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30 réformes et garde-fous à mettre en œuvre (Suite et fin)

par Mohamed Belhoucine*

25- Supprimer la déductibilité fiscale des intérêts pour cesser de subventionner l'effet de levier de la dette.

Tout bon comptable sait que l'intérêt n'est pas un coût d'exploitation lorsqu'il est payé pour transférer les droits de propriété à des propriétaires ou entreprises existantes. Les dettes contractées pour acheter des actifs ne sont que des frais extras, qui augmentent le coût. Déduire de l'impôt les intérêts payés sur ces transactions permet aux créanciers internationaux (les 1%) de prélever davantage sur l'industrie, l'immobilier et le commerce. Cette incitation perverse favorise les raids financiers sur les entreprises industrielles en payant plus aux obligataires qu'aux actionnaires (en leur versant des sommes qui, autrement, seraient déclarées comme bénéfices imposables). Cela encourage l'effet de levier de la dette plutôt que l'investissement en actions, en particulier pour les rachats par emprunt qui ajoutent des frais d'intérêt au coût d'exploitation d'une entreprise.

La déductibilité fiscale des intérêts augmente également le coût de la vie, dans la mesure où elle transfert le fardeau fiscal sur le revenu salarial et les achats des consommateurs. Pourtant, les politiciens dans le monde finissent par accorder des avantages fiscaux aux créanciers pour que le secteur financier devienne leur principale clientèle de donateurs électoraux.

Tout comme dans le cas d'une rente économique non imposée, la non-imposition des intérêts payés laisse plus de rente immobilière après impôts et le flux de trésorerie « libres » à même d'être capitalisés dans des prêts plus importants qui augmentent le prix des actifs pour de nouveaux acheteurs à crédit. Les intérêts non imposés finissent par être versés aux banquiers et obligataires. Cette transformation des rentes et baisses d'impôts en intérêts -générant ainsi des plus-values «en capital»- met les obligataires et les banques au service d'une politique fiscale anti-croissance dont le «produit» principal est la dette. L'emprise de l'oligarchie financière algérienne et étrangère sur la législation et les tribunaux (en bloquant les réformes), sa mainmise sur les organismes de surveillance et son contrôle politique sur le financement des campagnes électorales obligent les économies à prendre des mesures radicales pour se sauver de l'austérité et de la servitude pour dettes. Et les mesures radicales, de par leur nature, doivent être brusques. Pour être efficace, la réforme systémique doit se faire rapidement et totalement, et non lentement et à la marge.

26- Offrir la possibilité de choisir une banque publique

La possibilité d'opter pour une banque publique pourrait limiter l'économie de la rente de monopole dont bénéficient actuellement les banques privées. Plus important encore, il aurait été peu probable que des services bancaires publics accordent du crédit pour les prises de contrôle d'entreprises publiques, le démembrement d'actifs et l'endettement qui caractérisent le système financier actuel.

Trois arguments principaux plaident en faveur de la création d'une banque publique chargée de fournir des services de base en matière de chèques, d'épargne et de cartes de crédit. La raison la plus évidente est d'offrir ces services à moindre coût. Une option publique à l'abri des salaires exorbitants et des options d'achat d'actions, des frais de gestion indus et d'autres tactiques de financiarisation, sans parler du lobbying politique et des amendes pour le mauvais comportement désormais chronique des grandes banques.

La 2e raison d'instituer la possibilité d'opter pour une banque publique est de séparer banque de dépôts et banques d'investissements, étant donné que les grandes banques privées peuvent tenir l'Etat en otage et le forcer à les renflouer lorsque la croissance exponentielle des créances financières fait éclater une nouvelle crise de solvabilité comme en 2008 dans l'économie capitaliste. Enfin, la 3e raison, il est plus facile pour les Etats d'annuler les dettes qu'ils ont envers eux-mêmes que celles qu'ils ont envers les banquiers privés. Avant la privatisation du crédit, les rois mésopotamiens et les pharaons égyptiens annulaient les dettes envers le palais (un jubilé) afin d'éviter la servitude et l'émigration généralisée, ce qui est le sort des pays aujourd'hui en situation d'endettement (Maroc, Egypte, Afrique, etc.).

