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L'hydropolitique au service des hydrosystèmes transfrontaliers: Hydro-gouvernance, une clé de réussite...

par Abdelmalek Bekkouche*

Le secteur de l'eau est censé subvenir à des besoins sociaux, environnementaux et économiques. Devant la pénurie croissante de l'eau exacerbée par l'explosion démographique et l'urbanisation, la mauvaise affectation des ressources, la dégradation de l'environnement et la mauvaise gestion des ressources en eau due à l'incompétence aggravée par la corruption, à l'instar de notre pays, les pays africains font face à de nouveaux défis qui requièrent une nouvelle approche de la gouvernance des ressources en eau. L'eau est une ressource unique aux usages concurrents.

Gouverner les ressources hydriques n'est pas simple surtout qu'elles deviennent de plus en plus rares. Nous avons l'impression que tout le monde est sensibilisé de l'importance des ressources en eau et l'état algérien a mis un accent particulier sur le secteur en question, malheureusement les résultats ne sont pas à la hauteur des investissements. Ce n'est certainement pas un problème de moyens. Je dirais que c'est beaucoup plus un problème d'approche. Nous sommes en train de vivre les conséquences d'une gestion par approche réductionniste (analytique). Cette façon de faire traditionnelle, qui tend à être sectorielle et réduite en fragments (réductionnisme), pousse souvent des conseils d'administration à représenter des intérêts contradictoires (pas de compromis) et à définir des objectifs de politique, souvent sans aucune consultation, et sans prendre en considération les besoins et attentes de toutes les parties prenantes positive et négative (tous les utilisateurs de l'eau, institutions et générations futures).

Il s'agit de gouverner un système de systèmes qui englobe les systèmes politiques, sociaux, économiques et administratifs (les institutions formelles - y compris les lois et les politiques - ainsi que les institutions informelles telles que les relations de pouvoir et les pratiques (SIWI et OCDE). Elle a trait à la formulation et la mise en œuvre des politiques de l'eau et des cadres juridiques et institutionnels adéquats. Plusieurs questions doivent trouver réponses : Qui obtient et pour quelle eau ? Quand et comment ? Et qui a droit à l'eau et aux services connexes, et à leurs avantages ? L'hydro-gouvernance détermine l'équité et l'efficacité dans l'allocation et la distribution des ressources et des services en eau, et équilibre l'utilisation de l'eau entre les activités socio-économiques et les écosystèmes. Ce sont là tous les ingrédients qui contrôlent la prise de décision en matière de développement et de management des ressources en eau.

L'hydro-gouvernance est l'ensemble des systèmes qui contrôlent la prise de décision en matière de développement et de management des ressources en eau. Elle concerne beaucoup plus la manière dont les décisions sont prises (c.-à-d. Comment, par qui et dans quelles conditions -univers et logique de la prise de décisions- les décisions sont prises) que les décisions elles-mêmes. Elle aide également à clarifier différents rôles et responsabilités en termes de propriété, utilisation, management et planification des ressources et des structures.

Par «gouvernance», on entend la mise en œuvre effective d'allocations et de réglementations socialement acceptables élaborées dans la concertation avec les acteurs à tous les niveaux. La dimension territoriale est aussi intégrée à la notion de gouvernance, afin de dépasser le seul jeu d'acteurs et prendre en compte le contexte institutionnel, socioéconomique et politique.

La «bonne» gouvernance quant à elle, est basée sur les principes de l'égalité d'accès aux ressources et services, l'efficacité, le management du bassin, mais également sur les approches intégrées et l'équilibre en termes de développement des activités socio-économiques et les besoins de l'environnement naturel.

Plusieurs niveaux de gouvernance agissent l'un sur l'autre: niveau national (voir international) sous forme de gouvernement et de représentants de la société civile et le secteur privé et; niveaux «locaux» sous forme d'administrations locales, souvent avec différentes dimensions (municipalité, secteur, département, petite région....).

La gouvernance de l'eau dans un contexte de ressources en eau transfrontalières nécessite l'engagement significatif d'un large éventail de parties prenantes à travers des mécanismes opérationnels et fonctionnels (formels et informels). A noter qu'il n'existe pas de formule unique qui fonctionne dans toutes les situations.

Hydropolitique, incontournable... vers l'hydrodiplomatie

L'Hydropolitique peut être définit comme l'ensemble des projets, actions, stratégies et tensions qu'implique la gouvernance de l'eau./ Comme on parle de géopolitique, on parlera d'hydropolitique (Nguyen Tien-Duc, La guerre de l'eau aura-t-elle lieu ?, 2004). Il s'agit en fait de partage des eaux sur la base des lois régissant les ressources hydriques.

