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Les dessous du scandale des maisons de retraite en France

par Khider Mesloub

Les maltraitances infligées aux personnes âgées dans les maisons de retraite défrayent actuellement la chronique en France, en particulier depuis la publication du livre polémique d'un journaliste français (censément indépendant) sur les «dysfonctionnements» et «sévices» relevés dans certains établissements de retraite, les Ehpad (Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes). En réalité, ces maltraitances envers les pensionnaires des maisons de retraite ne sont pas nouvelles. En outre, elles constituent un phénomène mondial.

Pour ma part, bien avant la publication de ce livre suspect, j'avais rédigé un article sur le traitement dégradant des personnes âgées, publié notamment dans Algérie patriotique le 19 janvier 2019 [1], au lendemain du scandale de la diffusion d'une vidéo filmée dans un établissement de retraite de la ville de Batna [2], en Algérie, dévoilant l'abandon des pensionnaires et, surtout, les maltraitances qu'ils subissaient.

Sans nul doute, la publication du livre «Les Fossoyeurs» est suspecte car elle s'apparente à une opération de discréditation professionnelle orchestrée par le gouvernement Macron, et surtout à une entreprise de torpillage économique lancée contre la multinationale Orpea, leader mondial des Ehpad ? déjà l'action du titre Orpea à la Bourse de Paris a dégringolé d'environ 60%.

Il est curieux qu'un livre, écrit par un obscur jeune journaliste (il est l'auteur d'une enquête sur l'homosexualité dans les Ehpad parue dans Le Monde en mars 2019, où il était préconisé la création d'une maison de retraite LGBT, autrement dit une structure réservée aux seniors gays, lesbiennes, transgenres), bien avant sa publication, ait provoqué autant de vives réactions intempestives de la part du gouvernement Macron.

D'emblée, lors des questions au gouvernement, dans l'Hémicycle, le Premier ministre Jean Castex est monté au créneau pour annoncer, comme si le projet de loi était depuis longtemps ficelé, une réforme des procédures d'accréditation des établissements de retraite, tout en pointant, sur le simple fondement de la publication d'un livre contestable (qu'il n'a probablement pas lu), un doigt accusateur sur le groupe Orpea : «Les faits sont gravissimes (...). Il existe dans notre pays une maltraitance structurelle de nos aînés». «Je veux manifester ma compassion et ma solidarité à l'endroit des résidents et des familles qui ont été victimes de ces agissements», a-t-il déclaré. (Quand des millions de Français récalcitrants, avec des preuves tangibles à l'appui, dénoncent les maltraitances et répressions gouvernementales subies depuis l'apparition de la pandémie, sans oublier les dysfonctionnements criminels de la gestion de la crise sanitaire, ils sont aussitôt qualifiés d'imposteurs, de complotistes, d'irresponsables, accusés de propager des fake news).

Pareillement, la ministre déléguée chargée de l'autonomie des personnes âgées, Brigitte Bourguignon, sans disposer d'aucun élément de preuve matériel, s'est fendue d'un communiqué dans lequel elle a «exprimé sa colère» et «l'indignation du gouvernement quant aux pratiques et dysfonctionnements graves et intolérables» relevés dans les établissements d'Orpea.

Le lendemain, mercredi 2 février, dans une action inquisitoriale concertée, ce fut au tour de l'Assemblée nationale, par le biais de la Commission des affaires sociales convoquée diligemment par les députés de LREM, de se réunir pour auditionner, sans ménagement, le nouveau PDG d'Orpea, Philippe Charrier, ainsi que le directeur général France, Jean-Christophe Romersi, soumis à un «interrogatoire musclé» comme de vulgaires voyous.

Le même jour, le journal gouvernemental Libération titrait son article consacré au «scandale» des établissements de retraite « Et si on fermait les Ehpad ? ». Et d'entamer son article par cette préconisation, probablement dictée par l'Élysée : « Personne n'est satisfait de ces établissements, ni les résidents et leurs proches, ni les personnels, ni l'opinion publique. Il faut travailler sur le maintien au domicile et réorienter les politiques publiques du vieillissement vers une inclusion sociale. ». Autrement dit, le gouvernement Macron propose la fermeture des établissements de retraite ou, plutôt, leur transformation en structures spécifiquement médicalisées, et, corrélativement, le maintien à domicile des personnes âgées.