27- Maintenir les monopoles naturels dans le domaine public pour empêcher l'extraction de rentes

Les lobbyistes financiers dénoncent les dépenses publiques comme un poids mort, même en ce qui concerne les routes, les bureaux de poste et d'autres infrastructures de base. Ils affirment que la privatisation permettra de fournir ces services à des prix toujours inférieurs à ceux que l'Etat pourrait proposer. Pourtant, tout indique le contraire. La privatisation implique la financiarisation, ce qui ajoute les frais d'intérêt, les dividendes et les salaires exorbitants des gestionnaires aux prix d'équilibre demandés, sans parler de l'utilisation des profits ou des rentes pour le rachat d'obligations en vue de créer des gains en capital pour les gestionnaires et propriétaires. Au-delà de ces coûts, les « privatiseurs » facturent un prix aussi élevé que le marché le supportera. Cette marge est une marge de monopole. C'est pour éviter cette exploitation par les prix que les infrastructures vitales étaient traditionnellement gardées dans le domaine public. Depuis l'Antiquité, les routes et les transports, les canaux et les bâtiments principaux ont été si chers que les concéder à des propriétaires privés aurait exacerbé les inégalités de richesse et créé des élites monopolistiques. Même les serfs médiévaux avaient au moins des droits d'accès aux biens communs pour subvenir à leurs besoins.

L'expérience récente en Algérie de la privatisation d'entreprises, détenues dans le portefeuille des ex-holdings industriels, a été un bradage des biens communs à des acheteurs qui empruntent aux banques pour acheter ces privilèges monopolistiques (huile, sucre...) et paient aux banques des intérêts grâce aux prix qu'ils font payer.

La privatisation offre aux banques un marché des prêts qui capitalise les droits d'extraction des rentes sous la forme d'obligations, d'actions et de prêts bancaires. Le modèle thatchérien de partenariat public-privé n'est qu'une typique ruse du bradage des actifs publics (le projet de la tripartite qui s'est tenue à Alger le 27/12/2017 était un copié/collé du modèle thatchérien).

Cette souscription a donné aux banques privées une forte motivation à pousser l'Etat à se retirer du marché de la prestation de services publics ou de la réglementation et de la taxation des entreprises générant de la rente.

28- Imposer fiscalement les plus-values au même taux progressifs que les revenus et à des taux plus élevés que ceux perçus sur les revenus du travail

Environ 80% des gains en capital sont réalisés dans l'immobilier, ce qui témoigne de sa place dominante dans l'économie. En Algérie, la plupart des gains obligataires ne reflètent pas l'investissement en capital matériel mais résultent principalement du fait que les banques prêtent davantage, car elles assouplissent les normes du crédit, par exemple sur des prêts hypothécaires à risque. Les prix de l'immobilier augmentent lorsque la Banque d'Algérie abaisse le taux d'intérêt auquel les bénéfices et les loyers sont capitalisés en prêts bancaires.

Plus le repas est gratuit, plus la pression exercée sur le gouvernement est forte pour que les gains des rentiers soient encore plus importants, en les imposant encore moins. Les gains immobiliers en Algérie ne sont pas imposables s'ils sont réinvestis dans de nouvelles propriétés, ou si la propriété nominale est située dans la filière très organisée des paradis fiscaux des pays du Golfe (ou au décès du propriétaire). Les obligations bénéficient d'une échappatoire qui impose leurs gains financiers à un faible taux de gains en capital. Le remède consiste à imposer les gains réalisés sur les prix des actifs à un taux au moins aussi élevé que le taux maximal de l'impôt sur le revenu. Dans le cas contraire, l'économie favorisera ces gains par rapport à ceux de l'investissement matériel.

29- Décourager les prêts irresponsables grâce au principe du transfert frauduleux (Fraudulent Conveyance Principle)

La façon la plus évidente de décourager le sur-prêt par les banques privées en Algérie serait d'obliger les prêteurs à supporter le coût des prêts qui ont mal tourné. Les prêts consentis sans une analyse raisonnable pour s'assurer qu'ils peuvent être remboursés dans le cours normal des affaires seraient réputés avoir été consentis frauduleusement.

