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Rapport du gouverneur de la Banque d'Algérie - 2022 : relance économique ou régression sociale

par Abderrahmane Mebtoul*

La sécurité nationale s'impose un discours de vérité. L'année 2022 est une année charnière, pour l'Algérie, c'est la dernière chance pour redresser l'économie afin d'éviter la régression sociale qui aurait un impact à la fois sécuritaire et sur les relations internationales, d'où l'importance d'une nouvelle gouvernance et d'une mobilisation générale, il y va de la survie de la Nation.

1.-Selon la Banque d'Algérie dans son rapport de décembre 2021, le déficit de la balance commerciale est passé de 10,504 milliards de dollars à fin septembre 2020 à 1,571 milliard de dollars à fin septembre 2021, ce qui donnerait à la même tendance fin 2021, environ 2,1 milliards de dollars. Ce recul du déficit est dû principalement à la forte hausse du prix du pétrole où, au cours des neuf premiers mois de 2021, le prix moyen a enregistré une hausse de 66,6%, passant de 41,365 dollars/baril, au cours de la même période de l'année écoulée, à 68,917 dollars/baril (les quantités d'hydrocarbures exportées exprimées en Tonne Equivalent Pétrole (TEP), ayant augmenté de 20,9%) permettant de dynamiser les exportations qui sont estimées 26,402 milliards de dollars donnant en tendance fin 2021 35,02 milliards de dollars. La valeur totale des exportations des hydrocarbures est évaluée à 23,387 milliards à fin septembre 2021, ce qui donnerait avec la même tendance fin 2021, 31,1888 milliards de dollars y compris les dérivés. La balance commerciale a une signification limitée devant prendre en compte la balance des paiements qui inclut les services et les mouvements de capitaux. Ainsi, les exportations de services ont connu une stagnation estimée à 2,300 milliards de dollars à fin septembre 2021 et les importations de services ayant enregistré un niveau de 5,015 milliards de dollars à fin septembre 2021, ce qui donnerait avec la même tendance fin 2021, 6 ,696 milliards de dollars accusant une forte baisse par rapport aux années 2010/2019 où les transferts de devises fluctuant entre 10/11 milliards de dollars. Le déficit du solde du compte courant est estimé à 5,543 milliards de dollars à fin septembre 2021 donnant en tendance, 7.392 milliards de dollars, avec un solde du compte capital et des opérations financières affiche, à fin septembre 2021, un excédent de 3,104 milliards de dollars soit en tendance annuelle 4,4140 milliards de dollars ayant un impact sur le solde de la balance des paiements. Le solde du compte capital et des opérations financières affiche, à fin septembre 2021, un excédent de 3,104 milliards de dollars. Au total, les exportations de biens et services ont atteint 28,702 milliards de dollars au cours des neuf premiers mois de 2021, ce qui donnerait en tendance annuelle 38,280 milliards de dollars et en incluant les services, le total des importations de biens et de services est passé de 32,388 milliards de dollars à fin septembre 2020 à 32,988 milliards de dollars au cours de la période, ce qui donnerait en tendance annuelle 43,992 milliards de dollars de sorties de devises pour fin 2021.

