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Les déterminants du cours du pétrole et leurs impacts sur l'économie algérienne

par Par Abderrahmane Mebtoul*

Certes, le cours du pétrole est coté le 24 janvier 2022 à 12h GMT à 87,58 dollars pour le Brent et à 84,73 dollars pour le Wit, une hausse sans précédent depuis des années. La majorité des rapports internationaux montrent clairement que le cours du pétrole pourrait être élevé, entre 2022/2024, en fonction de l'offre et de la demande, avec un prix très modéré entre 2025/2030 du fait de l'inévitable transition énergétique avec l'accélération de l'hydrogène comme source d'énergie entre 2030/2040.

Cependant, attention à l'euphorie. Aucun pays du monde ne s'est développé grâce aux exportations de matières premières brutes mais grâce à la bonne gouvernance et la valorisation du savoir. Regardez le Venezuela, première réserve mondiale de pétrole avant l'Arabie Saoudite, une économie en récession ( interventions du professeur Abderrahmane Mebtoul : conférence devant le Parlement européen octobre 2013; Ecole supérieure de guerre, ministère de la Défense nationale mars 2019; conférence en juin 2019 à Marseille où il a présidé au nom de l'Algérie la Commission transition énergétique des 5+5 de la Méditerranée orientale + Allemagne et en juin 2020 conférence devant l'ensemble des attachés économiques et politiques des ambassades accrédités à Alger au siège de l'ambassade de l'Union européenne sur l'impact du cours des hydrocarbures sur l'économie algérienne et les relations Algérie/Europe).

1.- Quels sont les principaux déterminants du cours du pétrole ? Premièrement, outre la demande, le cours du pétrole est déterminé par les facteurs géopolitiques qui exercent une pression à la hausse au niveau du marché et la croissance de l'économie mondiale, notamment de la Chine et de l'Inde, croissance incertaine en fonction de la maîtrise de l'actuelle épidémie. Pour le gaz et le pétrole, le marché naturel de l'Algérie est l'Europe, étant impossible d'avoir des prix concurrentiels en Asie (coût de transport exorbitant devant contourner toute la corniche de l'Afrique avec la forte concurrence de pays proches de cette zone dont le Qatar, l'Iran, l'Irak récemment, la Russie a accru sa production et ouvert de nouveaux gisements en Sibérie avec le gazoduc Sibérie-Chine, témoignant d'une stratégie agressive qui d'ailleurs est le pays le plus concurrent dans le domaine du gaz pour l'Algérie dans l'approvisionnement en Europe.

Deuxièmement, du côté de l'offre, nous assistons à une hausse plus rapide que prévu de la production de pétrole (non conventionnel) des USA qui bouleverse toute la carte énergétique mondiale. Selon The Telegraph, les Etats-Unis devraient pénétrer fortement le marché mondial avec des quantités sans précédent de gaz naturel liquéfié (GNL). Troisièmement, la position de l'OPEP qui a adopté la prudence par une augmentation progressive de sa production. L'Arabie Saoudite avec la Russie et les USA, les trois plus grands producteurs mondiaux, est le seul pays producteur au monde actuellement qui est en mesure de peser sur l'offre mondiale, et donc sur les prix, tout dépend d'une entente entre les USA et l'Arabie Saoudite pour déterminer le prix plancher, encore que cette entente pourrait se déplacer dans un proche avenir avec une entente avec l'Iran.

