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48ème anniversaire de la disparition de Ahmed Messali Hadj (1898-1974): Figure illustre du maghrébinisme indépendantiste (2ème partie)

par El Hassar Bénali

C'était le moment où émergeait également, la grande figure artistique et patrimoniale de la chanson andalouse Cheikha Tetma Bentab et qui a fait figure d'ovni dans le paysage culturel et artistique tlemcenien de l'époque laissant parler ses rêves est allée jusqu'au bout de ses aspirations d'artiste. Libérée, sa présence sur la scène publique s'inscrit, sous les auspices des Jeunes Algériens, dans un combat féministe de la première heure, au début du XXe siècle, dans cette vieille cité où la chanson a toujours fait partie du mode de vie de ses habitants. Les ?'Nadis'', en s'implantant dans la vie sociale, mobilisaient très largement les nationalistes, les progressistes ouverts à l'esprit nouveau jusqu'aux Oulémas traditionnels. Sous le signe du renouveau culturel musulman il y eut l'impact d'avant-garde des mots tels « Watan, Taqaddoun, Horriya ? », a forte circulation des idées et des contenus et qui ont permis aux nouvelles expressions de s'élaborer s'appuyant sur des liens provoquant des solidarités et cela, dans cette phase remuée partout à travers le monde musulman et dans la même unité, par la trilogie ?'Tanzimat- Nahda - Réforme'' amorçant une pensée neuve enclenchant, par là, un environnement de remises en question et de réhabilitation avec un idéal-guide, à savoir : la science en tant que facteur de libération et de décolonisation.

C'est déjà la semence au discours des nationalistes cristallisé à ses débuts par le panislamisme appelant à l'union des musulmans réagissant face aux agressions de l'Occident et le réveil de la Turquie soumise à l'époque, au programme ambitieux des réformes ?'Tanzimat''. La Turquie exerçait à l'époque une réelle fascination auprès des jeunes évolués de pensée libre encore minoritaires. Ces écrins ou « Nadis » dévolus à la culture et aux rencontres qui ont illustré cette mobilisation enfin, les sociétés littéraires et artistiques, sportives et caritatives (Kheiriya) avec leurs côtés bonnes œuvres, actives aussi dans le domaine des droits civiques, ont figuré parmi les expériences ayant accompagné des changements qualitatifs dans la société ; voire, par là aussi, ses tendances modernistes impliquant l'idée de liberté dans son cadre intellectuel. Une fois l'indépendance acquise ces lieux de prise de parole qui faisaient partie de la tonalité du paysage culturel et politique ont cessé d'exister, car n'entrant pas dans le jeu politique, méfiant, du parti unique bridant la pensée libre, enfermant le pays dans des stéréotypes idéologiques nouveaux. L'indépendance qui a porté au pouvoir des démagogues, au pouvoir total, n'allait pas ranimer malheureusement cet engagement, bien plus, il l'a étouffé entraînant des angoisses essentielles de replis des gens de compétence, de l'esprit et de la raison dont le pays a besoin d'en tirer les compétences pour sa reconstruction.

Les zaouias: ces lieux de régularisation sociale

Avec les zaouias, lieux de la vie spirituelle, le jeu du sacral était resté bien ancré dans la régularisation sociale. La fibre patriotique des membres du cercle les « Jeunes - Algériens » se manifestait dès sa création en 1904, par la présence de l'étoile et du croissant sur tous ses documents officiels: bulletins d'adhésion, entêtes... Avec les «Jeunes-Algériens », la résistance commença dès le début du XXe siècle à prendre un tour politique après qu'elle ait cheminé par plusieurs étapes allant de la négociation, au désir d'entente et de cohabitation, à la lutte armée dont le peuple a brandi l'étendard sous l'impulsion du mouvement nationaliste. Aussi, faut-il faire remarquer que dans la logique coloniale l'assimilation et tous les autres mots utilisés pour qualifier pudiquement la colonisation fut, plus une manœuvre qu'une exception républicaine de la France dominatrice dont la ?'mission civilisatrice'' a servi de nouvelle religion pour légitimer son entreprise impériale.

