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Oran rend un hommage posthume au Professeur Hacène LAZREG: Bâtisseur de la première Université d'Oran

par Hassini Tsaki*

(Cérémonie prévue au pôle Mourad Salim Taleb (Ex-Igmo), le 28 février 2023)

Le Professeur Hacène LAZREG, premier Recteur et bâtisseur de la première université d'Oran, n'a jamais quitté Oran, bien que décédé à Oran à l'âge de 99 ans et enterré au cimetière d'Aïn El-Beïda d'Oran, sa voiture personnelle se trouve toujours, et à ce jour, garée au parking de ?'son'' rectorat à Es-Sénia. Et ce, des dizaines d'années après sa mise à la retraite...

Mis en terre, le jour même de son décès, comme si on était pressé de le voir disparaître de la sphère des vivants; le voilà, par sa bonne étoile et long parcours de militant et humaniste, qu'il n'arrête pas de renaître de ses cendres pour servir, et servir encore, son pays et son université d'Oran, à qui il a donné vie, cinq ans seulement après l'indépendance du pays, en transformant une ancienne caserne coloniale, en nouveau temple du savoir !

Ainsi le 18 février prochain, dans cette même université d'Oran, une cérémonie d'hommages lui sera rendue publiquement et une distinction lui sera décernée à titre, personnel et posthume, pour sa bonne gouvernance durant sa longue carrière de formateur et de gestionnaire de l'université algérienne. Aussi, et concomitamment, des prix de reconnaissance, portant son nom, consacreront 03 chercheurs lauréats distingués pour leurs travaux scientifiques, issus de trois grands domaines de recherches et de formations supérieures.

Pour connaître la valeur et se souvenir, de ce que a été, vraiment, ce grand et humble humaniste en la personne de Hacène LAZREG, il suffit d'écouter le témoignage étonnant, et particulièrement original de ce jeune enseignant, fraîchement diplômé d'une université française, entrant pour sa toute première fois dans la jeune université d'Oran, afin de débuter sa carrière de jeune enseignant-chercheur. « Arrivé dans la cour de l'université, je questionne un groupe d'ouvriers affairés à ravaler les murs des bâtiments plus ou moins défraîchis de cette ancienne caserne coloniale. A qui je demande, que je souhaiterai voir le recteur de l'établissement, en rajoutant, un peu fièrement, que j'étais enseignant et que c'était là ma première affectation. Un ouvrier, me désigne du doigt, un peu plus loin de nous, un monsieur, portant lui aussi une blouse blanche de peintre et occupé de la même manière. Je vais vers la personne indiquée, à qui je repose ma même question... que je désirai voir le recteur. Le monsieur me regarde, puis pose ce qu'il avait dans les mains, enlève sa blouse de peintre, puis m'indique son bureau en me disant, attendez-moi à mon bureau, je vais me laver les mains et j'arrive vous voir... C'était le professeur Hacène LAZREG, ophtalmologue diplômé de la faculté de Montpellier, ancien médecin-officier de l'Armée de libération nationale, et recteur de l'université d'Oran qui venait de me parler, et qui s'apprêtait à me recevoir dans son bureau ! ». C'était, seulement cela, et tout cela, le Professeur LAZREG... Humilité, générosité, force et humanité en même temps.

Mis à la retraite, peut-être trop tôt, pour lui, ou pas du tout convenant, pour ce monstre merveilleux de travail et de dévouement pour son pays et les autres, il quittait toujours vers huit heures du matin son domicile familial du centre-ville d'Oran, un gros cartable en cuir à la main, pour aller, comme je l'imaginais, courir les services médicaux de la ville ou visiter les facultés des deux universités de la ville dont il été, successivement, recteur. Parfois, il me peinait et me rendait bizarrement triste de le voir ainsi, beaucoup de matins où nos chemins se croisaient, sortir de chez lui, relativement tôt, le gros cartable toujours à la main, se demandant, peut-être, pourquoi on n'avait plus besoin de lui... Lui, qui savait qu'il pouvait encore donner, diriger et réaliser tant de choses encore... C'étaient les rares moments où il semblait vraiment triste et abattu. Car, peut-être, en ces moments, devait-il penser ou se sentir inutile... ce qui est atrocement difficile et insupportable pour un LAZREG Hacène, habitué qu'à l'affrontement des défis.

