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Nabil Hayari en marge de l'inauguration de la maison de Saint-Laurent: «Cela va changer beaucoup plus de choses qu'on ne le croit»

par Houari Saaïdia

Nabil Hayari. Qui mieux que lui pouvait mieux nous éclairer ? Sur le sens et l'essence de la maison-musée d'Oran d'Yves Saint-Laurent. Il était là le jour d'inauguration. Lui, peut-être, voyait ce que les autres ne voyaient pas dans le décor ressuscité du 11, rue Stora, Plateau Saint-Michel. Car lui voyait la maison d'Yves Saint-Laurent avec les yeux et le cœur d'Yves Saint-Laurent. Son âme réincarnée le temps d'une visite, d'une remémoration collective. Il voyait sa mère, surtout. Celle qui l'a mis au monde de la mode, de la haute couture et de l'esthétisme. Son sein nourricier. Sa muse. Il entendait sa voix douce et sonore comme un chant de ramier. Il jure sur ce qu'il a de plus cher au monde que Lucienne Andrée Mathieu-Saint Laurent était bel et bien là, en maîtresse et hôtesse de maison joyeuse et attentive. Entre les chambres dedans-dehors somptueusement meublées et princièrement décorées, il en apercevait de temps à autre la silhouette féline et fuyante superbement moulée dans une robe de soirée de la haute couture des années 50 que son fils Yves lui avait spécialement dessinée.

Oui, Nabil Hayari peut voir ce que les autres invités de la maison-musée d'YSL ne peuvent pas voir. Ou ne veulent pas voir, par indifférence peut-être. Car les lignes d'univers des deux hommes se ressemblent, ou du moins se croisent et se caressent en de nombreux points. Les beaux esprits se rencontrent... D'abord et surtout, Yves Saint-Laurent est l'idole de Nabil Hayari. Il l'auréole, le vénère, s'efface devant lui. Dès sa tendre enfance, il est irrémédiablement tombé sous le charme de ses œuvres. L'un comme l'autre étaient prédestinés à l'univers de la haute couture.

Un don divin, un privilège du hasard non hasardeux. Mais tout d'abord, au commencement du monde, il fut cette relation mère-fils, si profonde et complexe, qui joua un rôle déterminant dans l'avenir d'artiste créateur de mode aussi bien pour Yves Saint-Laurent que pour Nabil Hayari. Chacun d'eux grandit dans un univers féminin, bien entouré de sa mère, sa grand-mère et ses sœurs. La mère d'YVS, lectrice assidue des magazines de mode «Vogue», «l'Illustration» ou «le Jardin des Modes», passait presque tout son temps à s'habiller et fascina son fils par les robes qu'elle portait d'une soirée à l'autre. Pareil pour Nabil Hayari : «C'était en moi. J'ai toujours admiré les robes de ma mère et je regardais les magazines de mode des années 1940 que ma grand-mère avait conservés. Couturière de profession, c'est elle qui m'a mis le pied à l'étrier. Encore enfant, j'aimais déjà habiller mes sœurs, toujours avec l'envie de sublimer les femmes, de les faire rêver».

Inspiratrices, initiatrices, groupies ou tout cela à la fois, les figures maternelles sont les piliers de la mode. L'avenir d'un enfant est l'œuvre de sa mère. Une mère ne meurt jamais tout à fait, son immortalité est là, dans le cœur de l'enfant qu'elle a aimé. La terre natale, elle aussi, comme une mère, elle ne se remplace pas. L'Algérie, le pays natal, la source, l'origine, la terre d'enfance puis d'adolescence. Voilà un autre point commun, pesant, singulier, merveilleux et à la fois heureux et douloureux celui-là, dans les destins des deux hommes. Et puis encore cette autre croisée de chemins, ce voyage à Paris capitale du luxe et de la mode qui intervient en début de jeunesse, à l'âge où l'on quitte l'enfance et où l'on se mesure au monde. Puis la célébrité, la gloire, les projecteurs, les tapis rouges, les podiums, les défilés, les fashion week, les Oscars... Puis encore et toujours les femmes, les mannequins, les top-modèles, les comédiennes, les femmes influentes du cinéma, les artistes, les collaboratrices... Bref, les femmes, qui sont les ondes-particules élémentaires de l'univers d'YVS et de Nabil Hayari. «L'amour existe entre les femmes et moi. Les collections sont des histoires d'amour», dixit Yves Saint-Laurent.

Nabil Hayari en quelques lignes

Né le 20 août 1973 à Batna, il est l'avant-dernier d'une famille nombreuse d'origine franco-algérienne. Sa passion pour la couture lui vient très tôt puisque c'est enfant qu'il commence à dessiner et à créer des modèles de broderie auprès de sa grand-mère. Pas de voitures ni de camions de pompiers comme la plupart des autres petits garçons de son âge. Mais des robes et encore des robes. Plus tard, ses croquis de robes et prototypes font des émules, sa clientèle se développe. Prédestiné à l'univers de la couture, il déménage à Lyon en 1997, pour intégrer l'école Sup de Mode.

