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Pas de développement sans bonne gouvernance et le primat du savoir

par Abderrahmane Mebtoul*

Les deux fondamentaux du développement du XXIème siècle sont la bonne gouvernance et le primat du savoir. Dans ce cadre, après avoir répertorié les indicateurs de la bonne gouvernance, j'analyserai le rapport annuel 2021/2022 sur le classement mondial des pays de l'indice de développement humain (IDH) (305 pages) qui a été publié en septembre 2022, intitulé «Temps incertains, vies bouleversées : façonner notre avenir dans un monde en mutation» où l'Algérie a eu une note honorable, étant classée à la 3ème position en Afrique et la 1re au Maghreb.

1. Selon les institutions internationales, la gouvernance est définie comme étant l'ensemble des traditions et institutions par lesquelles le pouvoir s'exerce dans un pays avec pour objectif le bien de tous. Elle comprend les procédés par lesquels les titulaires du pouvoir sont choisis, contrôlés et remplacés, la capacité du gouvernement à gérer efficacement les ressources et à appliquer des politiques solides et enfin le respect des citoyens et de l'Etat envers les institutions régissant les interactions économiques et sociales intervenant entre eux, comprenant les éléments suivants: la participation: donner à tous, hommes et femmes, la possibilité de participer au processus décisionnel; la transparence: découlant de la libre circulation de l'information; la sensibilité: des institutions et des processus vis-à-vis des intervenants; le consensus: des intérêts différents sont conciliés afin d'arriver à un vaste consensus sur ce qui constitue l'intérêt général; l'équité: tous, hommes et femmes, ont des possibilités d'améliorer et de conserver leur bien-être; l'efficacité et l'efficience: les processus et les institutions produisent des résultats qui satisfont aux besoins tout en faisant le meilleur usage possible des ressources; la responsabilité: des décideurs du gouvernement, du secteur privé et des organisations de la société civile et des leaders et du public sur la bonne gouvernance et le développement humain et sur ce qui est nécessaire pour réaliser un tel développement et très récemment la prise en compte de la préoccupation, environnementale. Il existe des liens dialectiques entre la bonne gouvernance et les institutions car l'opérationnalisation de la bonne gouvernance est assurée par les institutions en distinguant, d'une part, les institutions politiques et juridiques qui contribuent à la construction d'un Etat de droit, aussi d'assurer l'accès de la population à la justice et à la sécurité, d'autre part, les institutions économiques qui assurent le fonctionnement efficace et efficient de l'activité économique, la gestion optimale des ressources économiques et enfin les institutions sociales et communautaires qui assurent l'amélioration de la qualité de la santé et de l'éducation des populations, ainsi que leur consultation et leur participation au processus de développement. L'importance de la bonne gouvernance, macro et micro-gouvernance étant inextricablement liées, pose toute la problématique de la construction d'un Etat de droit et de l'efficacité des institutions, sur des bases démocratiques tenant compte des anthropologies culturelles de chaque nation. Ainsi, pour les mesures de la bonne gouvernance, sur le plan politique et institutionnel, on distingue: la voix citoyenne et responsabilité qui mesurent la manière dont les citoyens d'un pays participent à la sélection de leurs gouvernants, ainsi que la liberté d'expression, d'association et de presse; la stabilité politique et l'absence de violence qui mesure la perception de la probabilité d'une déstabilisation ou d'un renversement de gouvernement par des moyens inconstitutionnels ou violents, y compris le terrorisme; l'efficacité des pouvoirs publics qui mesure la qualité des services publics, les performances de la Fonction publique et son niveau d'indépendance vis-à-vis des pressions politiques; la qualité de la réglementation qui mesure la capacité des pouvoirs publics à élaborer et appliquer de bonnes politiques et réglementations favorables au développement du secteur privé; l'Etat de droit qui mesure le degré de confiance qu'ont les citoyens dans les règles conçues par la société et la manière dont ils s'y conforment et en particulier, le respect des contrats, les compétences de la police et des tribunaux, ainsi que la perception de la criminalité et de la violence; la lutte contre la corruption qui mesure l'utilisation des pouvoirs publics à des fins d'enrichissement personnel, ainsi que «la prise en otage» de l'Etat par les élites et les intérêts privés