Le même jour, on apprenait qu'une plainte au pénal pour violation des droits syndicaux avait été déposée contre Orpea par les centrales syndicales CGT, FO, CFDT. Le même jour, on apprenait que le groupe Orpea était également visé par une «action collective conjointe» lancée par des familles de résidents en colère, pour, selon les dossiers, «homicide involontaire, mise en danger délibérée de la vie d'autrui, violence par négligence» ou «non-assistance à personne en danger».

Rien que ça !

On voudrait abattre ce géant gênant des établissements de retraite on ne s'y prendrait pas autrement. Après avoir ruiné la réputation et les finances du groupe Orpea, le pouvoir macronien s'apprête à infliger le même sort aux groupes Korian et DomusVi. Pour ce faire, la chaîne de télévision d'État France 2 vient d'annoncer la déprogrammation d'une enquête consacrée à l'enseigne McDonald's, pour la remplacer par la diffusion d'un documentaire sur le groupe Korian. L'émission de « Cash Investigation », animée par Élise Lucet, promet des révélations sur l'univers des maisons de retraite des deux groupes. Déjà, le groupe Korian est dans la tourmente, son action dévisse en bourse.

Voilà, après recoupement de toutes ces informations, tout s'éclaire, tout s'explique : le gouvernement Macron, via le prétendu journaliste stipendié, les médias et les députés accourus à la rescousse, s'active à discréditer et flétrir les Ehpad d'Orpea, accusés de «maltraitances» et de cupidité, afin de justifier leur transformation en structures spécifiquement médicalisées.

Au reste, le projet de loi de maintien à domicile des personnes âgées est à l'étude depuis plusieurs années. Depuis des mois, le gouvernement Macron prépare l'opinion publique à la perspective du démantèlement des Ehpad. Au final, les députés, dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) avaient adopté le 26 octobre 2021 en première lecture le projet de loi, qui prévoit notamment toute une série de mesures pour favoriser le vieillissement à domicile.

«Nous mettons l'accent sur le maintien à domicile pour, à terme, limiter le besoin de places en Ehpad», affirmait la ministre Brigitte Bourguignon dans le magazine Capital. À court terme, l'objectif du gouvernement Macron est de remplacer les Ehpad par les Spasad (Services polyvalents d'aide et de soins à domicile).

« Et si nous mettons l'accent sur le maintien à domicile, c'est aussi pour, à terme, limiter le besoin de places en Ehpad. Il faut que ces structures deviennent plus sanitaires, dédiées aux pathologies les plus lourdes. Nous y arriverons si nous réussissons le pari du domicile », avait-elle ajouté. En d'autres termes, les Ehpad deviendraient des appendices des hôpitaux actuellement en souffrance. L'objectif est de maintenir à domicile un maximum de personnes par l'aide technique comme la téléassistance, la domotisation ou l'adaptation des logements.

En France un habitant sur 10 a plus de 75 ans (7 millions). En 2050, ce sera un habitant sur six (12 millions). Au lieu d'investir dans la construction de nouvelles structures d'accueil de personnes âgées, jugées coûteuses, le gouvernement Macron prône la politique de maintien à domicile des séniors. Et les actuels Ehpad seront, à terme, transformés en «structures sanitaires dédiées aux pathologies les plus lourdes».

Sans nul doute, une fois les trois groupes totalement fragilisés financièrement, l'État pourrait, sinon s'approprier plus aisément leurs établissements, ou, au moins, plus favorablement les contraindre à se transformer en structures médico-sanitaires dédiées aux pathologies les plus lourdes.

Actuellement, globalement, le budget alloué par l'État aux seniors en perte d'autonomie est de l'ordre de 24 milliards d'euros. Avec l'accroissement du nombre de personnes âgées dépendantes d'ici 2050, ce budget devrait considérablement augmenter. Or, restrictions budgétaires obligent, l'État n'envisage pas de rallongement financier de ce poste de dépense. Aujourd'hui, pour parer à l'augmentation du nombre des séniors en perte d'autonomie, par ailleurs pourvus d'une pension de retraite pareillement vouée à diminuer du fait de l'aggravation de la crise économique, l'État s'active à réduire l'écart entre le montant moyen des pensions 900 euros par mois et le prix d'une place en maison de retraite estimé à 2.000 euros mensuels. Outre, à court terme, la transformation des Ehpad en structures médicalisées, l'objectif immédiat visé est la baisse du prix de l'hébergement en maison de retraite. Aussi, cette diminution du coût est possible seulement par l'encadrement des tarifications des maisons de retraite, autrement dit par la mise au pas des établissements de retraite privés (à but lucratif) détenus majoritairement par les groupes Orpea, Korian et DomusVi.

