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Complexité de la guerre en Ukraine: Le risque envisageable d'une Troisième Guerre mondiale nucléaire (Suite et fin)

par Medjdoub Hamed*

Des condamnations en cascades vont fuser partout en Occident, mais les États-Unis et l'Europe seront obligés de reculer malgré l'article 5 du traité de défense collective des pays membres de l'Otan. Pourquoi ? Parce qu'une riposte de l'Otan ne serait pas une défense collective mais un suicide collectif. Et pourquoi alors a été acté le «principe de dissuasion nucléaire» ? Ce ne sont pas les puissances nucléaires qui l'ont acté mais l'arme nucléaire elle-même par ses destructions apocalyptiques qu'elle peut produire qui l'a acté. La Russie n'est pas la Corée du Nord, ni l'Inde ni le Pakistan ni la France ; en nombre d'ogives et de missiles porteurs, elle est la première puissance nucléaire du monde. Et même si elle était deuxième après les États-Unis, le nombre d'armes nucléaires est pratiquement équivalent.

Avec l'arme nucléaire, il n'y a pas de «devoir sacré» ni d'article 5 du traité de l'Otan, il y a un problème de survie. L'Otan ne peut être en aucun cas offensif, le Pacte de l'Atlantique Nord a été créé en 1949 pour avant tout prémunir l'Occident d'une attaque nucléaire. Et l'URSS avait fait le premier essai d'une bombe nucléaire la même année. Donc, l'Otan, une organisation avant tout défensive, ne peut être offensive comme il l'a été au Proche et Moyen-Orient, contre l'Irak, la Syrie, l'Afghanistan... Mais contre la Russie, une puissance nucléaire à l'échelle mondiale, le rapport de force est tout autre, et surtout suicidaire si une partie rompt le consensus de dissuasion nucléaire.

Déjà avec l'Iran qui est au seuil nucléaire, seuil qui signifie que l'Iran peut du jour au lendemain, par des essais nucléaires, devenir une puissance nucléaire, a amené l'Occident à user de sanctions économiques et non de menaces de guerre. Israël, par exemple, a une peur «existentielle», compte tenu de l'exiguïté de son territoire, si l'Iran passe le seuil nucléaire.

Donc une riposte supposée de l'Otan contre la Russie en réponse aux représailles russes contre un pays membre qui provoquerait une Troisième Guerre mondiale ne sera en aucun cas une «défense sacrée collective des pays membres de l'Otan», mais plutôt un «suicide collectif de puissances à l'échelle mondiale». Rien n'existera de puissance en Europe de l'Est, en Europe de l'Ouest, en Russie, aux États-Unis, et peut-être même en Chine, en Inde, au Pakistan.... L'Australie, le Japon seront certainement touchés en tant qu'alliés des États-Unis. Le monde entier entrera dans un hiver nucléaire, on ne saurait ce qui passera après l'apocalypse et les radiations émises dans l'atmosphère terrestre. Que sera l'humanité ?

Donc, lorsque le président Vladimir Poutine a ordonné le quatrième jour de l'offensive russe contre l'Ukraine, le 27 février 2022, aux chefs des armées de « mettre les forces de dissuasion de l'armée russe en régime spécial d'alerte au combat », ce n'est pour faire peur, mais simplement pour avertir l'Occident des conséquences qui pourraient résulter de leurs actions dans le conflit armé en Ukraine. Et on a vu, en réponse, les atermoiements de l'Occident quant à une aide en moyens lourds à l'armée ukrainienne.

Il est clair que l'objectif des États-Unis est de faire de l'Ukraine une plateforme pour l'implantation de systèmes missiles et anti-missiles du fait de sa proximité immédiate avec la Russie. Comme elle l'a fait en Pologne et en Roumanie. En fait qui souffle sur le feu ? N'est-ce pas les États-Unis et avec eux leurs alliés européens dont les deux puissances nucléaires, la France et la Grande-Bretagne, et les 30 pays moins trois qui suivent sans qu'ils ne sachent réellement où cette politique d'élargissement otanienne avec en elle les visées américaines risque de les mener.

Toujours est-il, de cette guerre sortira des surprises, non pas pour l'Ukraine dont le peuple, pris en otage, se trouve à payer un lourd tribu, en souffrances, en nombre de morts, de blessés et d'handicapés à vie, mais d'un nouvel ordre géostratégique qui est en train de se profiler, que, paradoxalement, l'Occident a lui-même provoqué. D'autre part, on peut comprendre pourquoi le président américain est allé à Varsovie, et tant de hautes personnalités occidentales, de ministres, de la Commissaire de l'Union européenne, Ursula von der Leyen, au Premier ministre Britannique, Boris Johnson, qui défilent dans la capitale ukrainienne, pour rencontrer le président ukrainien Volodymyr Zelensky ? Le but certes est pour aider le président ukrainien et aider l'Ukraine face à la Russie, mais le pourront-ils ?