Quatrièmement, la stratégie expansionniste russe dont le géant Gazprom, pour le gaz (45.000 milliards de mètres cubes gazeux de réserve) à travers le North Stream 1 et 2 (ce dernier en négociation) et le South Stream d'une capacité prévue de plus de 150 milliards de mètres cubes gazeux pour les trois canalisations pour approvisionner l'Europe, sans compter les nouvelles canalisations vers l'Asie. La Russie a besoin de financement, les tensions en Ukraine n'ayant en rien influé sur ses exportations en Europe où sa part de marché a été de 30%. Cinquièmement, du retour sur le marché de la Libye pouvant aller facilement vers 2 millions de barils/jour, de l'Irak avec 3,7 millions de barils jour (réservoir mondial à un coût de production inférieur à 20% par rapport à ses concurrents) pouvant aller vers plus de 8 millions/jour. Et surtout l'Iran si les accords récents se concrétisent ayant des réserves de 160 milliards de barils de pétrole lui permettant facilement d'exporter entre 4/5 millions de barils/jour. Sixièmement, les nouvelles découvertes dans le monde notamment en offshore en Méditerranée orientale (20.000 milliards de mètres cubes gazeux expliquant en partie les tensions au niveau de cette région) et en Afrique dont le Mozambique qui pourrait être le troisième réservoir d'or noir en Afrique et n'oublions pas l'important gisement en production du Kazakhstan. Septièmement, la transition énergétique où d'ici 2030-2035, les investissements prévus dans le cadre de la transition énergétique USA/Europe/Chine/Inde devraient dépasser les 4.000 milliards de dollars où les grosses compagnies devraient réorienter leurs investissements. Avec la nouvelle administration américaine, le retour aux accords de Paris COP21 sur le réchauffement climatique. Bien que le nouveau président dise ne pas vouloir interdire le développement du pétrole/gaz de schiste dont les USA sont le premier producteur mondial, s'engageant avec les nouvelles techniques à améliorer les effets de la fracturation hydraulique, le programme de Joe Biden prévoit 2.000 milliards de dollars sur les 20/30 prochaines années. La Commission européenne a fixé une trajectoire indicative pour la période 2021-2030, avec des points de référence, devant mobiliser au moins 1.000 milliards d'euros d'investissements durables. La Chine prévoit d'investir massivement dans les énergies renouvelables: pays leader, elle prévoit d'investir d'ici 2030 entre 375/400 milliards de dollars et l'Inde près de 190 milliards de dollars. Les USA/Europe représentent actuellement plus de 40% du PIB mondial pour une population inférieure à un milliard d'habitants. Et si les Chinois, les Indiens et les Africains avaient le même modèle de consommation énergétique que les USA et l'Europe, il faudrait cinq fois la planète actuelle. Septièmement, l'évolution des cotations du dollar et l'euro, toute hausse du dollar, bien que n'existant pas de corrélation linéaire, pouvant entraîner une baisse du prix du baril, ainsi que les stocks américains et souvent oubliés les stocks chinois.

2.-En ce mois de janvier 2022, les déterminants du cours du pétrole et du gaz (33% des recettes de Sonatrach, environ 35% GNL et 65% GN par canalisation) influent sur les équilibres macro-économiques et macro-sociaux de l'Algérie, y compris sa place dans les relations internationales. Les réserves en gaz naturel sont estimées entre 2.200 et 2.500 milliards de mètres cubes gazeux et environ 10 milliards de barils pour le pétrole (source APS 2020). Mais attention, le niveau des réserves se calcule en référence au coût et au vecteur prix international pouvant découvrir des milliers de gisements mais non rentables. Il s'agit de ne pas renouveler les erreurs du passé (voir notre interview au quotidien gouvernemental Horizondz du 24/01/2022), les axes stratégiques fondamentaux étant la transition énergétique et numérique (voir Le Quotidien d'Oran : la cybercriminalité, un danger pour la sécurité nationale). Pour l'année 2021, l'Algérie a peu profité des hausses de prix puisque il y a eu une chute en volume de près de 20/25% entre 2008/2021 et pour le gaz étant lié à des contrats à moyen et long terme, la révision éventuelle de certaines clauses des contrats demandant du temps. Selon le rapport de l'Opep, les exportations se situent à environ 500.000 barils/j pour le pétrole et pour le gaz les exportations environ 43/44 pour 2021.

