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Quelques murmures sur la jeunesse en général et la jeunesse rurale en particulier (Suite et fin)

par Mohamed Khiati*

Alors que les résultats d'une étude réalisée par un collectif de chercheurs du CREAD, sous le thème : «La jeunesse algérienne : vécu, représentations et aspirations», lors d'une rencontre-débat organisée par le Forum des chefs d'entreprise (FCE), actuellement Confédération Algérienne du Patronat Citoyen (CAPC), le 24 novembre 2019, estime que « le nombre de jeunes de 15 à 29 ans est de 10 465 656 personnes, soit 26,1% de l'ensemble de la population algérienne résidente totale (loin des 70% souvent avancés par les médias) ».

S'appuyant sur ladite étude réalisée durant la période (2015-2017), il est affirmé « qu'un changement profond s'opère au sein de la société algérienne, d'où la nécessité de revoir notre stratégie et pratiquement tous les programmes de formation qui doivent s'accommoder avec le marché du travail ».

Pour le domaine de l'agriculture, bien que les données soient anciennes nécessitant actualisation, le Recensement général de l'agriculture (RGA) effectué en 2001 révèle que « 4,8% des chefs d'exploitants agricoles ont moins de 30 ans, soit une population de 113.182 parmi une population de 2.357.963 exploitants agricoles » et que par ailleurs, « il est constaté par ailleurs l'existence d'une population agricole âgée, le plus souvent sans formation adéquate dont les 2/3 des chefs d'exploitation sont sans instructions et 3% ont une formation agricole ». Cette large catégorie n'est pas donc suffisamment préparée pour jouer un rôle important dans la modernisation du secteur agricole.

Cependant, il faut toutefois noter qu'en dépit de l'attachement des agriculteurs «âgés» à leurs traditions et leur grande réticence au changement, ils ne sont pas néanmoins à l'abri de la révolution technologique.

Sur le plan de la formation et de l'enseignement en relation avec le secteur de l'agriculture, les données statistiques faisaient état, en 2018, l'existence de 30 facultés et instituts universitaires agronomiques d'où sortent quelque 13.000 diplômés par an dont 5.000 titulaires d'un master, et 300 centres et instituts de formation professionnelle d'où sortent annuellement quelques 30.000 diplômés dans les filières de la production et du machinisme agricoles.

Parmi ces diplômés, beaucoup devront œuvrer dans des activités agricoles ou para agricoles et ont de ce fait une liaison avec le monde rural (document des assises nationales de l'agriculture, 2018).

- Rendre l'agriculture plus attractive pour les jeunes

Il ne va pas sans dire que malgré son potentiel énorme de création d'emplois, la population grandissante des jeunes ne semble pas encore trop « attirée » par le domaine de l'agriculture en raison de nombreux facteurs notamment ceux liés à la nature de ce domaine qui exige patience et endurance à la fois. La vox populi interrogée vous dira sûrement que les jeunes sont de plus en plus déconnectés de l'agriculture malgré les efforts entrepris au fil des ans, pour améliorer leur engagement dans ce secteur économique pourvoyeur de richesses.

Corrélativement, les pouvoirs publics œuvrent inlassablement aujourd'hui à fournir le cadre d'expression des jeunes à travers des mesures draconiennes de facilitation et d'incitation financières sur la base de divers dispositifs institutionnels existants qui leur permettent d'entrevoir des mini projets agricoles, la création de micro-entreprises, de startups, d'incubateurs, d'unités de services et de valorisation des produits agricoles, de petites unités de transformation et de conditionnement, des unités de mécanisation, de machinisme agricole, de divers équipements utilisés en agriculture, des unités liées à l'économie forestières et à l'horticulture pour ne citer que ces créneaux et la gamme étant longue.