2. L'indice de développement humain ou IDH a été développé en 1990 par l'économiste pakistanais Mahbubul Haq et l'économiste indien, prix Nobel d'économie Amartya Sen. L'IDH est un indice composite, compris entre 0 (exécrable) et 1 (excellent), calculé par la moyenne de trois indices. Le premier aspect (A) quantifie la santé/longévité (mesurées par l'espérance de vie à la naissance),. Le deuxième aspect (B) est le savoir ou niveau d'éducation le troisième aspect (C) est le niveau de vie (logarithme du produit intérieur brut par habitant en parité de pouvoir d'achat). Ce rapport note qu'avec 9 pays sur 10 en recul, que le développement humain est retombé à ses niveaux de 2016 et que le monde, est «incapable de s'attaquer à l'origine des problèmes auxquels nous sommes confrontés... le monde vacille de crise en crise, piégé dans un cycle de lutte contre les incendies et incapable de s'attaquer à l'origine des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Sans un changement radical de cap, nous risquons d'avoir à supporter encore davantage de privations et d'injustices.

Toujours selon le PNUD, plus de 90% des pays ont enregistré une baisse de leur IDH en 2020 ou 2021 et plus de 40% ont vu leur score chuter au cours de ces deux années, signalant que la crise continue de s'aggraver les deux dernières années ont eu un impact dévastateur pour des milliards de personnes dans le monde, lorsque des crises comme la COVID-19 et la guerre en Ukraine se sont succédé et ont interagi avec des changements sociaux et économiques radicaux, des changements planétaires dangereux et une aggravation de la polarisation. L'Amérique latine, les Caraïbes, l'Afrique subsaharienne et l'Asie du Sud ont été particulièrement touchées. Et de conclure: face à cette situation inédite, marquée par l'incertitude, les gouvernants sont paralysés face à ces changements alors que le monde a besoin de la solidarité pour relever les défis communs. Selon de nombreux experts internationaux ces indicateurs comportent des lacunes importantes dont principalement : le choix et la pondération des indicateurs retenus; la qualité et la fiabilité des données servant à les calculer qui sont très variables d'un pays à l'autre ; l'utilisation des moyennes, sans tenir compte des inégalités tant socio professionnelles que spatiales, voilant donc la concentration du revenu national au profit d'une minorité rentière ; le niveau tant de la scolarisation que de la santé, varient considérablement selon les pays et enfin certains indicateurs sociaux sont difficilement quantifiables faussant les comparaisons d'un pays à l'autre.

Aussi, l'analyse qualitative doit suppléer nécessairement à la déficience quantitative. Il est par ailleurs souhaitable, de compléter cet indice par de nouveaux indicateurs qui prennent en compte la bonne gouvernance, les indices de corruption, la participation la gestion de la cité, les libertés économiques et publiques, l'intégration sociale, la durabilité environnementale et pour les pays du tiers monde le poids de la sphère informelle ; tout cela supposant un appareil statistique performant et adapté aux situations sociales.

3. Qu'en est-il du classement du PNUD ? Les 10 premiers pays dans le classement du PNUD sont par ordre la Norvège avec 0,957 et un PPA par tête d'habitant de 66.494 dollars US, l'Irlande, 0,955 avec 68.371 dollars, la Suisse 0,955 et 69.394 dollars, Hong Kong 0,949 avec 62.985 dollars, Islande 0,949 avec 56.682 dollars, l'Allemagne 0,947 avec 55.314 dollars, Suède 0,945 avec 54508 dollars, Australie 0,944 avec 48.085 dollars ; Pays-Bas 0,944 avec 57.707 dollars, Danemark 0,940 avec 48.511 dollars, les USA arrivant en 17ème position avec un indice de 0,940 et paradoxe un PPA par tête d'habitant très élevé de 63.826 dollars. Par grandes régions et sans tenir compte de l'ordre, nous avons pour l'Amérique, les USA avec une note de 0,921 arrivant à la 21ème place, le Canada la 15ème place avec une note de 0,936, le Brésil, 0,754 la 87ème place, le Chili 0,855 la 42ème place, l'Uruguay 0,809 la 58ème place, l'Argentine 0,842 la 47ème place, Cuba 0,764 à la 83ème place, le Pérou 0,772 la 84ème place et le Venezuela 0,691 à la 118ème place.