Car, quoique appartenant au secteur privé, ces trois groupes profitent d'un système de financement public complexe et généreux profitablement détourné à leur avantage. Pour information, la tarification est divisée en trois sections : aide sociale à l'hébergement. Comme le rapporte le magazine Capital dans son édition du 28 janvier 2022 : « La partie soins est prise en charge à 100% par l'assurance maladie. Cela signifie donc que, même dans les établissements privés, les salaires des médecins coordonnateurs, des infirmiers et 70% des salaires des aides-soignants sont payés par les finances publiques. Leur nombre est encadré par une logique comptable, et déterminé en moyenne tous les cinq ans par le niveau de dépendance (mesuré par la grille AGGIR) et le besoin de soins des résidents en fonction de leur pathologie (mesuré par l'outil Pathos). Ainsi, plus un établissement accueille de personnes en grande dépendance au moment de l'évaluation par les outils tarifaires (AGGIR et Pathos), plus le budget alloué pour les soins sera important. Cette logique prévaut quel que soit le statut de l'établissement. (...). Certains établissements profitent de ce financement public de soins et n'assurent que le strict minimum en la matière. (...). Autre niveau de tarification, la dépendance. Il s'agit ici de financer en partie l'aide aux actes du quotidien comme la prise de repas, le lever ou le coucher assurée par des aides-soignants. Cette prise en charge est cofinancée par l'État et les départements dans le cadre de l'Allocation personnalisée d'autonomie (APA) (...). Chaque établissement reçoit donc une enveloppe correspondant au niveau de dépendance de ses résidents qu'elle a déclaré. Ces montants sont donc réservés pour des besoins très spécifiques. Enfin, dernier poste tarifaire: l'hébergement. C'est ce tarif-là qui est facturé tous les mois pour les résidents des Ehpad. Ce tarif prend en compte le logement, son entretien, la restauration. (Dans les établissements les plus onéreux, ce tarif peut atteindre plusieurs milliers d'euros (entre 6.500 et 12.000 euros dans l'Ehpad de Neuilly-sur-Seine.). Dans le même établissement, le tarif peut varier en fonction de la taille du logement mais aussi des activités qui peuvent être choisies par le résident.

C'est donc sur ce poste que se fait l'essentiel des profits des résidences privées (en vrai dans tous les autres postes financés par l'État. En fait, ces établissements privés soutirent l'argent aussi bien aux contribuables via les dotations publiques qu'aux pensionnaires via le paiement de leur hébergement.

Néanmoins, le projet gouvernemental de maintien à domicile est pire que le cadre d'hébergement institutionnel actuel. Sous couvert d'arguments humanitaires justifiant le maintien à domicile, l'État, pour d'évidentes motivations de rationnement du budget alloué aux seniors dépendants, livre en fait les personnes âgées en perte d'autonomie à elles-mêmes, privées de l'accompagnement social et médical quotidien dispensé dans les maisons de retraite. En tout état de cause, la politique de maintien à domicile est moins coûteuse pour l'État, en matière d'hébergement, de dépendance et de soins, NDA). Leurs tarifs sont totalement libres. D'autant que, contrairement au public et au privé non lucratif, ils n'ont aucune obligation de réserver des places aux bénéficiaires de l'aide sociale à l'hébergement (ASH) ? autrement dit aux retraités impécunieux.

Autre écueil majeur de ce système, malgré les dotations publiques qu'ils reçoivent, ces établissements privés sont peu contrôlés par les Agences régionales de santé (ARS). »

Par ailleurs, mesquinement, ce livre, censément soucieux du sort des séniors, se borne à dénoncer les rationnements de nourriture et de produits d'hygiène au détriment des personnes âgées prises en charge dans les structures d'Orpea (or, le gouvernement Macron, lui, est le premier employeur à rationner les moyens de tous les établissements publics, notamment les moyens sanitaires et matériels médicaux des hôpitaux : juste en 2021, il aura fermé 5.700 lits, suspendu 15.000 agents hospitaliers pour défaut de pass sanitaire, occasionnant l'aggravation de la dégradation des conditions de travail des personnels soignants, la déprogrammation des opérations chirurgicales, des consultations médicales vitales, notamment des personnes atteintes d'un cancer ou de maladies cardiovasculaires ou chroniques potentiellement létales).

