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MEMOIRES (ENCORE) BRÛLANTES

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

SKIKDA, FRAGMENTS DE MÉMOIRE (Tome II). Récit historique de Khider Ouhab, Elalmaia éditions et publicité, Skikda (?) 2022, 165 pages, 800 dinars



Voilà un ouvrage qui est un récit historique (sans être un livre d'histoire). Voilà qui rend sa lecture plus que passionnante... tout en étant extrêmement émouvante. A en pleurer, surtout lorsqu'on égrène les noms, prénoms, surnoms et âges des victimes algériennes, massacrées par centaines par les parachutistes de 18ème Rcp dirigés par le sinistre Paul Aussaresses et les milices européennes dirigées par le maire de l'époque Banquet Crevaux et par Roger Revenu le directeur de la mine, par mesures de rétorsion contre le soulèvement populaire du 20 Août 1955 (préparé dit-on, depuis mai 1955).

Que de vies innocentes, d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieillards... fauchées, que de mechtas détruites, incendiées au napalm, que d'habitations dépouillées...

Le livre est une simple et claire somme de récits. Le but n'était pas d'écrire l'histoire (une histoire déjà bien décrite et très bien écrite en bonne partie par Copeaux - «Algérie, 20 Août 1955», 2011- et aussi par Aziz Mouats -«Les galets de Sidi Ahmed»,! 2021), ni de l'interpréter. L'auteur a seulement, donné la parole aux témoins (encore en vie) et aux acteurs directs de chaque événement. Il a laissé parler les autres, les oubliés et tous ceux mis en marge de l'histoire. Certes Zighout Youcef, mais aussi Mohamed Boudoukhana («le ?little big man' de l'histoire révolutionaire de Skikda»), Bachir Boukadoum, Mma Ezzarmania, de Zamène («l'autre mère de Zighoud»), les martyrs de Zefzef,, ceux de Fil Fila et d'El Alia, les mechtas jumelles, El Hadj Daiboune-Sahel, la famille Boukerman Zada, Mohamed Kadid, Salah Mellouki, Fatima Daoud, Mohamed Laifa («Bata»), Ahmed Hafsi, Allaoua Alguelmi, Salah Balaska, les files Gas et Karoui, Hacène Belizidia, Ali Merzoug, Mohamed Charim, Hocine Louzar dit «Zanzi», Abdelhamid Bouthelja dit «Dillinger», Salah Dib, Bouhadja Châabane, Tahar Khezouz, Brahim Ayachi, Rabah Hamouda dit «l'Avant-garde», le Stade Cuttoli, «antichambre des massacres»...

Des récits qui appartiennent à la mémoire collective de sa ville et qui ne représentent qu'un simple pan de l'histoire de la Révolution armée, le pan skikdi. Un démarche qui, pour moi, est un idéal d'écriture -populaire et attractive- de l'histoire de la Révolution armée, celle qui fait re-fleurir (et rendre public afin que nul n'ignore) mille et un récits sur les mille et un lieux, les mille et une actions (ex : le 18 juin 1955 et l'opération des «Sept bombes», le 28 septembre 1961 et le soulèvement d'El Qobia) et les mille et un héros... tous à inscrire au Panthéon national.

L'Auteur : Né à Sétif en 1962. Journaliste (ancien correspondant d'El Watan) et écrivain. Auteur de plusieurs reportages -écrits et audiovisuels- culturels, patrimoniaux et mémoriels. Animateur d'ateliers de photographie (années 1990 et 2010). Organisateur de plusieurs salons nationaux de photographie. Première publication d'une série de quatre ouvrages : «Skikda, fragments de mémoire, tome I» (Lire plus bas)

Extraits : «A midi, nouvel ordre: faire des prisonniers !Ça complique tout. Tant qu'il ne s'agit que de tuer, c'est facile. Mais prendre les gens, un par un et les attacher c'est tout un travail!» ( p 44, Pierre Leuliette, Extrait d'ouvrage, «Saint Michel et le Dragon» ; Editions de Minuit), «L'histoire du 20 Août 1955 à Skikda restait encore à raconter... tout n'avait pas encore été dit. Il suffit de se défaire, l'instant d'une commémoration, des clichés habituels de l'Algérie officielle pour retrouver dans chaque rue, dans chaque café, et dans chaque maison, mille et une autres histoires à raconter» (p 100), «Les femmes, les vieilles femmes, raides et maladroites de peur, étaient massacrées à la vue de tous, en plein jour, presque comme s'il s'agissait d'un jeu, pour faire «parler» nos balles» ( p 138, Pierre Leuliette cité), «Les morts de notre mechta n'avaient pas été enterrés. Il n'existait aucune nouvelle tombe au cimetière... Les parachutistes s'étaient contentés de ramener un bulldozer pour creuser une grande tombe dans laquelle ils avaient entassé tous les morts (Témoignage de ?Arjouna, p 142)

Avis : «Il nous parle d'un temps où la révolution avait une seule couleur, le rouge du feu, le rouge du sang. Il nous parle d'un temps où la nuit avait peur du soleil, où l'Algérie était un rêve et où l'on devenait un homme à l'âge de douze ans» (Préface de Ahmed Nouar, extrait)

Citations : «Depuis 1830 ; ce fossé a toujours existé et n'a fait depuis que se creuser en se nourissant du malheur et du sang des Algériens. Le meilleur Arabe était l'Arabe de service, ou un Arabe mort» (p 116), «Le pied-noir était citoyen de son pays d'adoption et l'Arabe un non-citoyen sur la terre de ses ancêtres» (p116, Kitouni Hosni cité))



Skikda.Fragments de mémoire (Tome I). Récit de Khider Ouahab (Préface de Belkacem Ahcene-Djaballah) Editions Rais, Skikda, 2018, 1.200 dinars, 142 pages (Fiche de lecture déjà publiée ; Pour rappel. Extraits).