Le Professeur Hacène LAZREG (1922-2021), premier recteur et bâtisseur de la première université d'Oran

Né et grandi à l'extrême est du pays, dans la localité d'El Harrouch, pas loin de Skikda, où il obtint son baccalauréat en 1945 pour aller, ensuite, à Alger faire ses études de médecine. Et c'est en 1954 qu'il sera proclamé médecin spécialisé en ophtalmologie par l'université de Montpellier (France). Rentré en Algérie, il rejoint les rangs de l'Armée de libération nationale, qu'il servira en qualité de médecin-officier. A l'indépendance, il s'installe à Oran où il dirigera le service d'ophtalmologie du CHU de la ville. Ayant adopté Oran, ville qu'il ne quittera plus jamais. Cette ville ouverte à tous, l'a accueilli, adopté et aimé comme un fils cher et utile, ce que Halène LAZREG, le lui a rendu en mille, en créant pour ses enfants et les générations à venir, deux grandes universités, aujourd'hui de renom international...

Oran n'est pas la ville des ?'Savants'' (Bled El Oulamas), comme certains le prétendent avec ruse et opportunisme rentier ;

Oran n'est pas, non plus, la ville de la culture et du raffinement citadin (Bled El H'dar), comme d'autres le prétendent, aussi, avec élitisme obséquieux et morgue ;

Oran, est la ville des gens... Des gens, seulement ... des gens simples, humbles et valeureux comme l'a été, pour elle, Hacène LAZREG !

Oran, n'a pas de Maître, ni une aristocratie, qui pourrait la revendiquer comme sa propriété. Elle ne vit pas, non plus, sur un mythe historique, ou plutôt, pseudo-historique, Depuis fort longtemps, cette ville merveilleuse et si hospitalière est et reste la capitale et sanctuaire de tous les ruraux du pays, qu'elle accueille, abrite et adopte avec toute, sa chaleur humaine, son énergie et bienveillance, aujourd'hui, légendaires.

Même, son saint patron, Sidi El Houari, est un rural originaire de bien plus loin ; n'empêche qu'elle l'a accepté, servi et vénéré jusqu'à ce jour. Ainsi, Oran reste, par excellence, la capitale nationale des ruraux et de la ruralité, bien que ville moderne et deuxième métropole méditerranéenne du pays, c'est la ville où les ruraux, venus de toute part et de toute région, diversité culturelle et histoire, se sentent, du jour au lendemain, chez eux, parfaitement acceptés et adoptés.

C'est de cette ruralité profonde qu'Oran porte encore en elle, qu'a été extrait un Emir Abdelkader (qui a étudié et vécu en partie dans cette ville), un Larbi Ben M'hidi (qui a été, entre autres, le premier responsable politique de la wilaya V), un Mohamed Boudiaf, un Hocine Aït Ahmed, un Krim, et bien sûr un Boumediene, un Chadli, un Hacène Lazreg, et que sais-je encore !

Le Professeur LAZREG avait reçu, de son vivant, plusieurs distinctions et titres de reconnaissance pour son action de développement de la filière d'Ophtalmologie d'Oran.

Ainsi que pour les nombreux services rendus au pays et à l'université algérienne, dont l'ordre du ?'Soleil-Levant'', une des plus prestigieuses distinctions japonaises, qui lui a été remise pour avoir, longuement, contribué au développement des relations de coopération entre l'Algérie et le Japon, surtout en matière d'envois de stagiaires ophtalmologues en formation spécialisée dans ce pays. Et même disparu, aujourd'hui, et bien que bel et bien enterré au cimetière de Aïn El Beïda depuis le 07 octobre 2021, il fera l'objet à titre, personnel et posthume, d'une distinction, le 18 février 2023, en présence des enseignants chercheurs et des autorités de l'université d'Oran. Distinction et reconnaissance, Ô combien méritées !

(*) Hassini TSAKI, Professeur à la retraite, co-fondateur et ancien directeur du Laboratoire de Recherches pour une Sécurité Alimentaire et Energétique, de l'Université d'Oran 1