Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

USA: craintes injustifiées d'une catastrophe budgétaire

par Barry Eichengreen*

BERKELEY - En approuvant le projet de loi de 1000 milliards de dollars consacré aux infrastructures, le Congrès américain vient de faire une avancée importante vers la mise en œuvre du programme budgétaire du président Biden. Mais que va-t-il advenir de son deuxième projet, le programme de 1750 milliards de dollars destiné aux dépenses sociales et à la lutte contre le réchauffement climatique ? Dans sa sagesse non partisane, le Bureau du budget du Congrès (CBO, Congressional Budget Office) va-t-il accepter qu'il soit entièrement financé par des impôts supplémentaires et d'autres prélèvements, ainsi que le souhaitent de toute évidence les démocrates modérés.

D''une certaine manière, c'est le débat dont le pays a besoin. C'est fondamentalement un débat sur le type de société que les USA devraient être, et sur le rôle de l'Etat. Ce dernier doit-il lutter contre les inégalités et mieux financer la garde des enfants, car cela permet aux femmes de travailler et à leurs enfants de se développer dans de bonnes conditions, notamment dans les milieux défavorisés ? Ou bien, comme certains le demandent, devrait-il s'en abstenir, parce que confier les enfants à l'extérieur du foyer affaiblirait les liens familiaux ?

De même, pour lutter contre le changement climatique, l'Etat fédéral doit-il investir dans un réseau de bornes de recharge pour véhicules électriques, tout comme il a investi dans le réseau autoroutier interétatique ? Ou bien s'agit-il d'un problème qui peut être laissé au marché, malgré l'effet de réseau [phénomène par lequel l'intérêt d'une technique dépend du nombre de ses utilisateurs] ?

Les récents débats nous rappellent que l'accord sur l'opportunité de tels programmes est loin d'être totale. Mais il devrait au moins y avoir accord sur la meilleure façon de les financer. Or le débat a déraillé en raison de craintes injustifiées d'une catastrophe budgétaire.

Les républicains et les démocrates dits modérés insistent sur le fait que les infrastructures physiques et les infrastructures sociales ne devraient pas être financées par le déficit. Après avoir déboursé des milliers de milliards de dollars pour venir en aide aux victimes de la pandémie, les USA ont déjà des déficits béants et des dettes écrasantes. De l'avis des opposants à de nouvelles dépenses, ils ne peuvent pas se permettre d'en faire plus.

Cet argument ne tient pas compte du fait que le débat porte sur l'investissement public, et pas exclusivement sur l'aide aux ménages et la consommation grand public. Les investissements publics productifs sont rentables s'ils font croître le PIB.

C'est le cas le plus évident des infrastructures physiques qui facilitent le déchargement des conteneurs, leur acheminement par camion vers les entrepôts et la distribution de leur contenu, permettant ainsi aux producteurs d'accroître l'efficacité des chaînes d'approvisionnement mondiales.

De meilleures infrastructures augmentent le PIB, ce qui se traduit par davantage de recettes fiscales pour le service de la dette et son remboursement.

Cette remarque s'applique également aux investissements dans les infrastructures sociales : l'éducation préscolaire et le droit à la formation tout au long de la vie améliorent la productivité des travailleurs. Elle s'applique aussi aux investissements consacrés à la lutte contre le réchauffement climatique, dans la mesure où ces dépenses permettent d'éviter les événements météorologiques destructeurs qui entraînent une diminution du PIB.

Le débat sur ces programmes a tendance à s'articuler autour de valeurs. Mais il devrait également porter sur le taux de rendement et sur les investissements qui s'autofinancent. Les pays européens, dont l'Allemagne, mènent cette discussion.

La raison pour laquelle les USA ne le font pas relève du mystère. En réalité, c'est peut-être un signe supplémentaire de la difficulté d'avoir un débat rationnel et informé au Congrès - quel que soit le sujet.

Mais une augmentation des dépenses financées par le déficit ne créerait-elle pas une demande excessive, aggravant ainsi une inflation qui devient inquiétante ? De nombreux programmes qui alimentent le déficit vont s'achever à la fin de l'année. Selon le CBO, le ratio déficit/PIB diminuera de 13,4 % cette année à 4,7 % l'année prochaine.

Il s'agit d'une dérive budgétaire d'importance alarmante. Tout le monde a le regard fixé sur l'inflation et sur la Réserve fédérale, mais compte tenu des 9 % du PIB que le gouvernement consacre au plan Biden, on devrait peut-être se demander quels sont les secteurs qui ne seront pas financés.

La dette ne devient-elle pas incontrôlable ? Ayant dépassé les 100% du PIB, elle atteint un niveau sans précédent. Pourtant, le service de la dette en pourcentage du PIB n'a pratiquement pas bougé depuis le début du siècle, car les taux d'intérêt sont aujourd'hui trois fois moins élevés qu'à ce moment là. Sur la base de la législation actuelle, le CBO prévoit que le ratio dette publique/PIB diminuera entre 2022 et 2024, à mesure que l'économie se développera et que les taux d'intérêt n'augmenteront que modestement.

Tenez-vous bien : les projections du CBO montrent que le ratio dette publique/PIB passera de 102,7 % cette année à 102,6 % à la fin de la décennie. En d'autres termes, il n'y a pas de crise immédiate de viabilité de la dette.

Un gouvernement avisé fait un budget qui prenne en compte l'inattendu. Un choc énergétique ou géopolitique pourrait déclancher une récession ; il pourrait y avoir une nouvelle pandémie. Les taux d'intérêt pourraient grimper plus vite que prévu. Cela c'est déjà vu. Lors d'une crise, un gouvernement peut légitimement emprunter pour financer des dépenses essentielles. Et une fois la crise passée, il lui faut retrouver sa capacité d'emprunt, de manière à pouvoir disposer des mêmes ressources budgétaires lors de la prochaine crise.

Le défi pour les USA consiste à procéder par étapes, de manière à ce que la consolidation des finances publiques n'aggrave pas la dérive budgétaire existante. Autrement dit, il ne faut pas sacrifier des investissements publics productifs plus que rentables.



Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz

*Professeur d'économie à l'université de Californie à Berkeley. Il a écrit de nombreux livres, dont le dernier, In Defense of Public Debt, va paraître prochainement.