2.-Selon le gouverneur de la Banque d'Algérie en date du 21/12/2021, les réserves de change, ont atteint 44,724 milliards de dollars à fin septembre 2021 et y compris les réserves d'or (173 tonnes), environ 11 milliards de dollars, sont de 55 milliards de dollars au 30/09/2021. Les réserves de change, dans l'hypothèse du même scénario que les neuf premiers mois de 2021, diminuerait de 6,784 milliards de dollars par rapport à 2020 (48 milliards de dollars) donc fin 2021, nous aurons entre 41/42 milliards de dollars non compris l'or et environ 52/53 milliards de dollars y compris l'or. L'Algérie doit profiter de cette modeste manne des réserves de change, richesse virtuelle qu'il s'agit de transformer en richesse réelle. Attention à l'euphorie, c'est comme un ménage s'il restreint sa consommation, il fait des économies mais avec des risques de maladies dont l'inflation et le chômage sont les signes apparents du corps social, la Banque d'Algérie donnant en octobre 2021, un taux d'inflation de 9,2% et avec cette trajectoire pouvant avoir un taux à deux chiffres en 2022. Le niveau d'inflation est le résultat de la restriction des importations, qui a paralysé tout l'appareil de production, le dernier feuilleton étant la poudre de lait, restriction qui vient d'être levée, contribuant à accélérer le processus inflationniste, le prix des voitures d'occasion ainsi les pièces détachées avec la pénurie ayant connu une hausse variant selon les catégories entre 50 et 100%, en plus des accidents de voitures, laminant le pouvoir d'achat des camionneurs, des taxieurs et des consommateurs, de la dévaluation du dinar, la faiblesse de l'offre et des émissions monétaires sans contreparties productives, la masse monétaire ayant enregistré une croissance de 12,79% durant les dix premiers mois de l'année en cours 2021. Du fait que plus de 85% des matières premières sont importées, le taux d'intégration faible, tant pour les entreprises publiques et privées, sans compter l'assistance technique étrangère, avec la dévaluation du dinar entre 2022 et 2024, l'inflation sera de longue durée. Comme conséquence de ce processus inflationniste, l'extension des rentes spéculatives avec l'amplification de la sphère informelle et la nécessité de relever d'au moins deux à trois points le taux directeur des banques afin d'éviter leur faillite, freinant par ricochet l'investisseur productif dont la rentabilité est à moyen et long terme. Le PLF 2022 prévoit 149,3 DA pour un dollar 2022, 156,8 DA/dollar en 2023 et 164,6 DA/dollar en 2024, la cotation officielle avec un écart de plus de 50% sur le marché parallèle, (entre 213/215 dinars un euro cours achat/vente) du dinar étant le 23/12/2021 de 138,8054 dinars un dollar et 157,1277 dinars un euro. Ce dérapage du dinar permet d'atténuer le montant de ce déficit budgétaire car si on avait un dollar à 100 dinars, il faudrait pondérer à la hausse d'au moins 37% le déficit budgétaire serait pour fin 2022 supérieur à 42 milliards de dollars. Pour plus d'objectivité, quant au niveau des réserves de change, l'on doit tenir compte du nombre de projets bloqués dont la réalisation aurait donné un déficit de la balance commerciale fin 2021 plus important. Le président de la République a annoncé la levée du gel de 57 projets sur les 402 projets d'investissement suspendus pour des raisons administratives. Il ne faut jamais en économie raisonner en statique mais toujours en dynamique devant prendre en compte la restriction drastique des importations des entreprises dont le taux d'intégration en 2021 ne dépasse pas 15%, ayant assisté à une paralysie de l'appareil de production en 2021, uniquement dans le BTPH plus de 150.000 licenciements. Si on avait mis en œuvre les 402 projets bloqués, et en prenant en moyenne une sortie de devises pour des projets PMI/PME concurrentiels au niveau du marché mondial, le Premier ministère parle d'un montant d'environ 90 milliards de dollars dont une partie importante en devises avec seulement de 50/70 millions de dollars pour la partie devises, sans compter la partie dinars, et les projets hautement capitalistiques qui fluctuent entre les 2/4 milliards de dollars, auraient été pour les 402 projets entre 20 milliards et 28 milliards de dollars entre 2020/2021, ce qui donnerait fin 2021 entre 13 et 20 milliards de dollars de réserves de change. Quel sera l'impact sur le niveau des réserves de change pour 2022 où selon le gouvernement, il y aura relance de tous ces projets bloqués avec une part importante de sorties de devises, ainsi que de nouveaux projets afin d'éviter de vives tensions sociales sans un afflux conséquent des investisseurs étrangers en nette baisse entre 2019/2021 ? Et ce, sans parler de cet interminable feuilleton du dossier des voitures depuis 2019, où l'objectif a été dès le départ d'économiser les réserves de change, le besoin annuel étant selon les experts à environ 250.000 unités/an, environ 2,5 milliards de dollars/an, ayant permis donc d'économiser 5 milliards de dollars entre 2020/2021. On évoque actuellement la nationalisation des unités des oligarques. Attention de ne pas renouveler les erreurs du passé, puisque selon les données du Premier ministère, des coûts d'assainissement durant les trente dernières années ont coûté au Trésor public environ 250 milliards de dollars et durant les 10 dernières années, selon les fluctuations du taux de change, les réévaluations environ 60/65 milliards de dollars.