D'autres créneaux étant porteurs dans le secteur de l'agriculture et qui tendent quand même à disparaitre depuis de nombreuses années tels le métier de tailleur, de grimpeur de palmier, de greffeur, « le collecteur » de la laine et des cuirs et d'autres métiers inhérents à l'élevage équin, tels le maréchal-ferrant et le fabricant de selles et de brides. Le tissage, la poterie, l'élevage apicole, la préparation de gâteaux et pains traditionnels pourraient être des activités rémunératrices des jeunes filles en milieu rural. Ce ne sont la que des exemples de créneaux et de métiers agricoles, mais ceux liés au tourisme sont pluriels, tels l'agrotourisme, l'écotourisme et le pescatourisme (tourisme aux lacs).

Aussi, les jeunes trouveront toutes leurs aspirations corroborées par ailleurs par les divers programmes multiformes d'incitation et d'encouragement en direction des jeunes lancés par les pouvoirs publics, Il reste cependant qu'un trésor d'imagination doit être développé pour répondre aux préoccupations, aux besoins et attentes des jeunes, car les besoins de la jeunesse d'hier ne sont plus d'actualité aujourd'hui et ce sont les jeunes eux-mêmes qui devront formuler leurs propres besoins pour être au diapason avec leur imagination et leur aspiration, dans le cadre du développement, sachant toutefois que le secteur de l'agriculture offre, à lui seul, d'énormes garanties de prospérité.

Une chose est certaine aujourd'hui, les besognes fastidieuses d'autrefois sont difficiles à supporter par les jeunes qui d'ailleurs sont plus orientés notamment pour ceux qui ont des compétences, vers l'usage des solutions plus modernes et plus technologiques, sachant toutefois que l'expression «les jeunes» désigne, sur la base du critère de l'âge, une catégorie de la population qui réunit, comme pour toute population des réalités très différentes.

Cependant, dans la foulée de ces acceptions et dans le milieu agricole, il existe nombre de considérations à prendre en compte, pour l'insertion des jeunes en agriculture :

a- De nombreux jeunes vivent encore avec passion leur engagement dans l'agriculture et mettent en œuvre de nouvelles approches innovantes. A cet effet, il est utile tout d'abord, de reconnaitre la diversité car chaque programme et chaque projet est différent et dépend de la zone d'intervention, de l'économie rurale et du type d'agriculture considérée.

Aussi, les approches visant à prendre en compte et soutenir les jeunes dans le secteur agricole ne peuvent donc pas être généralisées et requièrent une attention particulière. Il est observé qu'un manque de renforcement des capacités des jeunes va de pair avec le besoin accru d'assurer la sécurité alimentaire et de transformer le secteur agricole en un choix de carrière plus sûr.

b- Les jeunes peuvent se détourner du secteur agricole en raison de leur perception du travail agricole considéré comme un travail destiné aux catégories les moins instruites, particulièrement difficile et n'offrant pas de revenus suffisants. Transformer cette perception de l'agriculture en la faisant évoluer vers l'idée d'une vocation essentielle qui peut comprendre de nouvelles approches et de la valeur ajoutée peut raviver l'intérêt porté au secteur agricole.

Le travail agricole doit être pensé comme «entrepreneuriat agricole» et les activités agricoles doivent être considérés comme des opérations commerciales. A ce titre, il pourrait être nécessaire d'inclure l'enseignement agricole dans les programmes scolaires pour changer cette perception.

c- Les jeunes nécessitent des investissements spécifiques dans leurs intérêts et développement. il est alors utile d'investir dans les intérêts, le développement et les capacités des jeunes, pour les encourager à rester ou à intégrer le secteur agricole. De nombreux programmes ne visent pas spécifiquement les intérêts des jeunes ruraux et ont donc tendance à occulter leur potentiel pour le secteur agricole. Dans ce contexte, il est d'une grande importance d'accroitre les opportunités en milieu agricole et rural et procéder au renforcement des capacités et des compétences des jeunes ruraux pour leur permettre d'être des éléments moteur, non seulement pour le développement, mais également la modernisation du secteur..

d- L'intérêt des jeunes pour le secteur agricole est parfois difficile à soutenir, notamment en raison des attentes plus élevées qu'ils nourrissent vis-à-vis des emplois en zone urbaine potentiellement mieux payés et moins exigeants. l'abandon des zones agricoles par les jeunes à la recherche d'un travail n'est pas seulement motivé par l'espoir de meilleures opportunités mais aussi par le besoin d'échapper à un certain «style de vie conservateur» tel qu'il peut exister au sein des communautés agricoles.