Que sait-on de l'œuvre inaugurée par l'élite nouvelle appelée ?'Jeunes-Algériens'' et cela, en dehors du discours produit par les hommes politiques français dont le seul but était de maintenir la colonisation? Phagocytée par ses marges et ses frontières, l'analyse du sujet permet aujourd'hui la relecture d'une des pages intéressantes de l'histoire contemporaine de l'Algérie. Ces membres qui avaient les yeux tournés vers Ankara, ont contribué énormément à mettre en place des idées nouvelles de transition vers la modernité synonyme de progrès et de démocratie. Nous noterons que l'impact de la révolution kémaliste fut plus puissant qu'ailleurs et qu'à la mort du ghazi «Ataturk», une délégation conduite par deux notables Stili Bendimerad et son cousin, s'était même rendue à Ankara pour présenter à Ismet Pacha Inönü, compagnon d'armes de Mustapha Kemal (1881-1938) fondateur de la nouvelle Turquie républicaine, les condoléances au nom des habitants de Tlemcen. Pour les peuples musulmans sous domination la mort du Ghazi fut considérée comme une perte déplorable pour la cause de leur indépendance. ?'Résister, donc. Ce n'est pas une affaire de mots mais d'actes'', l'esprit de résistance était leur meilleure arme.

C'est le début du militantisme des idées, de la revendication des droits qui vont tracer la voie à l'expression et à l'émergence du portique du dire politique. Cette phase empruntant les voies modernes sera ainsi marquée par l'apparition des premiers éléments d'une société civile nouvelle qui, en s'appropriant l'espace, allait participer à la création de la première association, celles des «Jeunes- Algériens» ou «Fatyan-s-», une épithète à l'air du temps, désignant, à l'époque, la jeune élite.

Son nom est «Nadi Chabiba al-wataniya al-djazaïriya» (cercle de la jeunesse nationaliste algérienne) calqué sur le parti Union et Progrès en Turquie où le sentiment national né de la résistance à l'oppression des colons utilisant au mieux le mépris poussant au contraire à la résignation et au cynisme est ostentatoirement affiché en arabe.

L'administration coloniale, très inquiète, sollicita des personnalités intellectuelles en contact avec la société arabe dont le professeur William Marçais (1872-1956), linguiste et arabisant, directeur de la médersa de Tlemcen (1898-1904), pour tâter le pouls et comprendre par là, les buts de cette jeunesse algérienne motivée. Elle y voyait, à travers ce cercle, le profil d'une vie politique en pleine gestation, «un parti pour la civilisation et le progrès» composé d'anciens médersiens, notait-il, cela dans un rapport adressé au gouverneur général d'Algérie, à la suite des évènements provoqués par la conscription un moment fort de solidarité avec les Marocains, contre la conquête coloniale de leur pays n'osant pas entrer en guerre à l'instar de leurs voisins en Algérie. A travers le «Nadi» les Jeunes faisaient écho des évènements politiques conséquences de l'impérialisme et ses conséquences dans le monde musulman.

Le rôle des Nadis

Les premiers animateurs de ce cercle furent notamment des instituteurs, Mohamed Bouayad, Larbi et son frère cadet Bénali Fekar, Mohamed Bekhchi, Ghaouti Bouali et d'autres personnalités de la société civile dont également Mohamed Bendeddouche, Mohamed Ben Yadi, Mohamed Benturquia? qui avaient déjà une participation active dans la vie de la cité. Le premier président de ce cercle était Mohamed Bouayad dont le jeune Hadji fut l'élève à l'école franco-arabe. Lui succéda en 1919, un autre instituteur, Mohamed Bekhchi. Le cercle a reçu la visite de nombreuses personnalités dont, en 1921, l'émir Khaled (1875-1936) accueilli par la chorale des cercles les «Jeunes Algériens» et «Jeunesse littéraire musulmane» entonnant l'hymne à l'unité nationale chantant la patrie, un rêve rappelant la patrie et donnant la nostalgie : «Hiya bina nahyou el watan», (Allons-en, pour que vive la patrie) exaltant le sentiment national. La mémoire culturelle conservait encore ces poèmes patriotiques, «Wataniyat», chantés aussi dans les zaouias, les écoles libres et les «Nadis», du vivier patriotique.

Le mouvement des Jeunes allait profondément imbiber la société comme une force neuve, celle des idées. Avec les «Nadis», la pensée va se développer mettant à l?épreuve tant l'efficacité des formes que les pouvoirs de la parole. Les retards donnèrent lieu à de vives confrontations critiques. Tel est le temps de la prestigieuse génération des «Jeunes» brisant le mur d'airain imposé face aux aspirations des Algériens.

Le militantisme au sein de ces espaces était devenu un marqueur distinguant le camp de l'élite et de sa jeune promotion, au tournant du XXe siècle.