Ne serait-il pas plus juste que l'Occident regarde pragmatiquement la guerre qui se joue en Ukraine ? N'est-ce pas que l'Ukraine dépend aujourd'hui de tout de l'Occident ? Sur tout, tant sur le plan économique, le soutien financier, militaire en armements, médiatique à l'échelle mondiale que sur les sanctions économiques occidentales contre la Russie qui fusent par vagues jusqu'à la condamnation de l'invasion russe par l'Assemblée générale de l'ONU, la suspension de la Russie du Conseil des droits humains de l'ONU et son exclusion du Conseil de l'Europe.

Cette situation nous amène à dire que le poids de l'Europe et des États-Unis est prépondérant dans la résolution de la guerre en Ukraine. Ne reste-t-il pas pour l'Occident une alternative pour arrêter la guerre au regard des rapports des forces et des revendications par les parties en guerre ? A regarder seulement la position de la Russie face à l'Ukraine, qui, en tant que première ou deuxième puissance militaire et nucléaire mondiale, ne laisse aucune chance à l'Ukraine de remporter une victoire. Ne perdons pas de vue que la Russie agit dans son propre immédiat, à ses frontières, et affirme une crainte existentielle qui est réelle au regard des systèmes d'armes défensives et offensives qui l'entourent dans les pays frontaliers. Pour l'Ukraine, elle ne demande que la « neutralité », qu'elle ne se transforme comme la Pologne en plateforme de systèmes de missiles et anti-missiles qui mettent en danger la sécurité de la Russie. N'est-ce pas une revendication de paix ? Ce sont des arguments de fonds et non pour donner raison à l'invasion russe.

D'autre part, à ses frontières, dans les territoires ukrainiens où vivent des russophones (d'origine russe) qui cherchent à se séparer du pouvoir central ukrainien et se rattacher à la Russie, doit-elle les abandonner ? Le bon sens est non, elle ne peut abandonner des russophones d'ethnie russe qui cherchent à être intégrés à la patrie russe. Que la Russie s'oppose à l'Occident parce que celui-ci mène une politique d'encerclement stratégique par des systèmes d'armes de missiles et d'anti-missiles auprès des pays de l'Europe de l'Est (de l'ex-aire d'influence soviétique) et met en péril la sécurité nationale de la Russie mais aussi la paix mondiale, et si on inversait les rôles, c'est l'Occident qui se trouverait encerclé par des systèmes de missiles et anti-missiles implantés dans des pays à ses frontières, n'aurait-il pas agi comme la Russie, en envahissant un de ses pays limitrophes pour instaurer une «neutralité nucléaire» ? Car, en fait c'est de la «neutralité nucléaire» qu'il s'agit et non de l'intégration de l'Ukraine à l'Union européenne. La Russie ne s'oppose pas à ce que l'Ukraine entre dans l'Union européenne. L'Occident aurait donc agi comme la Russie pour sa sécurité nationale.

Contrairement à l'Otan qui déploie des systèmes d'armes de missiles et anti-missiles aux frontières de la Russie pour avoir un avantage stratégique sur elle. Et cet avantage stratégique peut amener à une Troisième Guerre mondiale. Où ce n'est pas l'Ukraine en guerre mais le monde entier sera en guerre, et non une guerre conventionnelle mais nucléaire donc apocalyptique.

La souffrance indicible du peuple ukrainien qui souffre pour absolument pour rien dans cette guerre, et on a beau revendiquer pour lui des référendums pour la neutralité ou pour des territoires qui veulent se séparer de la souveraineté nationale, un peuple qui souffre dans sa chair et sait qu'il ne peut contraindre sinon à subir la mort, la souffrance et la guerre pour servir ce qu'on veut lui assigner de défendre, à son corps défendant, des objectifs stratégiques de l'Occident qui le dépassent et surtout sont vains.

Plus grave encore ces objectifs stratégiques américains mettent la nation et le peuple en danger, et c'est ce qui est arrivé avec l'invasion russe. Le peuple ukrainien est en train de payer pour les autres puissances qui l'ont mis dans cette situation en le programmant comme un « poste avancé » à l'instar de la Pologne qui a peur aujourd'hui des systèmes d'armes de missiles et anti-missiles qui se trouvent sur son territoire, et sait qu'ils sont déjà dans le viseur des missiles nucléaires tactiques russes.

