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L’agflation, encore et toujours

par Akram Belkaïd, Paris

Une météo capricieuse, une pandémie qui entrave les échanges internationaux et la circulation des travailleurs, des marchés que personne n’arrive à réguler : ce cocktail est à l’origine de l’une des plus importantes hausses des prix alimentaires. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le coût du panier de base est au plus haut depuis juillet 2011. En un an, il a même augmenté de 31%. On s’en doute, cette inflation est une source d’inquiétude pour nombre de pays importateurs dont fait partie l’Algérie.
 
Récoltes décevantes
 
Dans le détail, le blé tendre (utilisé pour le pain) et dur (utilisé pour les pâtes), l’huile de palme, le sucre et les produits laitiers sont les plus concernés par cette hausse avec parfois des pics à 63% pour le blé dur. Les mauvaises récoltes dans de nombreux pays céréaliers expliquent cette situation. En 2020, le Canada, la Russie et les États-Unis ont enregistré des productions inférieures à leur moyenne décennale. La bonne nouvelle, néanmoins, c’est que le crû 2021 sera totalement différent avec de meilleures récoltes, ce qui devrait pousser les prix à la baisse.
 
L’autre raison est la pandémie de Covid-19. Confinements successifs, hausse de la mortalité chez les paysans, absence de vaccination dans certains pays, tout cela a affecté à la fois la production alimentaire mais aussi les circuits de distribution et de commercialisation. En Malaisie, l’absence de travailleurs migrants due aux restrictions sanitaires a affecté la production d’huile de palme dont les prix ont augmenté de 20% depuis l’été. Dans ce cas précis, la perspective de nouvelles vagues de la pandémie ne devrait pas arranger les choses. Autrement dit, les pays producteurs qui disposent d’une main-d’œuvre locale conséquente ou alors d’une mécanisation avancée, comme c’est le cas aux États-Unis, s’en tirent mieux que les pays qui font appel à des saisonniers étrangers.
 
Comme c’est souvent le cas dans une situation haussière, le rôle des marchés financiers n’est pas à négliger. On sait que beaucoup d’argent circule en ce moment dans ces places en raison des politiques de taux faibles menées par les Banques centrales. Et cet argent est investi dans ce qui peut rapporter plus que de simples obligations. Sur les marchés à terme spécialisés dans les matières premières alimentaires, l’activité est en hausse sensible depuis plus d’un an, signe que les fonds d’investissement sont actifs. On se souvient qu’ils avaient largement contribué à l’agflation de la fin des années 2000 (1).
 
Famine en hausse
 
Quoi qu’il en soit, cette hausse est une très mauvaise nouvelle pour les pays en situation de fragilité. Le Programme alimentaire mondial (PAM) en dénombre 43 et tire la sonnette d’alarme. En 2021, 45 millions de personnes sont menacées par la famine (43 millions en 2020 et 27 millions en 2019). Un chiffre qui doit autant à la crise sanitaire et aux mauvaises récoltes qu’à la crise en Afghanistan où 8,5 millions de personnes sont désormais exposées à la famine en l’absence d’aide internationale. A bien des égards, l’année 2021 semble être un indicateur de ce que risque d’affronter l’humanité dans les décennies à venir : la combinaison tragique des conséquences agricoles d’une mauvaise météo couplée à des crises géopolitiques et sanitaires.
 
(1) Lire les chroniques économiques dans Le Quotidien d’Oran : « Aglfation » (27 février 2008) et « Agflation, le retour » (21 mai 2013).