La forte consommation intérieure, selon le ministère de l'Energie, risque de dépasser les 80% des exportations actuelles à l'horizon 2030, représentant pour certains produits énergétiques en 2021 plus de 50% des exportations. Cela rend urgent la publication des décrets d'application de la loi des hydrocarbures, ayant assisté à un net recul des IDE entre 2018/202, le ministère de l'Energie et des mines ayant signé surtout des lettres d'intention qui n'engagent nullement l'investisseur, expliquant que les promesses de bon nombre de projets n'ont pas encore été réalisées. Articulée autour de réformes institutionnelles, la relance économique en 2022 passe par une nouvelle stratégie articulée autour d'une autre organisation institutionnelle, loin de l'esprit rentier de distribution de portefeuilles ministériels, qui souvent se télescopent rendant incohérentes les actions alors que les objectifs sont complémentaires : un grand ministère d'Etat ou un Haut-commissariat à la planification stratégique sous l'autorité du président de la République, une unification des institutions de contrôle indépendantes, les organes sous l'égide de l'exécutif étant juge et partie, ne pouvant être impartiaux comme en témoignent les nombreux scandales d'anciens responsables au plus haut niveau de l'Etat, un grand ministère de l'Energie avec trois secrétaires d'Etat techniques, les énergies traditionnelles, les énergies renouvelables et l'environnement étant irrationnel l'existence de trois ministères, regrouper l'industrie, les PME/PME, Mines, et les Start-up, un grand ministère de l'Economie regroupant le commerce et les finances et au niveau local six à sept grands pôles économiques régionaux autour d'espaces relativement homogènes pour attirer les investisseurs. Car, cette hausse actuelle de court terme est bénéfique pour le pays, atténuant les tensions financières devant être utilisée à bon escient afin de diversifier l'économie nationale. Malgré d'importantes entrées en devises, entre 2000/2020, plus de 1.100 milliards de dollars pour une importation en devises d'environ 1.055 milliards de dollars sans compter les dépenses en dinars, les assainissements des entreprises publiques selon le Premier ministère ayant coûté au Trésor durant les trente dernières années environ 250 milliards de dollars et les différentes réévaluations durant seulement les dix dernières années plus de 65 milliards de dollars, l'Algérie reste une économie rentière.

Les recettes des hydrocarbures déterminent le niveau des réserves de change et comme dans tous les rentiers à plus de 70%, la cotation de la monnaie nationale. Les réserves de change sont passées de 194 milliards de dollars en janvier 2014 à 62 fin 2020 et 44 fin 2021 malgré toutes les restrictions ayant eu un impact inflationniste avec la dévaluation du dinar et le gel de bon nombre de projets dénoncé par le président de la République qui, avec de nouveaux projets, auraient donné un niveau de réserves de change plus bas, 90% des entreprises publiques et privées fonctionnant avec de la matière première importée. Car il faut toujours raisonner en dynamique, des projets à valeur ajoutée concurrentiels permettent à terme des économies et entrées de devises qui contrebalancent les sorties de devises à court terme, tout en créant de nombreux emplois productifs. Ainsi, le cours du dinar le 24 janvier 2022 est de 139,849 dinars un dollar et 158,421 dinars un euro avec un écart de plus de 50% sur le marché parallèle.