Les réseaux médiatiques et de communication actuels seraient en grande partie, responsables de la perception que se font les jeunes de nombreux domaines y compris celui de l'agriculture.

Dans bien des cas, l'image de l'agriculture étant traditionnellement perçue chez de nombreux jeunes comme étant juste un domaine pour produire des denrées alimentaires pour nourrir la population. Il s'agit, pour une certaine frange, une activité de paysannerie, ce qui mène à changer cette appréhension en démontrant qu'il s'agisse plutôt d'une activité destinée à des acteurs ayant l'esprit d'entreprise, d'une activité plutôt créatrice de richesses et de créneaux d'épanouissement.

Ainsi donc, l'agriculture sera perçue comme plus moderne par les jeunes lorsque la mécanisation et l'investissement élevé sur le retour seront adoptés. Les jeunes ne verront pas l'agriculture comme une activité trop dure, avec des outils démodés et rétrogrades, mais plutôt comme une agriculture de progrès. Ainsi, pour rendre l'agriculture plus attractive pour les jeunes d'aujourd'hui, l'usage des technologies modernes est primordial. Ils sont attirés par ce type d'agriculture parce qu'ils possèdent, pour beaucoup, les compétences et les connaissances scientifiques pour faire fonctionner ces types d'équipement.

Sur le plan de la formation, les secteurs en charge de la formation agricole et professionnelle et même universitaire auront parfaitement le sens d'adapter leurs programmes d'études et renforcer les écoles et les établissements pour qu'ils répondent précisément aux attentes des jeunes. Cela les incitera à s'inscrire davantage pour être dotés du savoir-faire technique et professionnel. Ils obtiendront des compétences, des connaissances et une expérience en matière d'agriculture, d'élevage, d'entrepreneuriat et de gestion et de nombreux autres filières et créneaux. Ils seront également en mesure d'utiliser et de réparer les machines et des équipements agricoles.

Dans une telle perception des choses, beaucoup de centres et instituts de formation et de vulgarisation existant relevant, soit du secteur agricole ou celui de la formation professionnelle doivent élaborer des programmes en fonction des préoccupations des jeunes. Ceux-ci s'attendent beaucoup plus à des opérations pratiques et opérationnelles qu'a des contenus théoriques qui, en fait ne résolvent pas outre mesure leurs problèmes et ne répondent pas à leurs désirs.

Dans ces programmes, l'accent devra être mis, pensons-nous, sur les travaux pratiques, la théorie ne serait enseignée que dans la mesure où elle est nécessaire pour préparer, expliquer et améliorer les travaux de terrain. C'est dire que les thématiques inhérents à la gestion des exploitations, le management des systèmes production, la manière de régler des équipements et celles liées à l'économie agricole et rurale doivent être au centre des programmes de formations dispensées.

Ces thématiques pourront être axés autour des notions de base telles la commercialisation, recettes et dépenses, les notions de comptabilité, de budgétisation et décisions financières, autour des coûts primaires et coûts d'exploitation, d'épargne et emprunts, du choix du mode de production agricole et de l'approvisionnement en facteurs de production ainsi que les méthodes d'évaluations des risques.

Les jeunes s'attendent à plus d'orientation et de facilitation quant à l'accès aux diverses opportunités offertes. C'est alors dans la communication qu'il faudra trouver la réponse. Par ailleurs, la plupart des jeunes ont le désir de résoudre les problèmes en suspens liés à l'agriculture, mais se relâchent lorsqu'ils ne sont pas motivés et n'ont pas d'aide pour aller plus loin dans leur entreprise. Par conséquent, ils canalisent leur énergie dans un autre secteur.