Quatre ans plus tard, il sort premier de sa promotion et présente sa première collection. Remarqué par l'Ecole de la chambre syndicale de la couture parisienne, il est d'abord embauché comme créateur de mode à Lyon, puis comme directeur artistique à Paris. En 2009, il crée sa propre maison de couture, Hayari Paris. Il présente ses premières collections de la marque homonyme aux Fashion Week de Moscou.

Son don pour la couture remonte à l'enfance et son talent à ses passages dans les plus grandes maisons de Paris, sa marque défile déjà du Carroussel du Louvre -Premier Prix pour sa robe de mariage noire- aux Fashion Week et des Oscars aux Golden Globes, qui viennent de le sacrer Meilleur créateur. Depuis 2010, Nabil Hayari habille les princesses, les top- modèles, les artistes et les stars. À Monaco, Milan, Los Angeles, New York, Paris ou Cannes, ses créations sont aperçues sur les tapis rouges du Amber Lounge Fashion Show, de l'amfAR, des FiFi indie Awards, des Golden Globes, de Night of 100 stars, des Independent Spirit Awards, de la soirée Weinstein & Chopard, et du Festival de Cannes.

Nabil Hayari crée également des robes de mariée qu'il fait régulièrement défiler sur les podiums et au Carrousel du Louvre. Ses robes de mariée contribuent largement à la réputation du couturier et lui valent plusieurs récompenses et autres hautes distinctions. En 2011, Nabil Hayari crée son premier parfum Only For Her. En 2012, il crée deux nouveaux parfums de niche, également fabriqués à Grasse : Goldy et Broderie. Il est l'un des initiateurs du Collectif de parfumeurs, premier groupement de marques de niche né d'une volonté de sauvegarder les valeurs et traditions de la parfumerie française d'exception. Nabil Hayari est par ailleurs couturier officiel chez Hollywood Beauty Awards où il travaille comme conseiller d'arts à Los Angeles et à Paris.

Le Quotidien d'Oran : Quel était votre sentiment en visitant la maison-musée d'Yves Saint Laurent à Oran lors de l'acte inaugural ?

Nabil Hayari : «J'étais touché au plus profond de mon âme. J'étais ému, j'avais les larmes aux yeux. En 2016, en compagnie de mon copain Hugues Alard, j'avais fait le voyage Paris-Oran exprès pour voir la maison natale de Saint-Laurent. Malheureusement, on a dû se contenter d'une vue de l'extérieur car la demeure était habitée. Mais il y a deux mois, M. Afane nous a contactés pour nous informer qu'il était en train de restaurer la maison d'Yves, qu'il avait acquise, en vue de l'ériger en maison-musée privée. Quelle fut ma joie d'apprendre que cette maison patrimoniale était enfin sauvée ! Je l'ai revisitée il y a quelques jours alors qu'elle était encore en chantier. A la cérémonie inaugurale, quand j'y suis rentré, la première chose que j'ai ressentie, c'était la présence de la maman d'Yves Saint-Laurent. Oui, elle était là, je sentais sa présence. Ses enfants, Yves et ses deux sœurs, étaient autour d'elle».

Q.O.: Pourquoi sa maman ? Est-ce dû à ce trait commun qu'a Nabil Hayari avec Yves Saint Laurent lié à l'influence qu'a eue la mère, comme source d'affection et d'inspiration, sur le fils, l'homme et l'artiste à la fois, depuis son berceau jusqu'au sommet de son art ?

Nabil Hayari : «N'importe quel créateur vous parlera de sa mère. C'est l'image première de la femme qu'on a dans sa vie. Quand on a la chance d'avoir des mamans qui aiment la mode, le chemin vers l'apogée est tout tracé. Moi, j'avais ma grand-mère aussi. J'étais percé par ses magazines de mode, tels Vogue, Eve, Femme Actuelle... C'est valable pour de grands créateurs comme Yves Saint-Laurent, Jean-Paul Gaultier, Christian Lacroix... Je n'ai jamais connu de créateur qui n'ait l'image de sa mère dans sa tête ou dans son cœur. Pour revenir à Saint-Laurent et à moi-même, c'est grâce à la maman qu'on est devenu ce qu'on est».

Q.O.: Quelle est l'histoire de la fameuse boule de sulfure d'Yves Saint-Laurent ?

Nabil Hayari : «Je l'ai eue à l'occasion de la vente aux enchères de divers objets de Saint-Laurent à la maison Christie's à Paris. C'est Pierre Berger qui me l'a offert. Cette sulfure en cristal était toujours posée sur le bureau d'YVS. Il l'effleurait toujours quand il créait. Il disait qu'elle lui portait bonheur. A mon tour, j'en ai fait don à M. Afane en guise de reconnaissance et de gratitude. Finalement, on n'aura été que le dépositaire et la sulfure d'Yves retournera à la maison d'Yves, sa place naturelle».

Q.O.: Vous dites toujours que Saint-Laurent et Gaultier sont vos principales sources d'inspiration. Sincèrement, lequel des deux icones vous a marqué le plus ?

