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Le transport aérien en Algérie : proposition pour un plan de transformation de la compagnie Air Algérie

par Mahmoud Mehalli*

La crise sanitaire et la crise économique qui s'en est suivie ont affecté le secteur aérien déjà sous pression et mis en difficulté l'ensemble des compagnies aériennes.

Le transport aérien a vu ses activités très perturbées parfois réduites à néant. Les flux de passagers ciblés comme responsable de la propagation de la pandémie ont été réduits drastiquement, entrainant pour les transporteurs aériens le plus grand choc de son histoire. En 2020/2021, l'offre SKO d'Air Algérie a chuté de plus de 75% au cours de cette période.

Suite à la baisse de l'activité passage à cause des fermetures des frontières, la Compagnie Air Algérie a vu ses résultats d'exploitation très affectés, déjà peu reluisante avant la crise, soit 2 milliards de DA de déficit en 2018. Air Algérie, sur instruction des pouvoirs publics par ailleurs, a alors arrêté les frais et n'a desservi que les vols de rapatriement et les vols qu'elle estimait viables depuis quelque temps.

Seul le chiffre d'affaires du fret au niveau mondial des compagnies a augmenté en valeur, atteignant 117,7 Mds d'euros en 2020. Néanmoins cette hausse de la valeur du fret n'a pas compensé les pertes de revenus du trafic passagers. Fort malheureusement, ce mouvement d'activité vers le fret n'a pas été présent pour la Compagnie Air Algérie.

Depuis le début de l'année 2021, le déploiement massif de la vaccination permet des levées progressives des restrictions et révèle l'envie de voyages loisirs et familiaux chez les clients des compagnies aériennes, même si sur le segment affaires la reprise n'est pas attendue pour le moment.

Un programme spécifique Air Algérie, ciblant des lignes à forte densité de trafic, a été mis en place, demeurant insuffisant pour rattraper le niveau d'activité d'avant la crise, ni offrir une satisfaction à sa clientèle, l'offre et les prix continuent de faire l'objet de contestation par ailleurs.

Les États ont endossé de nouveaux rôles protecteurs pendant cette crise du coronavirus. Protecteurs car les aides d'Etats pour tous les secteurs et notamment pour l'aérien se sont multipliées et ont revêtu plusieurs formes, tels que des prêts garantis, des aides à la recapitalisation, des exonérations d'impôts, etc. Ces mesures ont été initiées pour sauver les entreprises qui se sont retrouvées dans des situations de trésorerie et fonds propres inquiétants. A l'instar de ces compagnies, Air Algérie attend une forme d'aide des pouvoirs publics dont le contour serait à définir. Le ministère des Transports aura la responsabilité de juger de la pertinence de cette aide et sa mise en place dans les délais requis. L'accumulation des déficits (antérieure et crise sanitaire) de la Compagnie Air Algérie ne constitue pas une garantie pour une reprise réussie de ses activités. Le régulateur, représenté par le ministre des Transports, doit accompagner la compagnie et réduire son enthousiasme pour une ouverture du secteur aérien sans disposition d'accompagnement d'Air Algérie (mise à niveau, investissement, performance, offre révisée...).

Devant cette crise sans précédent, je propose, après avoir mûri une réflexion, un plan de transformation qui comportera plusieurs options.

L'État, propriétaire de la Compagnie publique Air Algérie, est appelé à changer de paradigme suite à la crise sanitaire et économique. Air Algérie, dans cette perspective de crise et de changement de paradigme de l'État, doit améliorer sa rentabilité, en diminuant ses charges variables et ses coûts fixes pour sortir de la dépendance de l'État.

1. La rationalisation de la flotte constitue un acte à privilégier au regard du niveau du capital associé.

L'exemple d'air France est illustratif dans ce cas, d'autres compagnies aériennes ont recours à cette option par ailleurs. Air France s'est séparée de ses A380 tout comme Lufthansa. Afin de baisser les charges fixes et augmenter les niveaux de trésorerie, certains avions en pleine propriété ont été vendus pour être repris en leasing.

Le choix du leasing répond à des considérations de plusieurs ordres.