Ainsi donc, l'enjeu majeur dans la promotion et la motivation des jeunes réside dans leur orientation, à travers l'information et l'engagement d'un processus de communication approprié qui leur permet de prendre conscience, en vue de comprendre les enjeux et les défis de l'heure, mais également de percevoir les opportunités qui leurs sont offertes dans tout domaine d'activité. Cela veut dire qu'aucune stratégie de développement ne sera complète sans l'intégration d'une stratégie de communication dans le diagnostic des besoins et dans le choix des priorités visant à la réaliser.

Dans cet ordre d'idées, les jeunes ont la pleine motivation et la capacité de moderniser et d'innover. Ils utilisent de plus en plus les technologies de l'information et de la communication, notamment la téléphonie mobile et les réseaux sociaux pour partager l'information. Beaucoup de groupes se sont constitués à travers des pages utiles sur les réseaux sociaux, on les voit concentrer leurs publications sur des techniques nouvelles, sur des pratiques modernes et sur des procédés de progrès menés en agriculture ici et ailleurs.

Dans ce contexte, on à tendance à observer parfois que les jeunes engagés dans l'agriculture tirent des revenus plus élevés de leurs activités agricoles que leurs pairs plus âgés, une situation qui pourrait s'expliquer probablement par le fait que la jeune génération d'agriculteurs est plus ouverte sur d'autres expériences et les nouvelles technologies.

Par ailleurs et sans s'attarder, il est utile de dire que les organisations de producteurs et les coopératives sont souvent un instrument efficace d'autonomiser les agriculteurs et tout particulièrement les catégories des jeunes. En créant leurs propres coopératives ou en s'associant à des coopératives regroupant diverses générations, les jeunes agriculteurs peuvent accéder à toute une gamme de services tels l'accès aux ressources naturelles et à leur gestion, à l'information, aux technologies, aux mesures incitatives et à la participation à l'élaboration des grandes orientations.

A travers leurs organisations, les jeunes agriculteurs peuvent améliorer leurs conditions de vie, créer des richesses et éviter ainsi de devoir migrer vers des centres urbains. Ils deviennent des agents actifs et autonomes du changement et des entrepreneurs qui favorisent la transformation sociale des zones rurales dont les répercussions seront perceptibles sur l'échelle nationale.

Enfin les jeunes représentent une source et une richesse inépuisable qu'aucun pays à travers la planète ne peut s'en passer. Dotés d'une énergie liée à leur âge et à leur volonté, ils sont d'un grand apport pour la société en matière de progrès et de développement de la nation. Ils sont des vecteurs essentiels de progrès et de modernisation. Tant les jeunes en général sont des précurseurs de l'évolution, tant les jeunes en milieu rural constituent la force motrice du développement rural et facteurs principaux dans les changements agraires.

En définitive, s'occuper des jeunes aujourd'hui, c'est en fait préparer des générations d'hommes et de femmes du futur aptes à relever les défis en préservant les acquis et construire une Algérie nouvelle prospère tant aujourd'hui qu'à l'avenir.

*Agronome post-universitaire

Sources :

1. CNESE-UNICEF (2021). Note thématique transition vers la vie adulte : jeunes de 15 à 24 ans.

2. FAO. Journée mondiale de l'alimentation (1988), sous le thème : «la jeunesse rurale»

3. Nations United. s. d. «Jeunes | Nations Unies». https://www.un.org/fr/global-issues/youth.

4. Jean Pierre Chauveau.- Introduction thématique : les jeunes ruraux à la croisée des chemins dans Afrique contemporaine 2005/2 (n°214), pages 15 à 35.

5. Justus Njeru, août 2019. Les jeunes en agriculture : Comment impliquer et maintenir les jeunes dans les activités agricoles. https://www.microsave.net/fr/blog/2019/08/09/

6. CREAD. Etude « La jeunesse algérienne : vécu, représentations et aspirations», présentée lors d'une rencontre-débat organisée par le Forum des chefs d'entreprise (FCE), 2019.