Nabil Hayari : «Saint-Laurent et de loin. J'ai lu et relu tous ses livres et médité sur toutes ses œuvres. Il est en moi. J'ai d'ailleurs passé en 2004-2005 un stage à sa maison de Paris. Hélas ! Le concours de circonstances a fait qu'on ne s'est jamais rencontré. C'est pour cela que visiter sa maison natale est quelque part un élément de réconfort pour moi».

Q.O.: Comment se fait-il que Hayari est membre d'une Fondation parisienne du prêt-à-porter alors qu'il ne porte pas vraiment le prêt-à-porter dans son cœur ?

Nabil Hayari : (Rires...) «Il est vrai que je n'aime pas trop le prêt-à-porter. Il y avait tout un amalgame ces jours-ci sur les réseaux sociaux. Comme je suis styliste et conseiller auprès de Hollywood Beauty Awards, avant l'évènement des Oscars les stars nous viennent à Los Angeles pour les conseiller quelles robes devront-elles mettre, notamment lors de la cérémonie du tapis rouge. La frayeur de n'importe quelle star c'est d'avoir la même robe qu'une autre. Ma mission de conseiller est de prodiguer à la haute clientèle des conseils sur la tenue à porter le jour J. Par rapport à l'évènement, le thème, la morphologie... Je suis donc un conseiller d'image : je guide la star dans son choix de la robe à porter, de quel créateur surtout, par rapport aussi à la coiffure, le maquillage, la marque des bijoux, du parfum... Conseiller n'est pas habiller. Il y a une grande nuance».

Q.O.: Les femmes algériennes s'habillent différemment, certes. Elles sont pour une grande partie d'entre elles ouvertes à la mode, occidentale y comprise, nous n'en disconvenons pas. Mais ne pensez-vous pas qu'il y a des limites à s'auto-imposer quand on vient faire un défilé de mode ici en Algérie ?

Nabil Hayari : «Oui, c'est vrai qu'il faut faire très attention avec la religion, les us et les traditions. Quand on a exposé ici dans l'espace muséal de l'Hôtel Liberté, dans le sillage de l'inauguration de la maison-musée de Saint-Laurent, on a vu qu'une photo de Kim Kardashian était provocante. Alors on a tout de suite retouché sa robe et le problème a été résolu. En 2015, on était invité à l'Opéra d'Alger pour présenter notre collection au défilé de haute couture. On a passé tout au peigne fin et on a vu qu'il n'y avait rien de méchant qui valait le coup de censure. Il y avait certes des pièces sexy mais pas vulgaires. On a ainsi reproduit intégralement les défilés de Paris-Milan et ça s'est très bien passé. Ça a été accepté par les 700 personnes qui assistaient».

Q.O.: Pour revenir à la maison d'Yves Saint-Laurent. Pensez-vous que l'ouverture de cet espace muséal et son incorporation dans un circuit culturel thématique plus large contribuera un tant soit peu à la chose liée à la mode et la haute couture à Oran et, par effet d'entraînement, en Algérie ?

Nabil Hayari : «Forcément. Et cela va changer beaucoup plus de choses qu'on ne le croit. C'est bien la maison d'Yves qui existe là. Il n'y a qu'une seule maison d'Yves Saint-Laurent, celle d'Oran, sa ville natale. Ce n'est ni à Marrakech, ni à Paris, ni nulle part ailleurs. On a beau voyager à travers le monde pour se mettre sur les traces de Saint-Laurent, on revient toujours à Oran. Sur son mémorial, c'est bien marqué : Oran-1936. Beaucoup de nos clientes, de France et d'ailleurs, nous ont confié s'être déplacées incognito à Oran juste pour voir la maison de Saint-Laurent. Imaginez comment il en sera à l'avenir maintenant que la maison s'est rétablie et a refleuri en répandant ses belles couleurs et odeurs tout autour. Ça sera aussi une plaque incontournable pour pas mal de futurs et d'actuels créateurs, stylistes et designers, mais aussi pour des personnes ayant connu Yves ou voulant mieux le connaitre. Pour des historiens, biographes, journalistes, reporters, écrivains, artistes... Qui dit maison-musée d'Oran de Saint-Laurent dit aussi, voire d'abord, la réhabilitation d'un long cycle peu exploré -et qui est paradoxalement le plus prépondérant- de la vie de ce grand homme».

Q.O.: Nabil Hayari a-t-il des projets en Algérie ?

Nabil Hayari : «Oui j'en ai plein, mais ils sont encore à l'état embryonnaire. Cependant, le projet du grand espace muséal en voie d'achèvement par Mohamed Afane à proximité de son complexe hôtelier Liberté à Oran et l'accord de principe conclu avec cet homme, toujours prédisposé lorsqu'il s'agit de quelque chose de plus pour la ville et le pays, notamment dans le registre qui le passionne tant -celui des arts et de la culture- sont de nature à donner un coup d'accélérateur à certains de nos projets. Et, plus en particulier, ceux liés à notre activité de défilés de mode».