés dans les banques ou les espaces dédiés aux clients appelles abusivement numériques ? On peut poser toutes les questions sans trouver une réponse convaincante puisque le monde virtuel domine actuellement les industries de la finance. On ne peut pas combler le déficit de la numérisation de l'industrie bancaire et financière par la création des abris pour exécuter des taches classiques (retrait d'argent etc.) ou par des projets pour la création de «pôles d'innovation numérique». On peut s'inspirer des expériences de pays ou le numérique est synonyme de confort pour les citoyens qui leur permet de gérer leur quotidien éducatif, financier, social, distractif, administratif ? a distance en toute securité.

La route des gadgets et des puces électroniques :

L'espèce humaine entame la troisième décennie du troisième millénaire avec une transition notable vers des sociétés sans papier, sans argent fiduciaire, sans livres imprimés, sans école traditionnelle, ou les modèles de transactions sont devenues de plus en plus soumises à la formule électronique de C2 (Click and Collect). Cette voie reste lointaine lorsqu'on analyse les quelques opérations qui se déroulent. A titre d'exemple, les publicités électroniques qui pullulent sur le net ne répondent a aucun critère économique et commerciale. Des produit sont proposés zéro dinar juste pour attirer une clientèle, d'autres demandent aux surfeurs de passer a la discussion (piège) privée. Les ministères sensés être les régulateurs de l'activité commerciale ne manifestent aucune volonté d'organiser le commerce en ligne en définissant un cahier des charges clair qui régit la relation entre les deux parties. Les sites électroniques dans tous les pays du monde affichent les produits et les prix correspondants.

L'Algérie doit revoir sa copie stratégique de la numérisation en travaillant dans le sens de bâtir l'e-gouvernement en empruntant la route des puces électroniques dans ses institutions qui sont disponibles sur le marché de TIC. Pour cela il faut commencer par la sensibilisation des responsables pour communiquer avec le peuple par les moyens électroniques et créer des cellules au niveau de toutes les institutions étatiques qui font de la veille électronique et numérique, y compris la création esthétique de sites et ses mise a jour.

L'étape la plus importante est la dynamisation opérationnelle des travaux de la structure gouvernementale dédiée à la numérisation qui doit :

- Identifier les infrastructures et définir les normes des réseaux et des outils les plus performants à utiliser,

- Accompagner toutes les institutions de l'Etat dans le processus de la modernisation numérique, en définissant la stratégie sectorielle avec la matrix gouvernementale,

- Définir les dates butoirs ou un deadline pour les institutions pour faire migrer les activités vers le numérique au service du citoyen a distance,

- Ouvrir le champ de la concurrence aux fournisseurs de l'internet et tous les autres services électroniques avec des obligations d'une couverture nationale normative qui répond aux recommandations numériques dans le domaine, avec un contrôle systématique des défaillances,

- Assigner un objectif de désenclaver les régions du pays notamment les administrations nationales, numériser les manuels scolaires, les références universitaires etc. et les mettre a la disposition des utilisateurs, qui permettrait de fidéliser le public à utiliser les TIC,

- Etablir les rapports des suivis et des recommandations dans le cours terme pour réorienter les actions à entreprendre, si nécessaire faire appel au savoir faire international pour l'exploitation de toutes les potentialités afin de réduire le temps imparti a la création du E-gouvernement.

Numériser c'est avant tout atteindre un seuil appréciable dans l'accomplissement des services pour les citoyens qui peuvent par suite jouir d'un certain confort. C'est aussi réaliser le pas nécessaire de faire partie des pays en marche vers la post-industrialisation. C'est enfin exploiter la nouvelle ressource de la croissance et de la prospérité en utilisant à bon escient toutes les technologies de l'information et la communication et ne pas se contenter de retranscrire les services comme présentation marketing sans effet immédiat sur la vie des citoyens. On se rappelle par exemple que le Centre de Recherche sur l'Information Scientifique et Technique (CERIST) a été crée en 1985 pour l'informatisation des bibliothèques et la mise en place d'un système national d'IST, la collecte et le traitement de l'information et beaucoup d'autres activités vitales a la vie universitaire, mais beaucoup reste à faire, malgré la disponibilité des ressources. Ce n'est pas un dénigrement de dire que le bilan est négatif car les attentes des utilisateurs sont toujours en stand bye, en ce qui concerne la numérisation de toutes les activités scientifiques liées à l'IST en Algérie.

Il est inutile de s'attarder sur les enjeux de la numérisation sur tous les plans du développement et la vie des citoyens car la transversalité des technologies de l'information induit un effet domino positif sur tous les secteurs notamment l'économie, l'enseignement et la recherche scientifique qui restent les secteurs fédérateurs de toutes les intégrations sociologiques, car c'est a travers l'économie de la connaissance que la digitalisation peut passer sans encombres ni dégâts. Le temps passe très vite et les moyens disponibles seront caduques et inefficaces pour un transiter vers les sociétés électroniques.

*Chercheur et auteur

Notes

1- https://www.aps.dz/economie/119156-une-politique-nationale-de-numerisation-en-cours-d-elaboration.

2- https://www.aps.dz/sante-science-technologie/147552-l-etat-avance-resolument-vers-l-edification-de-l-algerie-digitale

3- https://www.liberte-algerie.com/actualite/l-elaboration-du-texte-en-cours-374899

4- L'agence officielle APS tente de dresser un bilan 2022 dans une dépêche brève et insignifiante sur la numérisation avec un titre très attractif ?qui reste dérisoire en termes de la réalisation de l'infrastructure numérique- en présentant au lecteur la réalisation de portail «qui regroupent des services électronique s de 29 départements fournit aux citoyens, particuliers et professionnels, des informations détaillées sur toutes les procédures et services publics et informations gouvernementaux, électroniques et non électroniques». Cette opération est en fin de compte un dépliant de l'information mis en ligne et reste une étape non pertinente dans la numérisation. Cf.

https://www.aps.dz/sante-science-technologie/149551-2022-annee-de-l-acceleration-de-la-numerisation-en-algerie,

5- Un des enjeux vitaux pour l'économie est l'absorption de la masse salariale existante sur le marche parallèle est qui est estimée a plus de 90 milliards de US dollar, en plus du fait de la création de nouvelle pratiques économiques chez l'algérien, sans parler de la traçabilité des flux financiers. Démonétiser l'argent c'est aussi et surtout faire l'économie de l'impression de l'argent fiduciaire surtout que nous importons la matière pour cela pour le rendre scriptural, notamment avec le développement des technologies de l'information et des applications inhérentes a la mise en œuvre de facilites numériques.