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L'Université d'Oran perd encore un de ses illustres enseignants : l'économiste Rachid Mohamed Brahim

par Dr Boutaleb Kouider*

On vient d'apprendre avec une grande tristesse le décès de notre collègue et ami Rachid Mohamed Brahim de l'Université d'Oran, un économiste de talent, parfait érudit qui a marqué d'une trace indelibille tous ceux qui ont suivi ses enseignements ou l'ont écouté conférer dans les nombreuses rencontres nationales et internationales. Il était respecté et estimé par tous ceux qui l'ont approché, ses collègues et ses étudiants, comme en témoigne le vibrant hommage promptement rendu par de nombreux universitaires notamment ses anciens étudiants Djillali Benabbou et de Fayçal Mokhtari de l'Université de Mascara, de notre collègue Abdellatif Kerzabi de l'Université de Tlemcen et de bien d'autres encore d'horizons divers.

Pour Ouahiba Mihoub, sa collègue à la faculté des sciences économique d'Oran, «c'est encore un des plliers de l'Université d'Oran et de la faculté d'économie qui s'en va rejoindre ceux qui l'ont précédé» comme son mari, le regretté, Majid Ait Habbouche (Allah yerhmeh), auquel nous avons rendu hommage posthume dans ce même quotidien.

Pour Abdellatif Kerzabi, notre brillant économiste à l'Université de Tlemcen : «c'est mon enseignant, un des meilleurs de la faculté ; je me rrappelle ce qu'il nous disait «donnez-moi 10 étudiants et j'en ferais de véritables économistes».

Tres rigoureux dans son travail, il n'acceptait pas la médiocrité, comme l'ont relevé systématiquement ses anciens étudiants. Il était foncièrement sincère et loyal, s'opposant à toute forme de compromission, ce qui expliquerait sans doute son retrait de toute activité liée à l'administration et la gestion de l'Université. Tous ceux qui l'ont côtoyé ou croisé dans les nombreux séminaires et colloques auquels il prenait part, admiraient en lui sa grande culture et son savoir encyclopédique, ses interventions pertinentes qui éclairaient utilement les questions débattues.

Mais Rachid Mohamed Brahim présentait cette particularité assez rare chez un érudit de sa trempe, de ne pas s'être adonné à l'écriture, ce qui fait qu'il n'a laissé que le souvenir du brillant conférencier qu'il était sans avoir laissé de trace écrite sinon à notre connaissance, les quelques articles, fort éclairants, qu'il publiait de temps à autre dans la presse nationale comme celui sous le titre «L'Algérie peut-elle faire le saut du «prendre» à «l'entreprendre» ?», publié dans le Quotidien d'Oran du 07 juin 2010, que personnellement je n'hésite pas à citer dans mes écrits.

Fayçal Mokhtari, son brillant étudiant et proche ami, professeur en sciences économiques à l'Université de Mascara, nous apprend que Rachid Mohamed Brahim avait souhaité partir en Corée pour étudier de près l'expérience coréenne de développement sans y parvenir. Car il estimait que les expériences réussies de développement doivent ouvrir, de nouveau, le chantier et les grands débats sur les choix et les options que les pays doivent emprunter pour construire des économies efficientes. Saurons-nous méditer, pensait-il, ces exemples, au lieu de se perdre en perspective sur la capacité de telle théorie ou de telle autre à résoudre quelques-uns de nos problèmes économiques ? Pour Rachid Mohamed Brahim, comme cela a aussi été souligné par Fayçal Mokhtari, ce qui prime c'est l'economie reelle, non les theories.

Jadis, dans le monde de l'Islam, nous affirmait Rachid Mohamed Brahim dans l'article sus-cité, une bataille philosophique s'était engagée entre les partisans du «Aql» et ceux du «Naql», fallait-il plagier et reprendre intégralement ou interpréter et faire ou agir. Manifestement c'est le Aql qui doit être de mise selon le défunt Rachid.

Pour rappeler brièvement son parcours universitaire, il faut relever que Rachid Mohamed Brahim a accompli son cursus universitaire auprès de l'Université d'Oran, mais sans avoir soutenu un Doctorat, à notre connaissance (comment expliquer cela ?). Pour lui, la quête du savoir représentait l'essentiel et non les diplômes. De ce fait il n'a pas accédé au grade de Professeur, qu'il méritait réellement au vu de son immense savoir accumulé, son éloquence et sa pédagogie, ce que peu, des nouveaux promus, peuvent s'en prévaloir. Rachid Mohamed Brahim a travaillé comme maitre assistant en sciences économiques à Oran qu'il n'a jamais quitté. Il a aussi été expert-consultant auprès de nombreuses institutions.

Ses centres d'intérêt étaient multiples, mais portaient plus particulièrement sur les sciences de gestion qu'il ne détachait pas de leur matrice, les sciences économiques, comme l'a souligné Fayçal Mokhtari dans l'hommage posthume qu'il a exprimé pour son professeur et ami. Rachid Mohamed Brahim n'avait pas tort. Ce que j'ai appris personnellement du professeur de gestion Robert Le Duff, au cours d'une rencontre scientifique organisée par la CIDEGEF à Douala au Cameroun en 2006, où il affirmait que les sciences de gestion n'ont jamais pu s'autonomiser des sciences économiques.

Son expérience d'enseignant des sciences économiques et ses lectures assidues des grands auteurs, anciens et contemporains qui ont fondé et developpé les sciences économiques, ont sans doute contribué à façonner son profil intellectuel engagé pour un développement inclusif dans le cadre d'une authentique économie de marché, ne se démarquant pas des postulats de l'économie libérale qui consacre le profit comme unique catalyseur de l'activité économique.

J'ai personnellement connu Rachid Mohamed Brahim à l'Université d'Es-Sénia en 1977 où il était chargé en tant qu'assitant de nous encadrer dans un TD sur les relations économiques internationales (REI). Depuis lors, vu notre âge proche, nous ne cessions de nous rencontrer jusqu'à ces dernières années Idéologiquement nous n'étions pas du même bord, tout en étant très proches dans nos analyses et nos perceptions, ce qui renforçait l'estime et la considération mutuelle que nous avions l'un vis-à-vis de l'autre.

Il restera un exemple de probité intellectuelle, de courage, d'activité et de dévouement, et dans le souvenir de qui, du moins pour ceux qui l'ont cotoyé, son image ne s'effacera pas.

Et pour clore cet hommage, je tiens à adresser, en mon nom et aux noms de tous mes collègues universitaires de Tlemcen, d'Oran et d'ailleurs, en cette douloureuse circonstance, mes sincères condoléances, à sa famille, à tous ses amis et ses proches.

Repose en paix cher ami, que Dieu t'accorde sa miséricorde.

*Chercheur associé laboratoire GPES, Université de Tlemcen