3.-Le PLF 2022 prévoit une croissance de 3,3% contre 3,4% en 2021 et moins 6% en 2020, taux de croissance faible par rapport à TO donne une croissance faible. Il faudra être réaliste si on prend un exemple, sans compter le grand projet de Cherchell dont le coût est estimé entre 5/6 milliards de dollars, des projets du fer de Gara Djebilet et du phosphate de Tébessa commencent leur production en 2022, l'investissement de ces deux projets étant estimé à environ 15 milliards de dollars ainsi que le projet du gazoduc Nigeria/Algérie dont le coût est estimé par l'Europe à 20 milliards de dollars, le seuil de rentabilité sera vers 2027/2030. Malgré le dérapage du dinar pour ne pas dire dévaluation de 5 dinars vers les années 1970/1973 de 80 dollars entre 2000/2004 et actuellement entre 138/139 dinars un dollar, cela n'a pas permis de dynamiser les exportations hors hydrocarbures montrant que le bocage est d'ordre systémique avec la dominance du terrorisme bureaucratique qui bloque les énergies créatrices. Les exportations de biens hors hydrocarbures ont atteint 3,015 milliards soit en tendance fin 2021, environ 4 milliards de dollars. Cependant, le bilan officiel de Sonatrach 2020 donne 2 milliards de dollars des dérivés d'hydrocarbures avec une perspective de plus de 2,5 pour 2021 et si l'on ajoute les semi-produits, le montant dépasse les 3 milliards de dollars restants aux produits à valeur ajoutée concurrentiel moins de 1 milliard de dollars fin 2021.

C'est que le ministère du Commerce pour plus d'objectivité ne doit pas donner que la valeur, certains produits comme les engrais ayant connu une hausse entre 30/40% sur le marché mondial en 2021, mais également le volume exporté (kg, tonne, etc.) afin de voir s'il y a eu une réelle dynamique d'exportation de certaines entreprises, dresser la balance devises en soustrayant les matières importées en devises, ainsi que les exonérations fiscales et certaines subventions comme le prix de cession du gaz cédé à 10/20% de la cotation sur le marché international pour certaines unités exportatrices fortes consommatrices de gaz. En réalité, avec les dérivés d'hydrocarbures les recettes en devises pour 2021 représentent entre 97/98% où en ce mois de décembre 2021, Sonatrach c'est l'Algérie et l'Algérie c'est Sonatrach. Comment ne pas rappeler que l'Algérie a engrangé plus de 1.000 milliards de dollars en devises entre 2000/2019, avec une importation de biens et services toujours en devises de plus de 935 milliards de dollars pour un taux de croissance dérisoire de 2/3% en moyenne alors qu'il aurait dû être entre 9/10%. Avec la forte pression démographique souvent oubliée, 8/9% de taux de croissance par an sur 5 années (pas les emplois dans la fonction publique) pour absorber le flux additionnel entre 350.000/400.000 emplois par an an qui s'ajoute au taux de chômage actuel. Un taux de croissance se calcule par rapport à la période précédente : un taux élevé en T1 par rapport à un taux faible en TO donne un taux relativement faible. Le déficit budgétaire prévu est d'environ 4.175 milliards de dinars au cours de 137 dinars un dollar, au moment de l'élaboration de la loi, soit 30,50 milliards de dollars, 8 milliards de dollars de plus qu'en 2021. L'Algérie selon le FMI fonctionne en rendant urgent une rationalisation des choix budgétaires et l'accélération des réformes en berne malgré des discours, entre le budget de fonctionnement et d'équipement, a plus de 137 dollars en 2021 et à plus de 150 pour 2022. Le faible taux de croissance influe sur le taux de chômage, qui, selon le FMI, en 2021 serait de 14,1% et 14,7% en 2022 (plus de 30% pour la catégorie 20/30 ans) incluant les sureffectifs des administrations, entreprises publiques et l'emploi dans la sphère informelle qui contribue à 50-60% au PIB en échappant à toute traçabilité, comptabilité ou fiscalité, canalisant selon le président de la République entre 6.000 et 10.000 milliards de dinars, soit entre 44 et 73 milliards de dollars. Pour éviter des remous sociaux, le PLF 2022 prévoit pour les subventions plus de 14 milliards de dollars au cours de 138 dinars un dollar, représentant 19,7% du budget de l'Etat. C'est un dossier très complexe. Mais sans maîtrise du système d'information et la quantification de la sphère informelle, qui permet la consolidation de revenus non déclarés, en temps réel, la réforme risque d'avoir des effets pervers.

En conclusion, la puissance des relations internationales en ce XXIème siècle est fonction du poids économique et la Chine en est la démonstration. En réalité, le rapport du gouverneur de la Banque d'Algérie montre clairement qu'en ce mois de décembre 2021, Sonatrach c'est l'Algérie et l'Algérie c'est Sonatrach. Au moment où se dessinent d'importants bouleversements géostratégiques mondiaux, devant éviter le mythe bureaucratique de croire que l'on peut développer le pays à partir de lois, les défis de l'Algérie, pays à fortes potentialités, impliquent de définir les priorités stratégiques afin de mettre en œuvre la bonne gouvernance et les réformes structurelles nécessaires devant concilier la concertation, l'efficacité économique au sein d'une économie ouverte.

*Professeur des universités, expert international