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Nul n'est mandaté par Dieu et nul n'a les clés du paradis

par Mekideche Abdelkader*

Difficile. Il est aussi difficile d'être une femme dans une société misogyne que de tenir à sa foi au milieu de faux dévots, où d'être une femme et exercer un métier d'homme, où une Palestinienne qui vit dans un pays spolié par un Etat colonisateur, raciste et qui pratique les assassinats de masse comme les assassinats ciblés, sur qui il veut et quand il veut sous le regard complice des puissants du monde et ébahi des impuissants.

Sherine Abou Aqleh, femme, palestinienne, chrétienne et journaliste exposée à l'arbitraire de l'État sioniste, a cumulé tous les risques. Elle a eu le tort de vouloir informer le monde des crimes commis contre les Palestiniens, elle en a payé le prix, ils l'ont assassinée.

Sherine Abou Aqleh est assassinée d'une balle tirée par un militaire. Elle a subi le sort qu'ont subi les très nombreux reporters de guerre morts sur les champs de bataille. Souvent de balles perdues. Mais des fois, témoins oculaires de crimes de guerre, on les cible, on les vise bien et on leur destine des balles assassines pour les faire taire à jamais.

Jusqu'ici, dans un monde de plus en plus violent, où les morts se comptent chaque jour par milliers, la mort de Sherine Abou Aqleh n'a rien d'exceptionnel. Au fond, elle n'est qu'une mort noyée dans le tas de morts quotidiens essaimés à travers le monde. Elle aurait pu passer sans grand bruit, cette mort, si les assassins n'étaient pas aussi cruels, si le crime n'était pas aussi odieux et si la réaction de certains n'était pas tellement révoltante et tellement absurde. Elle aurait pu passer sans grand bruit, d'autant plus que cette mort violente et tragique était prévisible. Elle fut assurément prévue par la victime elle-même qui, consciente des dangers encourus, s'habillait à chaque sortie de casque et de gilet pare-balles dans le vain espoir de conjurer un sort fatal que détermine le très haut risque inhérent à son métier de reporter de guerre.

Il est tout à fait compréhensible que quand il s'agit de l'un de NOUS, on s'émeut à l'excès. Il n'est pas étonnant non plus que quand le sang coule encore chaud du corps de l'un des NÔTRES, notre passion commune ne laisse aucune place à la raison, et qu'on rage, qu'on râle, qu'on jure, qu'on accuse, qu'on juge, qu'on condamne, qu'on veuille exécuter de nos mains nues et de nos dents les responsables de notre grand malheur, et qu'on maudisse le monde qui ne compatit pas avec nous alors que nous oublions nous-mêmes de compatir avec lui quand c'est lui qui est frappé par le malheur.

En revanche, l'exceptionnel est la réaction de nos faux dévots à la mort de Sherine Abou Aqleh. Son sang coule encore chaud sur le sol de la terre sainte que ces ignares sans cœur s'érigent déjà en émetteurs de fatwas et soulèvent une controverse digne des temps les plus sombres de l'esprit humain : savoir si la défunte, chrétienne de confession, est une martyre, si elle a droit à une place au paradis et si elle mérite nos prières. Ceux qui ont statué pour l'exclusion du paradis de Sherine Abou Aqleh et de sa privation de nos prières sont ceux-là mêmes qui ont légitimité et légitiment encore le meurtre par crémation ou par défenestration de nouveaux-nés qu'ils jugent impies pour cela parce qu'ils sont nés dans un milieu kofr. Comparée à eux, Sherine Abou Aqleh a fait ses preuves en défendant au péril de sa vie une cause qu'ils n'ont jamais osé défendre, que certains ont même vendue. Comparée à leur lâcheté, par son courage, elle a plus de mérites et mérite mieux la prière des hommes sincères et la clémence de Dieu.

Nul ne bénéficie d'un mandat lui permettant de décider à la place de Dieu, nul ne possède le pouvoir de distribuer les indulgences, et nul ne détient les clés du paradis. Et si Dieu, dans sa grande miséricorde et par son impénétrable volonté, décide d'abriter pour l'éternité Sherine Abou Aqleh dans Son paradis, ce n'est pas des petits anonymes et des faux dévots qui, par un clic sur leurs smartphones et après un bon festin, pourront l'en en priver.

Il est des fois où la laïcité arrive au secours des hommes pour les sauver de leurs propres bêtises qui les rendent fous. Elle leur cloue le bec, leur trace des limites et elle les empêche de prétendre au monopole d'une vérité divine, laquelle prétention qui est la source de trop d'arrogance de leur part, la cause de trop de méchanceté gratuite.

*Avocat