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30 réformes et garde-fous à mettre en œuvre (5ème Partie)

par Mohamed Belhoucine*

23- Faire financer les déficits publics par la Banque d'Algérie et non par les impôts.

La monnaie a été toujours une création publique. Le papier-monnaie qui est dans notre poche est une forme de dette publique. L'Etat l'a créé comme une sorte de reconnaissance de dette lorsqu'il est utilisé pour payer pour des biens et services. C'est ainsi que les Etats fournissent de la monnaie aux économies. Les détenteurs de cette monnaie sont à leur tour en position de créanciers du reste de l'économie et ils paient avec ce crédit (qui reçoit de la valeur parce que l'Etat accepte de le recevoir en paiement des impôts). C'est l'essence même de la Théorie Monétaire Moderne enseignée dans les Business-schools et les universités.

La dette publique -y compris la masse monétaire- n'existerait pas si l'Etat n'accumulait pas les dettes, décennie après décennie, depuis notre indépendance en 1962, de façon analogue aux autres pays. C'est le déficit qui crée la base monétaire de l'économie, qui augmente chaque année proportionnellement à l'augmentation de la dette publique.

Contrairement aux dettes privées, les dettes publiques n'ont pas à être remboursées, sans quoi la masse monétaire disparaîtrait.

Le diktat des financiers et des détenteurs d'obligations.

Les élites financières des banques privées dans le monde capitaliste et les détenteurs d'obligations préfèrent tenir leur gouvernement en laisse avec leur Banque centrale qui ne crée de la monnaie que pour renflouer les banques privées, et non l'économie (statistiques et bilans bancaires à l'appui, à titre de comparaison, nous constatons le bénéfice gigantesque essentiellement rentier engrangé par les banques commerciales privées, non généré par l'économie de production). Car le rôle de la Banque centrale est de créer électroniquement de la monnaie à dépenser dans l'économie pour stimuler la croissance économique sans entraîner de dette portant intérêt envers les banques commerciales et les détenteurs d'obligations. Dans le monde, durant les trente dernières années, les banques ont financé la plus forte inflation des prix de l'immobilier, des actions et obligations de l'histoire, à l'origine du krach de 2008.

Cette inflation n'est pas plus responsable sur le plan moral que les dépenses publiques.

Les Banques centrales ont été fondées pour financer les déficits. Mais au cours des dernières décennies, le secteur financier les a transformées en appendice du système bancaire privatisé. Je cite pour exemple, que pour assurer la survie du capitalisme bancaire en France, suite à la grave crise de surproduction et baisse tendancielle du taux de profit durant les années 70, la loi scélérate du 03 janvier 1973 dite loi Pompidou-Rothschild est venue à la rescousse pour obliger l'Etat français à emprunter sur les marchés financiers et les banques, alors que la Banque de France (Banque centrale) aurait pu y requérir directement au financement de l'Etat et des dépenses publiques. Résultat des courses, aujourd'hui, l'Etat français se retrouve endetté de plus de 4.000 milliards d'euros vis-à-vis des banques privées et de la finance internationale (si on fait intervenir les chambres de compensation, la dette française dépasse les 7.500 milliards d'euros).

A la lumière de l'expérience récente des économies occidentales capitalistes, les crédits des Banques centrales accordés au secteur bancaire privatisé n'ont pas permis de financer de nouveaux investissements industriels, de réparer des ponts, des routes et d'autres infrastructures en mauvais état, ni de maintenir des emplois.

Les Banques centrales dans l'économie capitaliste ont pour objectif d'améliorer le bilan des banques en soutenant les prix des hypothèques immobilières, et donc de sauver les banques et non l'économie.

Prenons l'exemple du logement pour les classes moyennes en Algérie, le renchérissement des prix des actifs pour les revenus moyens dans notre pays rend l'achat d'un appartement moyen standing plus coûteux pour les familles, ce qui réduit leur pouvoir d'achat pour les biens et les services.

Jetons un œil sur cette fausse propagande que le FMI diffuse dans ses publications destinées aux pays débiteurs, que les budgets publics devraient être gérés comme les budgets des ménages : en équilibre ou même en excédent.

Le FMI oublie et élude un aspect fondamental est que les ménages ne peuvent pas créer de monnaie. L'élimination de la contrainte de l'or ou de devises depuis les accords du 19 mars 1973 de la Jamaïque a permis aux banques de créer du crédit sans limite, sauf celle imposée par la réglementation publique et par les exigences en matières de réserves en capital.