- la nature du projet d'investissement sous-jacent : il faut adosser un financement long à un actif long - la situation financière, de son besoin de diversifier ses sources de financement.

Le secteur du transport aérien est soumis à de nombreuses et rapides évolutions dues à plusieurs facteurs (coût du pétrole, crises, bouleversements géopolitiques...). Cela nécessite une réelle capacité d'ajustement de la flotte pour ne pas transformer des coûts variables (un avion en charge) en coûts fixes (un avion cloué au sol par manque de trafic aérien). Il s'agit d'une option de financement à retenir.

Le programme de renouvellement de flotte de la compagnie AH est important, trois quarts de sa flotte seront concernés par le renouvellement qui exige des moyens financiers considérables, Air Algérie ne disposant pas de ce matelas financier suffisant, et le plan d'investissement de la compagnie doit être redéfini mais pas abandonné.

Les contrainte financières, une trésorerie insuffisante et un excédent brut de financement négatif, portés par les bilans successifs des dernières années de la compagnie l'excluent de recourir à un financement classique (pleine propriété).

Air Algérie doit par ailleurs engager des programmes ponctuels d'investissement flotte.

Une option alternative moins coûteuse et à la portée de la compagnie pour disposer de moyens de production suffisants. Le secteur du transport aérien est soumis à de nombreuses et rapides évolutions dues à plusieurs facteurs (coût du pétrole, crises, bouleversements géopolitiques...). Cela nécessite une réelle capacité d'ajustement de la flotte pour ne pas transformer des coûts variables (un avion en charge) en coûts fixes (un avion cloué au sol par manque de trafic aérien).

Pour assurer cette flexibilité, la Compagnie Air Algérie doit recourir à la location opérationnelle d'avions. Comme pour une voiture, elle consiste à payer un loyer pendant une période donnée en contrepartie de l'utilisation du bien et de sa restitution au terme de la location. La location opérationnelle dure généralement cinq ou six ans. En cas de besoin, la location peut être allongée de deux ou trois ans supplémentaires.

A l'échéance, la Compagnie Air Algérie a le choix de sortir l'avion de sa flotte ou de le conserver. Et l'exemple est flagrant tel le cas d'Air France qui détient environ un tiers de sa flotte en location opérationnelle.

La flotte d'Air Algérie comporte 49 appareils (2018) et un rapide calcul montre qu'un Airbus A330 doit coûter quelque chose comme 150 millions de dollars. Inutile de chercher à faire une multiplication car la flotte est diversifiée et le parc d'avions a été constitué régulièrement à travers le temps, mais cela pose clairement la question du financement de cette activité très intensive en capital.

2. La compagnie Air Algérie doit recentrer sa flotte sur les avions les plus récents et moins consommateurs de carburants. Les niveaux des prix du carburant réduisent la performance économique de la compagnie.

Les flottes d'avions seront réduites, car les aéronefs plus anciens (au moins 15 appareils sont concernés) seront mis hors service plus rapidement tandis que les gros porteurs, conçus avant la pandémie, seront remisés pour réduire les coûts d'exploitation. Les réductions des flottes et les faillites des compagnies aériennes réduiront certainement la capacité du marché, et personne ne s'empressera de combler le vide, qui sera considéré comme une correction nécessaire du marché. L'élaboration des itinéraires sera plus importante et innovatrice que jamais.

Les stratégies d'achat et de gestion de carburants à réviser.

Le pétrole flambe de 46,60 $ le baril en moyenne en 2020, à une époque où presque personne ne prenait l'avion, le prix du kérosène à réaction a fait un bond à 74,50 $ en 2021, et il pourrait grimper à 100 $ en 2022. Trois options seront inscrites pour rationaliser cette dépense.

Une gestion efficace et contrôlée de la consommation du carburant :

AH doit inscrire dans son plan d'action un programme Fuel Efficiency qui sera piloté par une structure dédiée (à mettre en place). L'objectif est de pouvoir s'aligner avec les meilleures pratiques de l'industrie en termes de réduction de la consommation du carburant.

Une performance énergétique est attendue de ce programme, les hausses des prix du carburant doivent converger vers cette option.

