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Des rêves et des tabous

par Abdelkrim Zerzouri

Courage politique ou suicide politique ? Le président tunisien Kais Saïed est en train d'accomplir un mandat, bien singulier, qu'aucun autre président avant lui n'avait expérimenté, y compris le puissant « Combattant suprême », Habib Bourguiba, qui a gouverné la Tunisie durant trois décennies. Il a presque remis à plat la vie politique en Tunisie après la dissolution du Parlement, le 25 juillet 2021, tient tête aux islamistes d'Ennahda, nargue les milieux d'affaires influents « aux mains sales » et le puissant syndicat UGTT, à l'égard duquel il faut, pourtant, savoir « faire avec », selon l'expression de Kmar Bendana, professeur d'Histoire contemporaine, dont les travaux portent sur l'Histoire culturelle et intellectuelle de la Tunisie contemporaine.

Et il ne craint pas de proposer une nouvelle Constitution révolutionnaire, aux Tunisiens, où l'Islam n'est pas mentionné en tant que religion de l'Etat. Faisant sauter un tabou en un claquement de doigt. Enfin, le tabou n'a pas encore sauté réellement, car il faut attendre la réponse le 25 juillet prochain, à l'issue du référendum sur la nouvelle Constitution tunisienne, soumise au peuple tunisien par le Président Kaïs Saïed, après une crise de gouvernance qui dure depuis une année, à la date du référendum.

La révision de la Constitution est un outil fait pour corriger des déséquilibres et modifier des règles de fonctionnement d'un système politique qui a montré ses limites, et c'est au peuple de dire son mot là-dessus.

Dans cet esprit, les auteurs de la nouvelle Constitution soutiennent que l'Islam est un rapport spirituel entre l'individu et Dieu, alors que la Constitution gère les affaires de ce bas-monde, et qu'il n'y a pas lieu d'en faire référence dans ses textes. En vérité, quand beaucoup s'attendent à ce que les Tunisiens seront nombreux à dire non à cette Constitution, considérant cette suppression du premier article de la Constitution, en l'occurrence l'Islam est la religion de l'Etat, comme un blasphème, « 80% des Tunisiens sont contre l'extrémisme et contre l'utilisation de la religion à des fins politiques.

C'est précisément ce que nous allons faire tout simplement en gommant l'article 1, dans sa formule actuelle», a fait constater Sadok Belaïd, juriste tunisien en charge de la rédaction de la nouvelle Constitution. Cela reste à prouver, bien sûr, le 25 juillet prochain.

Le parti de Rached Ghannouchi, en tête des opposants à cette suppression, en sus de son opposition politique en tout point au Président Kaïs Saïed, va militer pour que les Tunisiens rejettent cette Constitution, mais si les Tunisiens votent pour, cela sonnerait la fin de l'exploitation de la religion à des fins politique.

La Tunisie va-t-elle, dans ce cas, encore, montrer la voie à suivre aux autres pays arabes ? Cela ne serait pas une surprise, puisque la Tunisie a toujours été en avance sur les autres pays arabes, sur plusieurs plans, dont celui des droits des femmes.

Des questions taboues ont sauté en Tunisie sur le plan de l'égalité des sexes bien avant que d'autres pays arabo-musulmans ne mettent à niveau leur législation dans ce domaine.

Et, les choses ont bien évolué car, maintenant, des manifestants sont descendus dans la rue, à Tunis, en 2018, pour réclamer l'égalité des sexes en matière d'héritage.

Mais, ce n'est, vraiment pas, le souci majeur des Tunisiens, plutôt préoccupés par la situation économique du pays. Tous les Tunisiens espèrent que les tabous se brisent mais pas les rêves d'une vie meilleure.