L'affaiblissement du pouvoir réglementaire de l'Etat en Algérie, malgré l'avertissement et les alertes de nos compétents hauts fonctionnaires et gardiens du temple qui ont mis en garde l'Etat (les ministres de leur tutelle) d'abandonner la création de crédit aux banques étrangères privées (SG, Paris bas, Natexis, les banques arabes, etc.) qui gonflent le prix des actifs sur le crédit en ajoutant ainsi des charges d'intérêt aux actifs de l'économie. En Chine actuellement, toute la finance est sous le pan de la souveraineté nationale et est contrôlée à 100% par l'Etat chinois. Deux colonels chinois (Qiao Liang, Wang Xiangsui), La guerre hors limites, Payot et Rivages, 2003, p. 240) dans ?'La guerre hors limites'', évoquent ouvertement les mécanismes des guerres économiques et de l'information et classent sans état d'âme les spéculateurs financiers, comme George Soros, comme des acteurs de premier ordre dans les guerres du futur. Dans les guerres du futur, les moyens militaires ne seront qu'un choix parmi d'autres. Cet ouvrage est un document précieux pour comprendre les nouveaux moyens stratégiques à disposition et l'art de les employer. Tout au contraire, le régime incompétent, traître et compradore de Bouteflika, a laissé libre cours aux banques des pétromonarchies et françaises présentes en Algérie de détenir 100% de leur capital et quasiment sans contrôle de l'Etat, un scandale ! L'inflation des prix des actifs est devenue le point de mire des prêts bancaires (immobiliers) et semblait justifier toujours plus de prêts bancaires dans le cadre d'un système de Ponzi à l'échelle de l'économie nationale et mondiale. (La pyramide de Ponzi est un montage financier frauduleux qui fait miroiter des taux de rendement très élevés à des investisseurs, pour un risque pris extrêmement faible).

Nous proposons la solution suivante à titre d'expérience pilote et le cas échéant à généraliser en cas de succès. La création de milliards de dinars en pièces, or, platine et argent pour financer les déficits publics en les injectant directement dans notre économie afin de l'aider à sortir de l'austérité. Une solution pour faire effondrer la superstructure des dérivés bancaires, anéantissant les paris financiers qui mettent le système bancaire algérien en danger. Mais le FMI et ses servants lobbyistes nationaux des banques et de nos idéologues néolibéraux feront tout pour empêcher le gouvernement algérien de créer de la monnaie pour d'autres raisons que pour la finance internationale qui se trouve sous la totale subsomption (soumission et subordination) de l'euro et du dollar (voir l'excellent ouvrage en anglais qui nous a fortement inspiré, du brillant économiste député russe Sergei Glazyev, un des principaux conseillers de Poutine, un des témoins vivants du pillage de la Russie post-soviétique, Genocide : Russia and New World Order, Edit EIR News Service).

Glazyev insiste sur la nécessité stratégique de financer la croissance économique par le crédit public au lieu que la dette bancaire soit monétisée d'une manière qui profite aux créanciers au détriment de leur économie d'accueil.

L'essence de la théorie monétaire moderne au contraire, est que les Etats peuvent financer électroniquement les dépenses de déficit sur leurs propres claviers informatiques comme le font les banques commerciales, la différence entre la création de monnaie publique et le crédit bancaire est que l'objectif public est de promouvoir la croissance économique et non l'inflation des prix des actifs.

Pour assurer la prospérité nationale, il faut investir l'argent dans l'économie, par exemple, -de nouveaux investissements dans les immobilisations, les soins de santé et les pensions de retraite. Tandis que les excédents budgétaires obligeraient ces dépenses à être financées par le secteur privé- ce qui signifie à des prix beaucoup plus élevés pour leurs services.

24- Imposer fiscalement les rentes économiques pour éviter qu'elles ne soient capitalisées avec les intérêts payés.

Pour éviter qu'une telle financiarisation ne se reproduise après une restructuration de la dette, il est nécessaire de réformer la politique fiscale en la focalisant sur l'extraction de rentes et des plus-values en capital. Sinon, les banques et les marchés financiers continueront de créer du crédit, principalement pour prélever une rente foncière sur l'immobilier, une rente sur les ressources naturelles pour les secteurs pétrolier et minier (notamment le transfert de rente, le MBTU (Million British Thermal Units) du gaz acheté au prix local et exporté au prix international avec un gain de 22 fois, exemple : le cimentier français Lafarge, le sidérurgiste turque Tosyali ou les câbleries égyptiennes en Algérie s'adonnent sans modération à cet exercice juteux en exportant quasiment toute leur production à l'étranger en l'absence et défaut de surveillance de l'Etat algérien) ! et une rente de monopole sur les infrastructures du domaine public privatisées.