- La structure doit examiner l'option d'un renouvellement flotte en tenant compte de l'efficacité énergétique de ses appareils,

- Fixer les objectifs de consommation de carburant par passager,

- Proposer la mise en place d'outils s'appuyant sur de nouvelles technologies écologiques pour la préparation du vol dont notamment les systèmes d'information de nouvelle génération. Ils permettent pour chacun des vols de sélectionner la route la plus optimale, la plus courte et donc la plus efficiente afin de réduire sa consommation de carburant. Pas que cela, le personnel navigant d'Air Algérie doit veiller toujours à favoriser les techniques de vols orientés « Fuel Efficiency » en mettant à contribution plusieurs initiatives dans le but de réduire au maximum la consommation du carburant.

En 2018, 4.7 millions hl ont été consommés par le programme d'exploitation d'Air Algérie et représente une dépense de 27 080 048 470 DA.

- Disposer d'une couverture contre les fluctuations de prix du carburant, technique associée au Hedging, bien que complexe mais intéressante qui nécessite par ailleurs une prévision raisonnablement sûre des volumes et des lignes de crédits avec les banques. C'est un mécanisme financier qui peut coûter cher si une anticipation peu probante en matière de consommation de carburant est retenue. Il s'agit d'une politique de couverture active qui permet de limiter la volatilité des prix du carburant.

L'incertitude de la conjoncture doit conduire la compagnie AH à adopter des politiques de couverture carburants plus prudentes avec des couvertures à plus courtes durées.

- Compenser le pétrole cher par les revenus auxiliaires, ces recettes dégagées par les ventes à bord, la réservation de sièges ou l'embarquement prioritaire, peu développé ou pas du tout développé chez Air Algérie.

- Répercuter la variation des prix du carburant sur le prix du billet.

3. L'évolution de la demande business et tourisme ainsi que le développement du point à point long et moyen-courrier questionnent également l'aménagement des cabines. En effet, la crise a bouleversé l'équilibre des recettes entre les clients loisirs et d'affaires. Alors que les clients loisirs sont au rendez-vous dès que les restrictions seront levées. La demande d'affaires sera amenée à baisser considérablement à court terme, et à de fortes de chances pour ne pas être rétablie à long terme.

Par ailleurs, l'essor des compagnies bas coûts introduisent une reconfiguration du secteur qui impose à Air Algérie une meilleure compétitivité et une meilleure régulation des pouvoirs publics.

4. Cette période de crise appelle la Compagnie AH de revoir son intérêt de conserver ou de se délester des activités connexes. Un mouvement au sein des grands groupes, IAG a fermé sa filiale française Level appelée Open skies et Lufthansa a cédé sa filiale de catering LSG Sky Chefs. Les activités concernées pour Air Algérie, le catering déjà indépendante à travers l'opération de filialisation, la maintenance en voie pour sa filialisation et enfin les activités au Sol Handling.

5. Les bâtiments et loyers font aussi partie des charges fixes des compagnies aériennes. Air Algérie doit revoir ses dépenses à la baisse en réorganisant les espaces de travail disponibles afin de vendre ou rendre des locaux (100 agences en Algérie et 30 agences à l'étranger dont les performances économiques et financières sont peu probantes, doivent dans une première étape être concernées par cette opération...)

6. L'élaboration des « flight plan » réactif. En pratique, l'offre ne peut plus être élaborée sur le moyen et long terme car cela dépend de l'apparition de nouveaux variants et de l'évolution de la vaccination dans chaque pays.

Les restrictions variables modifient les pratiques de la clientèle des compagnies, rattachée aux mesures sanitaires. La crise sanitaire a offert plus d'options aux clients, qui attendent désormais des billets annulables, avec des options flexibles et j'insiste sur la notion de flexibilité.

La crise apporte une dualité de responsabilités; une responsabilité du transporteur qui doit veiller au maximum de sûreté, de sécurité et d'hygiène et une responsabilité du client en amont, en vol et après les vols pour ne pas favoriser la propagation du virus qui pourrait conduire à une fermeture de frontières.

7. L'un des grands postes de dépense des entreprises de services et industrielles telles que les compagnies aériennes est la masse salariale.