L'hydropolitique comprend cinq dimensions (P. Mollinga 2008): (1) les questions d'accès à l'eau «au quotidien»; (2) les politiques de l'eau dans le contexte des états souverains, avec une attention particulière portée aux négociations entre les divers groupes sociaux à l'intérieur d'un état; (3) la géopolitique de l'eau, au sens classique du terme; (4) «the global politics of water», c'est-à-dire l'étude de l'émergence du «modèle mondial de management de l'eau» ; (5) et enfin un cinquième domaine, qui serait l'étude des liens entre les quatre précédents.

Le concept de l'hydrodiplomatie est «une politique d'anticipation», qui mise sur le partage équitable de l'eau entre pays riverains (Fadi Comair). C'est un concept qui allie le travail diplomatique avec l'expertise en matière de planification de projets hydrauliques, via la création d'une coopération régionale. Trois éléments sont au cœur de l'hydrodiplomatie, qui s'alignent étroitement sur les principaux objectifs de la Charte des Nations Unies, à savoir: (1) le caractère préventif de la diplomatie dans le maintien de la paix et de la sécurité; (2) la nécessité d'un dialogue dans lequel la diplomatie bilatérale traditionnelle est complétée par une diplomatie multilatérale et à plusieurs niveaux et enfin (3) la notion de responsabilité collective de la communauté internationale.

Le but est de créer une dynamique de développement économique au niveau du bassin transfrontalier. Une grande place est également allouée à l'utilisation des eaux non conventionnelles - dessalement, recyclage des eaux usées... - qui permet un apport d'eau supplémentaire pour satisfaire la demande de tous les secteurs d'utilisation.

La diplomatie de l'eau inclut toutes les mesures pouvant être prises par les acteurs étatiques et non étatiques pour prévenir ou résoudre pacifiquement les conflits (émergents) et faciliter la coopération liée à la disponibilité, la répartition ou l'utilisation de l'eau entre et au sein des états et des parties prenantes publiques et privées (Huntjens, Yasuda, Islam, Swain, Man, Magsig 2016). Les modalités techniques constituant les facettes de la coopération liées à l'eau passent soit une modalité minimale de coopération en échangeant de l'information ou en cas de mesures projetées une notification préalable et de la consultation. Au-delà de la coopération minimale, une coopération institutionnelle passant par la mise en place des organismes de management mixte.

Heureusement, qu'il existe beaucoup d'exemples de pays riverains en Afrique ayant réussis à faire de l'eau un facteur de coopération. Il s'agit entre autres du bassin de la rivière du Sénégal (Guinée, Mali, Mauritanie and Sénégal), le bassin de la rivière du Niger (Benin, Burkina Faso, Cameroun, Chad, Côte d'Ivoire, Guinée, Mali, Niger et Nigeria), le bassin de la rivière volta (Benin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Ghana, Mali and Togo.), etc.

Quand la bonne foi est là, il existe trois niveaux de coopération. Le premier consiste dans l'obligation d'entrer en consultation en cas de mesures projetées dans le bassin-versant : l'échange d'information et la prise de position. Le second niveau consiste en l'obligation de négocier : en vue de trouver un accord. Bien entendu, si les Etats n'ont pas réussi à trouver un accord, l'obligation de recourir à une méthode pacifique de règlements des différents : cour internationale de justice ou médiation internationale.

En tant que seul instrument universel dans ce domaine, la Convention des Nations Unies sur les cours d'eau de 1997 constitue un cadre utile pour les relations internationales dans la gestion des cours d'eau internationaux partagés. Outre cette convention, deux instruments régionaux offrent des instruments-cadres importants mais plus spécifiques dans ce domaine : il s'agit de la Convention de 1992 sur la protection des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux (Convention des Nations Unies sur l'eau, 1992) et du protocole 1992 révisé en 2000 de la SADC (The Southern African Development Community) sur les cours d'eau partagés en Afrique australe. Dans cette législation internationale, on y trouve la Convention sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux (Convention des Nations Unies sur l'eau) a été adoptée à Helsinki (Finlande) le 17 mars 1992. Elle est entrée en vigueur le 6 octobre 1996 et a impliqué 38 Parties en août 2011.

Il convient d'ajouter à ces textes la résolution 63/124 des Nations unies adoptée en décembre 2008 pour le management des aquifères transfrontières : «Encourage les États concernés à conclure des arrangements bilatéraux ou régionaux appropriés pour la gestion appropriée de leurs aquifères transfrontières (...)».

«Management of rivers is political; management of international rivers is very political...»