Pour la dette publique, le principe directeur serait que les détenteurs d'obligations devraient être perdants si la seule façon de les payer est d'imposer l'austérité, le chômage et l'émigration forcée ou de vendre le domaine public. Aucune nation ne devrait être obligée de payer ses créanciers avant de satisfaire ses propres besoins de survie économique. Pourquoi ? Parce que c'est illégal, odieux et illégitime. En aucune façon, les dettes privées étrangères ou locales ne doivent être transférées sur le secteur public. Le pouvoir politique doit être ferme et refuser net le dépouillement des actifs, combiné aux exigences d'austérité.

La question fondamentale est de savoir si la société sauvera les économies endettées ou leurs créanciers. Les banquiers privés crient au désordre à l'idée d'annuler des dettes qui ne peuvent être payées, comme si cette idée était impensable. Nous vivons actuellement dans un interrègne financier dit le capitalisme financier en phase de déclin dans un monde multipolaire. Les banques et les obligataires continueront aussi longtemps qu'ils le pourront, jusqu'à ce que de véritables réformes soient entreprises et que des règles soient fixées pour définir les conditions dans lesquelles les dettes doivent être annulées lorsqu'elles deviennent perturbatrices à l'échelle économique.

30- Restaurer la théorie classique de la valeur et de la rente (et ses catégories statistiques)

La théorie subséquente de la valeur et du prix d'Adam Smith et Ricardo a servi à isoler la rente économique, ce qui a permis à John Stuart Mill et à d'autres « socialistes ricardiens » de démontrer que taxer les rentes permet à la société de récupérer son patrimoine de ressources naturelles et sa valeur croissante. La valorisation de la rente immobilière et locative n'est pas le fruit des efforts des propriétaires, mais plutôt de la prospérité globale de la société et des investissements publics dans les systèmes de transport, les écoles et les autres infrastructures qui définissent la valorisation de la rente immobilière.

Beaucoup de pays se sont battus pour récupérer les rentes sur les terres et les ressources naturelles, y compris les banques. La vague néolibérale du siècle passé a inversé la tendance en privatisant la valeur du terrain, les rentes des minéraux et des infrastructures de base, qui doivent être payés principalement aux banques sous forme d'intérêts. Il faut libérer l'économie de la mainmise des élites rentières.

L'échec en Algérie d'un régime fiscal progressif reflète l'incapacité de la doctrine du marché libre à accéder à un pouvoir politique et législatif suffisant pour libérer notre économie des vestiges du néolibéralisme. A savoir la culture du « propriétarisme »; le système banquier privé avec des lois protégeant les créanciers et les monopoles créés par la monnaie publique et bradés au secteur privé (voir la tripartite du 27/12/2017 qui a failli porter le coup décisif final au secteur public dénoncé très rapidement et à la vitesse de l'éclair par mes soins en date du 02/01/2018 sur El Watan https://www.elwatan.com/edition/contributions/loffensive-et-la-debacle-de-la-dystopie-neoliberale-en-algerie-02-01-2018).

Une règle cardinale à observer, il ne faut pas que le déficit public résulte de la réduction des impôts sur les rentiers et les reste des 1% de notre population.

En résumé :

La réponse à la dévastation causée par cette illusion néolibérale va nous permettre de nous inspirer in extenso du modèle de Kubler-Ross qui définit les 05 étapes du seuil pour faire face à la perte.

- Choc et déni

L'Occident néolibéral dominé par la finance refuse d'admettre que le fait de ne pas annuler les dettes bloque la croissance économique. Les politiciens soit s'en moquent -déni passif-agressif- soit agissent comme des démagogues au nom de leurs sponsors financiers strausso-khazars et des contributeurs privés à leur campagne. Voyant les pays et les populations écrasés par le service de la dette, les conseillers néolibéraux insistent sur le fait que la réduction des salaires et de la consommation préparera le terrain pour un décollage plus sain. La déflation par la dette et le transfert des impôts de la propriété et de la finance vers le travail, à la lumière de l'expérience lettone et grecque, sont présentés par le FMI comme une réussite alors que les conséquences de ces mesures ont été catastrophiques, poussant la main-d'œuvre mâle de ces deux pays à émigrer en masse en dépeuplant leurs pays comme si l'effondrement démographique faisait partie de la solution.          