Le président polonais, lors de la visite du président américain à Varsovie, ne s'est-il pas ouvert à Joe Biden sur le risque d'une attaque russe sur son territoire. Quelle réponse lui a été donnée ? «Le président américain a donné cette assurance lors de son entretien avec le président polonais Andrzej Duda, dont le pays craint l'agressivité de Moscou après le déclenchement de l'invasion russe en Ukraine. Il a ajouté : «vous pouvez compter là-dessus», avant de citer une ancienne maxime polonaise «pour notre liberté et la vôtre». [..] L'attaque contre un pays membre est une attaque contre tous, constitue un «devoir sacré» pour les Etats-Unis. » (4)

Ce qui signifie que si la Russie lance des frappes de missiles pour détruire le site en Pologne où sont implantés les systèmes d'armes américains, c'est soit se diriger vers une Troisième Guerre mondiale à cause d'une attaque missile russe et donc l'apocalypse nucléaire pour le monde soit reculer face à la Russie. Et les États-Unis évidemment reculeront pour éviter la fin des États-Unis et du monde. Quant à la Pologne, si cette situation vienne réellement à exister, qu'elle en subisse les conséquences, il est clair qu'elle arrêtera l'exploitation de ce système d'armes et exigera des États-Unis son retrait.

Ce qu'ici nous postulons en possibilité d'un événement qui peut arriver est déjà étudié en profondeur dans les états-majors de l'armée russe, avec tous les cas de figure conjecturés, et l'issue ou les issues qui peut ou peuvent en ressortir. La question de l'armement nucléaire est un problème non seulement sensible mais existentiel pour les grandes puissances. Que l'Occident qui ne peut atteindre le camp adverse et veut les faire endosser à des pays tiers, en l'occurrence aux pays de l'Europe de l'Est, qui sont frontaliers avec la Russie, a des limites. La guerre en Ukraine montrera certainement l'« anti-rationalité» de la stratégie américaine et certainement fera, dans les années à venir, sentir l'aberration de ces systèmes d'armes qui ne peuvent que mettre en danger les relations entre les puissances nucléaires mais aussi la sécurité mondiale. Pour cause, les fonctionnements de ces systèmes relevant de plusieurs centres distants géographiquement sur terre, air et mer et qui travaillent en réseau sont très complexes et peuvent échapper à l'homme. Leur fonctionnement global s'opère comme suit.

Connecté à un réseau satellitaire (lanceurs d'alertes), en lien avec des radars navals et terrestres, mû par des logiciels complexes qui calculent avec une grande précision la trajectoire balistique de ou des ogive (s) ennemies, détachée (s) du missile lanceur, définissant exactement la ou les cible (s) visée (s) dans la minute qui suit pour les transmettre au sol, en vue de leur interception immédiate, et la réponse immédiate à l'ennemi par un missile nucléaire balistique, où le temps de vol doit être le plus court possible (selon l'emplacement géographique du site du système missile le plus proche de l'adversaire) nous font dire que le progrès technologique fou de ces systèmes d'armes, entièrement automatisés, où l'action de l'homme pour arrêter le processus pourrait être entièrement absente, du fait de l'extrême temps de vol de quelques minutes, ne pourront que mener le monde vers la destruction. En clair, une guerre nucléaire peut ne pas être une vue de l'esprit, mais réellement envisageable et mener le monde vers l'apocalypse.

Aussi peut-on dire, s'il y a prise de conscience des dangers qui guettent le monde, l'Occident peut se rattraper et, par des réponses pragmatiques et pacifiques aux doléances tout à fait légitimes de la Russie, en orientant la partie ukrainienne dans ses négociations avec la Russie, peut mettre fin à la guerre. Les blessures de guerre et les sanctions pourraient progressivement se réparer, et le monde aller vers plus de sécurité.

Sinon l'aveuglement de l'Occident ne le mènera nulle part, qu'à d'autres souffrances inutiles, vaines pour le peuple ukrainien et pour d'autres peuples. L'histoire de l'humanité ne s'arrêtera pas, elle continuera son chemin et c'est au Tribunal de l'Histoire qui jugera entre les puissances ; la rétribution ne sera alors qu'à la juste valeur de leurs actes.

*Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective

Notes :

3. «Une guerre existentielle», par Le Devoir. Le 14 mars 2022

https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/685641/une-guerre-existentielle

4. «Joe Biden réaffirme que l'article 5 de l'Otan est «un devoir sacré» pour les Etats-Unis», par le NouvelObs. Le 26 mars 2022

https://www.nouvelobs.com/guerre-en-ukraine/20220326.OBS56226/joe-biden-reaffirme-que-l-article-5-de-l-otan-est-un-devoir-sacre-pour-les-etats-unis.html