La rareté de la ressource et la situation de stress hydrique auxquels est confrontée une très grande partie de la population mondiale, accroit le nombre de conflits internationaux autour des hydrosystèmes. A l'instar de l'Algérie, la communauté scientifique et toutes les classes politiques devraient s'intéresser à la problématique de gouvernance des hydrosystèmes transfrontaliers. Si au plan national, le problème de l'eau est politique, il est très politique quand il s'agit d'hydrosystèmes transfrontaliers. Les tensions politiques persistent et heureusement qu'elles n'aboutissent rarement sur des conflits militaires. Au cours du xxème siècle, seules sept guerres ont pu être directement corrélées à des questions hydriques alors que, durant cette même période, 145 traités ont été signés sur ce sujet. Heureusement, beaucoup d'exemples, montrent qu'il est tout à fait possible d'en faire de l'eau un facteur de coopération

Néanmoins, Il est important d'analyser et essayer de comprendre ces tensions politiques persistantes. Elles dépendent, avant tout, des conditions matérielles dont les ressources en eau font l'objet : quantité (pénurie ou abondance), qualité (pollution, salinité, régularité des saisons, etc.), répartition (notamment entre les pays riverains) et principaux usages (domestiques et industriels).

C'est certainement une ap-proche tronquée car elle ne tient pas compte du système hydrique dans sa globalité, dans sa complexité et interactivité, des incertitudes qui règnent dans les différents hydrosystèmes.

Ces derniers doivent répondre aux standards internationaux. L'intégration physique et fonctionnelle, managériale, institutionnelle et perceptuelle est un préalable aux réussites des missions et objectifs dont ils doivent répondre. La réussite d'une telle mission est conditionnée par le degré de satisfaction des parties prenantes et attentes des générations futures.

Reconnaissant la valeur des travaux empiriques, la Maryland School a lancé plusieurs initiatives afin de mettre en place une approche internationale globale et coopérative du management des ressources hydriques transfrontalières. La convergence des normes et valeurs centrales autour de domaines spécifiques de gouvernance dans des hydrosystèmes partagés, est-elle possible ?

Les études réalisées par Conca en 2006, a montré que huit éléments fondamentaux semblaient émerger, mais que chacun de ces éléments s'unissait autour de différentes configurations de bassins hydrographiques de différentes manières. Les résultats de cette étude empirique, ont abouti quelques éléments normatifs : une utilisation équitable, la prévention des dommages importants aux autres états riverains, l'égalité souveraine et intégrité territoriale, un échange d'informations, des consultations avec d'autres États riverains, une notification préalable, la protection environnementale et enfin une résolution pacifique des différends.

Tous s'accordent à penser que la coopération doit impérativement progresser afin de prévenir les conflits, mais aussi de combattre les pénuries et de réduire les pollutions, la concurrence aboutissant souvent à la surexploitation et à la destruction des écosystèmes aquatiques.

La souveraineté territoriale absolue: «Doctrine Harmon»

Le principe de la souveraineté territoriale absolue - selon lequel chaque État a tout droit sur le tronçon de fleuve qui traverse son territoire ? est apparu le premier. Il a notamment été invoqué par les États-Unis pour justifier leur mobilisation rapide et unilatérale des eaux du Colorado à partir de la fin du XIXe siècle, et surtout du début du XXe siècle. En 1895, le Mexique protesta officiellement, rappelant que les droits d'usage des agriculteurs mexicains en aval étaient beaucoup plus anciens que ceux des Américains. La conduite des États-Unis pendant le différend avec le Mexique sur le Rio Grande a produit la «doctrine Harmon» de la «souveraineté territoriale absolue». Elle est connue sous le nom de doctrine Harmon, et est basée sur l'avis juridique fourni par le procureur général des États-Unis au secrétaire. Le principe fondamental du droit international est la souveraineté absolue de chaque État, et la juridiction de l'État sur son propre territoire est nécessairement exclusive et absolue. Ses seules limites sont celles qu'il s'impose lui-même. L'État est donc libre d'employer l'eau qui se trouve sur son territoire comme bon lui semble.

Cette doctrine de la souveraineté territoriale absolue sur le territoire et ses ressources est encore implicitement invoquée de nos jours, notamment par la Turquie dans le litige qui l'oppose à la Syrie et à l'Irak sur le Tigre et l'Euphrate, par le Tadjikistan qui envisageait même de facturer son voisin en aval l'Ouzbékistan pour l'eau du Syr Daria et de l'Amou Daria qui traversent son territoire. Actuellement, le Maroc pratique la doctrine de la souveraineté territoriale absolue sur le territoire et ses ressources au sein des hydrosystèmes transfrontaliers avec l'Algérie (notamment sur oued Guir par rapport au barrage de Djorf et tourba, bassin de la Tafna et au programme important des nouveaux barrages). L'Inde a essayé de la mettre en pratique en 1948, et ce en interrompant temporairement l'écoulement de la rivière de l'Inde au Pakistan.