Selon les prévisions de l'exécutif, après une dévaluation de près de 88% entre 2010 fin 2021, (en 2010 74,31 dinars un dollar), le taux de change du dinar sera de 149,3 DA pour un dollar en 2022, de 156,8 DA/dollar en 2023 et 164,6 DA/dollar en 2024, soit une dévaluation entre 2022 et 2024 encore de 5,12%. Le risque de cette instabilité monétaire est de décourager tout investisseur en amplifiant la sphère informelle dont la masse monétaire hors banque selon la Banque d'Algérie dépasse les 6.100 milliards de dinars fin 2020, le président de la République ayant donné, en mars 2021, une fourchette entre 6.000 et 10.000 milliards de dinars. Selon le rapport du FMI de fin décembre 2021, les exportations ont atteint en 2021 les 37,1 milliards (32,6 pour les hydrocarbures et environ 4 milliards hors hydrocarbures) dont près de 2,5 milliards de dollars de dérivés d'hydrocarbures en prenant les estimations récentes du bilan de Sonatrach pour 2021 dont les recettes globales y compris les dérivés sont estimés à 34,5 milliards de dollars. Donc, il reste aux autres rubriques environ 1,5 milliard de dollars et si l'on tient compte des exportations de produits semi-finis à faible valeur ajoutée moins de 1 milliard de dollars pour les exportations hors hydrocarbures à fortes valeurs ajoutées et concurrentielles. Par ailleurs, globalement, pour avoir la balance devises nettes pour l'Algérie, il faudra soustraire les matières premières importées en devises et les exonérations fiscales. Ce dérapage du dinar permet d'atténuer le montant de ce déficit budgétaire car si on avait un dollar pour 100 dinars, le déficit budgétaire serait pour fin 2022 supérieur à 42 milliards de dollars. Malgré ces dépenses, la croissance a été dérisoire en moyenne annuelle de 2/3% entre 2000/2019, alors qu'elle aurait dû dépasser 9/10%, espérant 3,3% pour 2021 après une croissance négative de 6% selon la Banque mondiale et 4,9 négatif selon le FMI en 2020. Mais un taux de croissance se calcule par rapport à la période précédente; ainsi, 3% rapportés à un taux faible donnent cumulé par rapport à la période précédente, inférieur à la pression démographique, plus de 45 millions d'habitants au 1er janvier 2022, où il faut pour réduire les tensions sociales créer 350.000/400.000 emplois productifs par an qui s'ajoutent au taux de chômage qui selon le FMI, en 2021 serait de 14,1% et 14,7% en 2022 incluant les sureffectifs des administrations, entreprises publiques et l'emploi dans la sphère informelle entre 6.000 et 10.000 milliards de dinars, soit entre 44 et 73 milliards de dollars. Pour éviter des remous sociaux, la loi de finances 2022 prévoit près de 20% du budget de l'Etat, pour les subventions, dossier très complexe que le gouvernement a décidé de revoir, mais sans maîtrise du système d'information et la quantification de la sphère informelle, la réforme risque d'avoir des effets pervers.

En résumé, un langage de vérité s'impose sur la situation socioéconomique actuelle, devant éviter, comme par le passé, la fuite en avant. Lors d'une conférence devant le gouvernement en novembre 2014, j'avais attiré l'attention qu'il s'agissait pour comprendre les déterminants du cours du pétrole de raisonner sur le moyen et long terme afin d'éviter d'induire en erreur les hautes autorités du pays. Certains experts, lors de cette conférence, avaient prédit un cours de plus de 100 dollars entre 2015/2019, erreur d'appréciation et de prévision que certains veulent reconduire en 2022, qui a conduit le pays à l'impasse que nous connaissons depuis. Dans le domaine énergétique et informationnel, le monde devrait connaître entre 2022/2025/ 2030/2040, un profond bouleversement et donc du pouvoir économique mondial, le numérique et l'énergie étant au cœur de la sécurité des Nations (interviews- Pr A. Mebtoul AfricaPresse Paris, American Herald Tribune et Afrik Economy 2019//2020). Aussi, les changements économiques survenus depuis quelques années ainsi que ceux qui sont appelés à se produire dans un proche avenir, doivent nécessairement trouver leur traduction dans des changements d'ordre systémique destinés à les prendre en charge et à organiser leur insertion dans un ordre social qui est lui-même en devenir.

*Professeur des universités - Expert international - (Directeur d'études ministère Energie Sonatrach 1974-1979-1990-1995- 2000-2007-2013/2015-membre de plusieurs organisations internationales