Dans la quête de la réduction des frais d'exploitation, les départs volontaires sont un « moyen parmi d'autres ».

Il est à préciser que l'opération ne constitue pas un mode mise à pied ou bien licenciement collectif.

Il s'agit plutôt :

- D'élever la productivité des employés,

- De réduire la masse salariale qui permettra à la compagnie de mieux résister aux turbulences internes et externes.

Air Algérie emploie actuellement un effectif de 8707 en 2018, soit 158 agents par avion contre 120 en moyen pour la concurrence. D'où l'impératif pour la compagnie d'un alignement avec les performances et standards requis.

- Aide au départ volontaire des salariées proches de la retraite :

- le rachat des années de cotisations manquantes par l'entreprise.

Ainsi, le salarié peut faire valoir son droit à la retraite, grâce au rachat d'années.

- Négocier la prise en charge, par l'entreprise, de la rémunération du salarié qui est à 1 ou 2 ans de la retraite, sous forme de rente, jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de départ à la retraite.

Un coût sera associé à cette opération, supporté en partie par la compagnie. La compagnie sera probablement appelée à solliciter les pouvoirs publics pour l'autre partie du coût.

La masse salariale AH est de 25 milliards de DA/an en moyenne. Il découlera de cette opération une contraction substantielle de la masse salariale qui sera étalée sur 2 exercices.

8. Renégocier les contrats des prestations aéroportuaires, en demandant un effort aux fournisseurs de faire un geste pour la révision de leurs tarifs, et cela se justifie doublement par l'apport de la compagnie dans les revenus de ses fournisseurs (Air Algérie opérateur dominant sur certaines escales) et le contexte économique déprimant.

Air Algérie doit exercer une pression énorme sur les aéroports (plus disponibles à l'écoute, leur source provient des compagnies aériennes, une sorte de contribution pour le financement des compagnies aériennes) afin de réduire ses coûts, et sera à l'affût d'idées nouvelles pour élaborer des itinéraires et des incitatifs. Les aéroports seront tout aussi déterminés à attirer et à conserver des itinéraires. Il en découlera probablement de nouvelles formes de collaboration entre la Compagnie aérienne AH, les autres compagnies, les aéroports et les parties prenantes (les prestataires de service et assistance aéroports) dans les villes ou les destinations qu'ils desservent.

Redevances aéroportuaires : 18 424 millions de DA (2018)

Frais commerciaux et distribution : 6902 millions de DA (2018)

Des gisements importants de revenus résulteraient de ces négociations

9. Disposer d'une réelle gouvernance de niveau, faisant défaut actuellement

- Disposer d'une vision globale de la gestion d'une organisation en transport aérien;

- Connaître les grands enjeux;

- Habiliter à la mise en œuvre et à l'application des principes et des méthodes de gestion tant au plan de la logistique, des ressources humaines, du marketing qu'à celui de la gestion financière;

- Rendre apte à identifier les risques inhérents au secteur du transport aérien et à proposer des plans d'intervention;

- Maîtriser les modes de communication en situation de crise;

- Elargir les compétences relationnelles pour accompagner le changement, acteur principal de la stratégie sectorielle, et Air Algérie est appelée à adapter son offre aux préférences de sa clientèle dont la fidélité n'est pas toujours acquise, et aux restrictions imposées par la crise.

Reste à savoir comment le changement de paradigme dans la gouvernance des pouvoirs publics affectera sur le moyen terme la liberté d'agir de la compagnie, contexte oblige. La transformation de la compagnie sera profonde et les dommages en matière d'emploi seront probablement présents. Au-delà de l'aspect financier, la reprise des activités dans un nouvel environnement avec des conditions de travail bouleversées va nécessiter plus que jamais un dialogue social renforcé. La prise en compte et la reconsidération du dialogue social est indispensable à la réussite du projet de transformation d'Air Algérie.



*Docteur d'État en aéronautique

Consultant et Expert international en aviation civile

Membre de la Royal Aeronautical Society

Membre de British Institute of Management

Membre de Institution of Highways and Transportation

Membre de Chartered Institute of Transport