Les bases juridiques de la souveraineté ont considérablement évolué au XXe siècle et ni la communauté internationale, ni les États-Unis eux-mêmes, n'ont jamais accepté la doctrine Harmon» de la «souveraineté territoriale absolue» préconisée par les Etats en amont. La doctrine Harmon ainsi que «l'intégrité territoriale absolue» prônée par les Etats en amont a été abandonnée en 1950. La communauté internationale pense maintenant en termes de «communauté d'intérêts» entre les États riverains et de «souveraineté territoriale limitée» des ressources en eau partagées afin de fournir aux États riverains individuels une part raisonnable et équitable de l'eau. Malheureusement, certains pays qui se voient investis d'un droit de surveillance des activités des pays d'amont et faisant valoir le droit de propriété sur la ressource du premier à avoir mis en valeur l'eau, continent à pratiquer l'approche de «souveraineté territoriale absolue» par rapport aux états riverains.

L'Algérie et le Maroc sont dans l'obligation de négocier en vue de trouver un accord. A l'heure actuelle, le Maroc ne montre aucun signe pour coopérer et entrer en consultation en cas de mesures projetées sur les oueds transfrontaliers et échanger l'information et la prise de position. L'obligation de recourir à une méthode pacifique de règlements des différents au niveau de la cour internationale de justice ou faire appel à une médiation internationale.

Puissance hydro-hégémonique

La notion de puissance hydro-hégémonique est la domination d'une puissance, d'un pays, d'un groupe social, etc., sur les autres: l'hégémonie des supergrands. L'hégémonie est dans le langage courant une domination sans partage. Celui ou celle qui l'exerce peut être qualifié d'«hégémon(e)». C'est un mot d'origine grecque dérivé du mot hêgemôn (!ãåìþí, «commandant des chefs»). Hégémon est ordinairement utilisé durant l'Antiquité grecque.

Les puissances hydro-hégémoniques sont des Etats qui possèdent suffisamment de pouvoir au sein d'un bassin versant pour assurer la direction du contrôle des ressources en eau et agir ainsi comme un leader vis-à-vis des autres pays riverains du bassin. Ces États peuvent exercer leur pouvoir de façon coercitive avec par exemple la menace de sanctions économiques pour empêcher la construction d'ouvrages hydrauliques ou au contraire en recherchant à établir pacifiquement un consensus en leur faveur dans les instances de gouvernance internationales.

Sur les 260 bassins partagés, 157 ne disposent d'aucun cadre coopératif. Et quand ils existent, ce sont des coquilles vides, ou perpétuent les inégalités entre Etats. L'eau étant un bien local (contrairement au climat par exemple) et relevant de la souveraineté nationale, les Etats sont seuls décisionnaires.

Ceux qui contrôlent les sources des fleuves ou en utilisent la majeure partie, baptisés»hydro-hégémoniques» par la London School of Economics, n'ont aucun intérêt à remettre en cause le statu quo. De nombreux pays pratiquent une gestion hégémonique, militaire ou financière des bassins transfrontaliers. On voit ça avec le Rio Grande entre le Mexique et les Etats-Unis, mais aussi bien sûr le Jourdain, la question du Nil, surtout entre l'Egypte et l'Ethiopie (Divers accords ont entériné une position dominante de l'Egypte en termes de sécurisation de son droit de prélèvement de la ressource 1902, 1929 et 1959 !), les vives tensions entre la Chine et l'Inde, ou entre l'Inde et le Pakistan... L'hydro-diplomatie active serait le moyen fiable pour assurer un partage équitable et aboutir à une utilisation raisonnable de ses ressources. Le grand barrage de la renaissance réalisé sur le Nil bleu par l'Ethiopie unilatéralement complique la situation et ça serait très difficile de trouver un accord gagnant-gagnant particulièrement avec l'Égypte.

A travers cette modeste contribution, nous avons voulu éclairer les responsables politiques et la communauté scientifique de l'importance du sujet. L'Algérie est plus que concernée par ses bassins transfrontaliers et surtout le système aquifère du Sahara. Toutes les ressources ont leur importance quel que soit leurs origines. Le stress hydrique absolu que connait notre région l'exige.

*Université de Tlemcen