Ce front patriotique d'émancipation constitué par les «Nadis», les écoles libres? dont on pouvait tirer les leçons a été interrompu à l'indépendance, faisant les frais du parti unique avec ses conformismes, systématiquement dangereux pour les libertés et énergiquement opposé à toute approche politique pluraliste maintenant une situation de blocus médiatique. En raison de sa haute composante élitique, le cercle mythique des «Jeunes-Algériens» était appelé «Sénat» comptant parmi ses «effendis» hautains, des propriétaires, fonctionnaires, instituteurs?

Composé d'honorables personnalités représentatives de la société traditionnelle, soupçonnés par les colons au contact avec les propagandistes de la mouvance panislamique.

Cette période a vu l'émergence d'une élite motivée et parfaitement engagée sur des questions brûlantes concernant la modernité en tant que facteur d'émancipation, de progrès et d'évolution.

Ce premier frémissement inaugural de cette quête de forte vitalité, sera accompagné par de nombreuses initiatives en vue de la relance de l'art et de la culture revendiquant une démocratisation de la société musulmane en vue d'un Islam contemporain. Les Oulémas n'appréciaient pas leur libéralisme moderniste sous l'influence du courant «Jeunes-Turcs» qui avaient pour vocation de sauver l'empire opposés à une monarchie autocratique.

Contrairement aux traditionnalistes le souci de ces «Jeunes» de l'élite incarnant la nouvelle Algérie, était le présent et l'avenir. L'effort tendant à renforcer l'identité sera motivé par le souci de ressusciter certaines traditions telle l'étude du recueil des hadits (paroles du prophète) de «Sahih al Boukhari» (810-870), tout au long du mois de Ramadhan, des «Madjma'e» pour les femmes? Sur le plan religieux toujours, les mosquées-écoles donnaient libre cours à des séances réservées à la lecture des Louanges libératoires (Mounfaridja) ou, à l'invocation du nom de Dieu. Au plan politique, c'est l'engagement de personnalités en vue, telles Bénali Fekar dont la parole politique unit réalisme et intellectualité raffinée au goût de l'action, suivant l'évolution des idées pendant cette période critique, sur les sujets liés à l'assimilation, la conscription, l'instruction. Si M'hamed ben Rahal (1858-1928), délégué financier, qui fut le premier à remplir un rôle politique, l'avocat Taleb Abdeslam, son suppléant, revendiquait quant à lui, avec une tournure d'esprit moderne, une compensation du sang mêlé dans la défense de la France pendant la guerre 14/18 où 25.000 Algériens sont morts sur les champs de bataille à Verdun publiait, en 1919, un opus imprimé à Tlemcen aux éditions «Médiouni», intitulé «Les ambitions algériennes et la question d'un parlement algérien « pour un self -gouvernement en Algérie revendiquant par là, le droit de se gouverner pour mettre l'Algérie au service du progrès social, économique, intellectuel et politique les premières manifestations explicites d'autonomie... étaient des figures de proue de ce mouvement d'engagement. Bénali Fekar et Taleb Abdeslam, gentlemens de la nouvelle société, ont été, en 1911, à Paris, fondateurs de la première alliance franco-algérienne avec d'autres membres, parmi eux, également, l'avocat Mohamed Bouderba de Constantine, le romancier français Pierre Loti (1859-1923) partisan de l'empire ottoman engagé dans un effort déterminant pour se moderniser et ami du sultan Abdelmadjid, le peintre Etienne Nasreddine Dinet (1861-1929) animé de sentiments favorables à l'Islam et auteur d'une biographie du prophète Mohamed dédiée aux musulmans mort au champ d'honneur de la grande guerre? A Constantinople où il s'est exilé avec son père, le professeur à la médersa franco-arabe Mohamed Méziane crée, dans cette ville, le comité d'accueil des Algériens émigrés et participe, en 1917, au Congrès des peuples sous domination coloniale tenu à Berlin. Protoganiste algérien il sera signataire, avec le Tunisien Bach Hamba et Ahmed Biraz al-Djazaïri de la pétition adressée au président Wilson des Etats-Unis et aux membres du Congrès de Versailles, réunis le 18 janvier 1919 à Paris avec la participation de trente deux pays dont les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, pour ratifier la paix, après la Première Guerre mondiale, et dans laquelle il était question d'autodétermination des peuples algériens et tunisiens, deux pays entrés très tôt dans l'histoire moderne du Maghreb.

A suivre