En revanche, le journaliste n'évoque nullement la responsabilité de l'État français dans la dégradation des conditions de vie des retraités, mis en pension ou non. Plus de 10% des retraités français touchent moins de 60% du revenu médian disponible dans le pays, qui correspond au seuil de risque de pauvreté. Le seuil de pauvreté est établi à 1.041 euros. En France, sur 9 millions de personnes considérées comme pauvres, plus d'un million sont des retraités.

Outre les maltraitances sociales infligées par l'État français aux personnes âgées, par leur paupérisation généralisée et isolement social, l'autre drame vécu par les seniors concerne le taux de mortalité excessivement élevé parmi les personnes pauvres en âge de prendre la retraite. En France, à 62 ans, un quart des 5% les plus pauvres sont déjà morts (en 2021, la France comptait 17,7 millions de personnes âgées de 60 ans et plus, soit presque 27% de la population française totale). Il faut attendre l'âge de 80 ans pour que cette proportion soit atteinte pour les 5% les plus riches.

L'auteur du livre commandé n'évoque pas non plus la culpabilité du gouvernement Macron, depuis l'apparition de la pandémie de Covid-19, dans la mort des milliers de pensionnaires des maisons de retraite, décédés par manque de soins et de matériels sanitaires, véritable opération d'euthanasie perpétrée contre les résidents, comme on l'a analysé dans notre texte intitulé « La pandémie d'euthanasie médico-économique », publié dans Le Quotidien d'Oran entre le 26 et le 29 décembre 2021. Les résidents des établissements de retraite ont représenté 44% des morts du Covid-19. En d'autres termes, sur les 128.000 décès dus au Covid-19 survenus en France, plus de 56.000 sont décédés dans les structures médico-sociales, en l'espace de quelques mois. Au total, les personnes hébergées dans ces établissements, censément sécurisés et médicalement immunisés, représentent donc plus de quatre décès sur dix, recensés par les autorités sanitaires.

 Et aucun journaliste ou homme politique ne s'offusque de ce génocide perpétré contre les pensionnaires des établissements de retraite, sacrifiés sur l'autel des restrictions budgétaires décrétés par le gouvernement Macron. Les médias et les membres du régime macronien pointent du doigt les «dysfonctionnements et maltraitance» de l'Orpea pour mieux occulter leurs crimes commis contre les personnes âgées hébergées dans les maisons de retraite, mortes faute de soins, par manque de lits de réanimation, de respirateurs, de personnels soignants, dans l'isolement, sans bénéficier des derniers adieux de leurs familles.

Ces pensionnaires ont juste reçu le dernier baiser de la mort apposé par la mafia gouvernementale. [3]

Aujourd'hui, ces génocidaires macroniens viennent dénoncer l'inhumanité supposée (matérialisée par les rationnements de nourriture et de produits d'hygiène) des dirigeants de l'Orpea. Ils osent même les traduire en justice. Pour paraphraser la réplique de Lino Ventura dans le film «Les tontons flingueurs» : « Les cons, ça ose tout. C'est même à ça qu'on les reconnaît », nous dirions, à notre tour à propos de ces «flingueurs de papis et mamies» : les criminels du gouvernement Macron osent tout. C'est même à leurs politiques antisociales et mesures scélérates qu'on les reconnaît.

En vérité, avec cette affaire de scandale des établissements de retraite, montée en épingle par les médias, tout se passe comme s'il s'agissait également d'une diversion : les familles, meurtries par la mort prématurée d'un parent ou par la négligence médicale infligée à leur proche par les autorités, au lieu d'intenter un procès contre les membres du gouvernement Macron, responsables, par leur incurie criminelle dans la gestion de la crise sanitaire, de négligence, de mise en danger de la vie d'autrui et d'abstention volontaire de combattre un sinistre (56.000 morts de Covid dans les établissements de retraite), sont fourvoyées dans de mauvaises voies, déroutées sur de fausses cibles, des lampistes : les dirigeants d'Orpea.

À quand un Tribunal de Nuremberg pour poursuivre les dirigeants français macroniens pour crime contre l'Humanité pour leur gestion criminelle de la pandémie de Covid-19 ?

Notes

[1] https://www.algeriepatriotique.com/2019/01/19/le-traitement-degradant-des-personnes-agees-dans-les-maisons-de-retraite/

[2] https://www.youtube.com/watch?v=4kztXdsHeKc

[3] Dans l'univers de la mafia, le baiser de la mort (en italien : il bacio della morte) est un acte pratiqué par un parrain mafieux ou le caporegime (en) d'une «famille» criminelle sur les membres de l'organisation dont l'exécution a été décidée.