- Colère et rage

Les critiques du néolibéralisme sont exclues des revues académiques principales car les néolibéraux suppriment toute idée de possibles politiques alternatives. Le coup d'Etat de la CIA et du général Pinochet au Chili en 1973 sera suivi par l'assassinat des dirigeants syndicaux et d'universitaires progressistes dans toute l'Amérique latine. Même la protection financière des consommateurs occidentaux est combattue et empêchée avec rage par les lobbyistes financiers. Les pays africains endettés ont eu à subir les avertissements de Jeroen Dijjsselbloem président de l'Euro-groupe (y compris le Maroc et l'Egypte contraints aussi à subir l'humiliation de demeurer prisonniers adventum eternum sous les fourches caudines du FMI, dépossédés de leurs actifs industriels et agricoles, infrastructures publiques, fonciers et le foncier car leurs dettes sont irremboursables et dépassent 250% de leurs PIB) ! menaçant de contrecarrer toute politique alternative par des sanctions économiques comme celles qui ont été imposées à Cuba, Venezuela, à l'Iran, à la Russie et à la Corée du Nord. L'oligarchie financière au pouvoir a pour seule hantise que de sauver ses intérêts et n'offrira que deux alternatives dont le mix est un pâté d'alouette à moitié cheval à moitié alouette : la pauvreté absolue pour la population ou la richesse pour l'oligarchie.

- Marchandage

L'escroquerie la plus connue du FMI est de faire semblant ! Le FMI, pour ne pas annuler les dettes, propose un marché de dupes, sorte de palliatif pour réduire les charges financières à court terme de la dette en étalant les remboursements du prêt sur une longue période et à un taux d'intérêt plus bas. Sachant que les frais de gestion ont été déjà payés à échéance. Tout cela consiste à « faire semblant » qu'en fin de compte toutes les dettes ont été payées. Les banques préfèrent éviter d'effacer les créances et percevoir un flux continu de paiements et d'intérêts et de pénalités (surtout lorsque ceux-ci sont garantis par l'Etat). Le nouveau marché actuel est le suivant : « Vous n'avez pas à payer la dette. Nous continuerons simplement à vous prêter de plus en plus et à vous facturer des intérêts et des frais de retard sur le solde de la dette qui augmente ». Ce marché vise à masquer la réalité et est chimérique et trompeur.

- Tristesse        

Tous les arrêts de ces 10 dernières années de la Cour de justice européenne ainsi que ceux de la Cour européenne des Droits de l'homme sont en faveur de la finance internationale. Un pouvoir exorbitant est accordé aux ministères des Finances d'imposer l'austérité et la déflation par la dette aux populations. La mainmise du pouvoir financier est totale. La démocratie n'existe plus en Europe dressée sous les coups de butoir de l'Etat d'exception et des contraintes financières imposées par un personnel non élu qui condamne les économies à la servitude par la dette. Pour avoir une partie du butin (salaires, retraites, sécurité sociale, aides de l'Etat?), le prolétariat intérieur européen et la petite bourgeoisie renoncent à la démocratie et accepte la prise de contrôle financière par l'élite (arrivée de Macron et Draghi au pouvoir). A mesure que les oligarchies remplacent la démocratie dont le premier symptôme est crise de la représentation sous la mainmise des lobbies, le taux de participation aux élections diminue -symptôme politique moderne de la tristesse sociale et la capitulation-. Nous assistons à la défection de la vraie (le) politique, où les affects, locomotive des luttes antagonistes entre dominants/dominés ou la Caste/Peuple n'ont plus cours -la dépression qui en résulte est à la fois économique et psychologique-.

- Acceptation

Cependant, le combat pour une économie basée sur la réalité n'est pas facile à gagner. Les intérêts en place accepteront-ils le changement sans se battre ? Et dans un tel combat, les populations vont-elles céder à la servitude de la dette et à la dépression chronique ? La question est de savoir si les économies endettées se laisseront entraîner dans une nouvelle ère sombre de servitude par la dette.

En conclusion :

La leçon de l'histoire est que les élites des créanciers et des banques privées ne reconnaissent pas à quel point leur mythologie est destructrice. Manœuvrant pour survivre à l'effondrement économique qu'elles provoquent, les élites rentières transforment leurs revendications financières en propriété foncière directe et en extraction de rentes. Elles transforment les économies en communautés fermées, avec une propriété héréditaire des terres environnantes et des infrastructures de base, un peu comme sous les seigneurs de guerre féodaux. Accepter cet âge sombre de la finance qui nous est imposé équivaut à une passivité face à la mort économique et démographique.

*Docteur en Physique - DEA en Economie