En Asie nous savons le Japon à la 19ème place avec une note de 0,92, Hong Kong 0,952 arrivant la 4ème place, la Chine et l'Inde, chacun avec plus d'un milliard d'habitants, respectivement la 79ème place avec une note de 0,768, et la 132ème place avec une note de 0,633, la Corée du Sud, une note de 0,925 arrivant à la 19ème place, la Malaisie 0,803 la 62ème place, la Thaïlande 0,800 la 66ème place, le Vietnam 0,736 la 115ème place, le Pakistan 0,544 à la 161ème place, l'Indonésie 0,705 à la 114ème place et l'Afghanistan 0,478 à la 180ème place Pour l'Europe en nous en tenant aux principaux pays nous avons Allemagne 0,978 à la 9ème place, la France 0,866 à la 28ème place, le Luxembourg 0,930 à la 17ème place, Malte 0,918 la 17ème place, la Belgique 0,937 à la 13ème place, l'Italie 0,970 à la 30ème place, l'Espagne 0,905 à la 27ème place et le Portugal 0,866 à la 38ème place. L'Australie 0,916 arrive à la 25ème place, l'Ukraine à la 77ème place avec une note de 0,773 et la Russie à la 52ème place avec une note de 0,822. Pour les pays du Moyen Orient, nous avons les Emiraties à la 26ème place avec une note de 0,911, le Bahreïn et l'Arabie Saoudite qui occupent la 35ème place avec une note de 0,875, le Qatar à la 43ème place avec une note de 0,855, le Koweït à la 50ème place avec une note de 0,831, le Sultanat d'Oman à la 54ème place avec une note de l'Iran 0,744 arrivant à la 76ème place, l'Irak 0,686 arrivant à la 121ème place et Israël 0,992 arrivant à la 22ème place. Les 10 pays africains par ordre de classement sont : l'Ile Maurice, les Seychelles, l'Algérie, l'Egypte, la Tunisie, la Libye, l'Afrique du Sud, le Gabon, le Botswana et le Maroc. Pour le Soudan du Sud, le Tchad, le Niger, la République centrafricaine et le Burundi, le Mali, le Mozambique et le Burkina Faso, ils viennent en bas du classement. Qu'en est-il précisément pour l'Algérie ? Pour 2000, l'Algérie a eu une note de 0,637 et a été classée 91ème, en 2005 ; 0,685, 97ème, en 2010, 0,721 92ème en 2015 0,685, en 2016, 0,743, 90ème, en 2017 0,745, 91ème, en 2018, 0,746, 91ème en 2019, 0,748 91ème. Dans le rapport 2021/2022, l'Algérie arrive au 3ème rang en Afrique derrière les Seychelles, 72ème rang mondial avec un IDH «élevé» et 2ème au niveau continental. L'Île Maurice la 63ème place au niveau mondial et la 1re place en Afrique avec un IDH «très élevé», a été classée à la 91ème place sur 191 pays notés avec un indice de 0,745, dans la catégorie des IDH «élevés. Elle vient avant l'Egypte (97ème ), la Tunisie (97ème), l'Afrique du Sud (109ème) et le Maroc (123ème).

En résumé, la ressource humaine et une nouvelle gouvernance sont les conditions primordiales pour asseoir une économie diversifiée créatrices d'emplois à valeur ajoutée dans le cadre des nouvelles relations internationales (interview du professeur Abderrahmane Mebtoul 12/09/2022 l'agence APS reproduite dans le quotidien El Moudjahid du 13/09/2022.

Concernant l'indice IDH en Algérie, il faut le reconnaître beaucoup d'efforts dans l'éducation et la santé en termes d'investissement, mais existe un écart entre les impacts et les dépenses monétaires ayant misé sur la quantité et non la qualité, tant de l'école que des universités, de la formation professionnelle parfois inadapté aux exigences de la nouvelle économie avec une importante déperdition du primaire au secondaire, puis du secondaire aux universités.

La transition d'une économie de rente à une économie hors hydrocarbures, suppose une nouvelle gouvernance, qui implique un profond réaménagement du pouvoir, nécessitant une restructuration du système partisan loin des aléas de la rente et surtout la dynamisation de la société civile; pas celles qui vivent de la rente et qui ont applaudi tous les gouvernements passés, qui, en symbiose avec les Etats et les institutions internationales jouera un rôle de plus en plus déterminant en ce XXIème siècle.

*Docteur d'Etat et expert international