Ce n'est pas un ouvrage destiné à orner les bibliothèques, ou à offrir seulement, même si la présentation paraît quelque peu recherchée (photos couleurs, papier de qualité... ). C'est plutôt un ouvrage à valeur socio-historique.

L'auteur, journaliste correspondant depuis assez longtemps d'un quotidien francophone, enfant de la région, s'est, peu à peu, au fil du temps et des nécessités de son travail, plongé dans les profondeurs de la société, de la ville et de la campagne. Ce qui n'est pas une mince affaire dans une région tout de même assez pudique sans être conservatrice, mémoriellement difficile à «décoincer» bien que très accueillante. Un peu exubérante certes, mais seulement verbalement.

Donc, dans ce premier tome, il s'est penché sur le patrimoine socio-culturel tout en n'omettant pas de citer les moments historiques forts qui ont influé sur la vie de la ville et de ses habitants. Cela va de la région et de ses pratiques, aux aventures humaines et les spécificités agricoles, en passant par des moments forts et des lieux emblématiques d'abord la religion: Sidi Ali Dib (et non El Adib comme voudrait l'imposer depuis quelques années une «Administration» arabiste), un homme de religion et de paix, décédé bien avant 1838, et sa mosquée située en plein centre de la ville et autour de laquelle se développera le quartier arabe («Zkake Arab»). Un homme venu des montagnes de Kabylie, bien avant l'invasion coloniale française...

Ben Aroua, aux «prédictions troublantes», qui a vécu dans la région d' El Hadaiek (à 6 km de la ville). Les vieilles générations en parlent encore avec respect (je crois même avoir entendu une chanson pop' sur lui dans les années 80)... Les colons (excepté les Maltais qui lui vouaient un grand respect) le craignaient tellement qu'ils l'emprisonnèrent à Skikda puis le déportèrent, durant plusieurs mois à Ouargla. Décédé au début de l'année 1940 (?).

On a, aussi, l'école libre ?El Fath' (années 40-50) de Ali Sid (décédé fin 62), ancien du Ppa puis du Mtld, un altruiste qui ouvrit des classes de cours aux jeunes skikdis (Ali et Ahcène Kafi y enseignèrent), garçons et filles ; la Médersa ?El Irchad' créée au début des années 1940 à l'image de ce que faisait l'Association des Ulémas de Constantine; la Zaouia de «Zkak Arab» dont l'histoire remonte à 1900... Ensuite, les lieux emblématiques : Dar Meriem, un joyau architectural construit par un sénateur- maire amoureux fou (Paul Cuttoli) de sa Marie (Mathilde Bordes) ramenée du Paris artistique des années 1900 / La Place centrale (du 1er Novembre)/ Drouj Skikda (plus d'une vingtaine d' escaliers / Hammam Tarfaya, le bain maure aux eaux provenant de citernes romaines/ La piscine (ex-Jeanne d'Arc, lieu de gloires sportives et de champions, mais, hélas, repaire des parachutistes et des mercenaires de l'armée coloniale durant la guerre) / Les cafés comme Kahouat Belloukil emplie de fresques dessinées en 1938 / L'île de Srigina et son phare, face à Stora, à 3 km à l'ouest de la ville / L'île de La Figurine (2,7 ha, toujours au large de la côte-ouest)...

Enfin, des événements douloureux comme l'attaque sauvage des tirailleurs sénégalais, le 25 juillet 1943 qui fit 37 victimes algériennes (déclarées par le colonisateur) ; l'histoire du rescapé de Cayenne, Boukhobza Mohamed... qui vécut jusqu'à 109 ans, après s'être échappé du bagne en 1944 (déporté en 1921). Il sera envoyé, à l'âge de 103 ans, à La Mecque en 1984 par la ministre Zhor Ounissi... et l'aventure singulière d'Antonin le Pieux... une statue haute de 2,10 m, façonnée en 213 en marbre de Fil Fila et... seule rescapée d'un ensemble de 19 statues qui ornaient le Forum de l'antique Rusicade.

Et, ne pas oublier la fraise de Skikda, la Mkerkeba (la rondelette) au parfum inégalée et ne se retrouvant nulle part ailleurs. Car, «on aura beau essayer de la repiquer ailleurs, elle s'est de tout temps refusée pour ne donner ses fruits que sur les versants marins allant de Stora à Ain Zouit... Bon appétit... et bonne lecture!

L'Auteur : Voir plus haut

Extrait : «Rusicade, ancien comptoir phénicien fondé durant le premier millénaire avant J-C... puis Fort de France... puis Philippeville -jusqu'en 1962-, mais toujours Skikda pour ses habitants et pour la quasi-totalité de la population musulmane de la région et du pays... Une forme de résistance citoyenne !» (Belkacem Ahcene-Djaballah, préface, p 6)

Avis : Un livre bien construit, bien documenté,bien illustré, très accessible qui devrait être imité par beaucoup d'autres journalistes correspondants qui sont (et ont été) les plus et les mieux informés sur l'histoire contemporaine et les patrimoines de la région «couverte»

Citations : «Les escaliers sont pour Skikda ce que sont pour Venise ses gondoles. Incontournables !» (p 74)