La rente foncière est en tête de liste parce que l'immobilier (nouveau sport national de spéculation) demeure le plus gros actif dans presque toutes les économies. En Algérie, environ 85% des nouveaux crédits bancaires prennent la forme de prêts hypothécaires, dont l'effet principal est d'augmenter le prix de l'immobilier.

Cette hausse des prix sert d'appât empoisonné pour les acheteurs d'appartements ou de maisons qui espèrent s'enrichir avec des gains en «capital» à effet de levier nette sur papier. Ces gains ne peuvent être maintenus si le processus de création de la dette étouffe l'économie. Plus les familles empruntent davantage, plus les prix des logements augmentent, quel que soit le montant des prix consentis par une banque. Mais loin de faire accéder ces familles à la classe moyenne, l'inflation des prix des appartements et maisons devient un tapis roulant vers l'asservissement à la dette. Le gonflement des prix des actifs générateurs de rentes crée un intérêt direct à créer toujours plus de crédit improductif afin d'éviter un effondrement des prix des actifs. Cela oblige l'économie à choisir entre deux maux : toujours plus de dettes, ou les inévitables faillites et défauts de paiement pour finir. Les propriétaires semblent gagner un impôt foncier presque inexistant (malgré son montant ridicule, les propriétaires rechignent à le payer et finit par se traduire par des coûts hypothécaires plus élevés pour l'achat d'un appartement).

Restaurer fortement la taxation de la rente foncière, ainsi que la rente des ressources naturelles et de la rente de monopole.

Cela a trois effets positifs. Tout d'abord, le prix de l'immobilier sera maintenu à un bas niveau en empêchant que cette rente ne soit capitalisée dans des prêts bancaires. Deuxièmement, elle libère la main-d'œuvre et l'industrie des impôts sur les salaires, les bénéfices et les ventes, ce qui allège la plupart des budgets familiaux. Troisièmement, les banques sont obligées de ne pas générer autant de nouveaux crédits qui deviennent simplement un coût de transfert de propriété plutôt que de contribuer à la production réelle et à la productivité. Taxer la rente immobilière est facile sur le plan administratif. Il faut seulement dédier à temps plein 300 agents fiscaux compétents et intègres pour l'ensemble de l'Algérie, dont le travail rythmé selon des tâches normalisées et rigoureuses, consiste à évaluer séparément la vraie valeur marchande des bâtiments et celle des terrains. Cela portera un coup mortel à la spéculation parasitaire immobilière.

Pour les ressources naturelles, il faut s'assurer du montant transfert de rente du coût local au prix réel de vente (en même temps, il faut contrôler la sous-facturation par rapport au prix réel export) à l'international qui reflète les coûts de production réels. Cette majoration à l'international (minerai ou énergie) est une rente de pur transfert de ressource, et non un «profit» au sens classique du terme. Il n'est pas imposé. Pour les monopoles, il faut calculer la juste valeur marchande des tarifs et des prix existants dans un univers concurrentiel par rapport aux prix des produits et services monopolistiques.

Deux visions du capitalisme sont en jeu dans le nouveau mouvement actuel de privatisation (New Enclosure Movement) de la rente économique : la vision financière et la vision industrielle.

Si l'Etat algérien perçoit les rentes foncières, de nombreux propriétaires fonciers actuels seront en défaut de paiement vis-à-vis des banques, ou se verront obligés de céder leur propriété. Lorsque les banques privées ne recevront pas ce qu'elles avaient prévu, beaucoup verront leurs réserves anéanties.

Un passage brutal à l'imposition des rentes ou d'autres revenus déjà promis aux banques décimera leurs actionnaires ou obligataires. Pour taxer les rentes, il faudra donc procéder à une prise de contrôle publique de ces banques. Le secteur financier de l'ordre unipolaire néolibéral a forcé le monde progressiste multipolaire à faire un choix ; soit se soumettre à la transformation de l'économie en un système de Ponzi rentier, soit subordonner le système fiscal et bancaire au financement de la croissance. C'est pourquoi la réforme doit être générale et non fragmentaire.

Il est difficile de voir comment la rente économique peut être entièrement taxée sans nationaliser les banques, parce que la rente à taxer a déjà été affectée au paiement des intérêts. Tomber dans le domaine public est le prix que les banques ont à payer pour avoir trop prêté, à tel point que les frais d'intérêt absorbent souvent la totalité des mensualités à régler, ce qui évince le percepteur des impôts tout en forçant les propriétaires endettés à faire défaut. Dans ces conditions, la transformation des banques insolvables en institutions publiques est l'alternative la plus simple à l'austérité et à l'anarchie financières.

A suivre

*Docteur en Physique - DEA en Economie