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Modération des inondations et de la sécheresse : s'initier à la résilience

par Ben Amara El Habib*

«Vous devez planter la pluie avant de planter une graine ou un arbre !»

Les inondations continuent à faire des dégâts dans certaines villes du pays, tandis que d'autres régions connaissent une sécheresse désespérante, si bien que le changement climatique dû au réchauffement de la planète ait joué un rôle contributif, il est possible de répondre efficacement à cet état de fait, à condition d'intégrer les résultats des recherches scientifiques en la matière. On nous dit que «rien d'autres ne peut être fait de plus que ce que l'on a déjà fait pour empêcher les inondations; et que des infrastructures plus lourdes et d'énormes investissements seront nécessaires pour atténuer les inondations futures, mais avec la crise, il faut attendre». L'on parle toujours d'avaloirs et de drainage des eaux de pluie, au loin vers les exutoires, vers la mer, ou les déserts. Alors qu'il est plus simple de les récupérer, et d'en profiter pour plusieurs usages, tout en amortissant tout risque d'inondation, de perte ou de pénurie d'eau après coup.

Il est plus simple : il faut dire que la simplicité est ce qu'il y a de plus difficile. Imaginez le temps qu'il a fallu à nos grandes mères lors du ménage quotidien, pour passer du ballai par des tiges ou palmes, accroupies, au pas de canard, vers l'utilisation du manche, et pourtant ça parait simple : des siècles.

Brad Lancaster, un des pionniers de la récupération des eaux pluviales à Tucson-Arizona, USA, lui même disciple de Zephaniah Phiri Maseko du Zimbabwe - maître en la matière - et à qui il avait rendu visite plusieurs fois, disait que sur trente ans d'expérience pratique de récupération des eaux pluviales, - dans sa maison, puis dans son voisinage, avant de sensibiliser petit à petit son quartier puis sa ville, et enfin en rédigeant deux livres sur «Rain Harvesting for Dryland and Beyond » bestsellers internationaux -, il lui a fallu dix ans pour trouver l'idée de trouer la bordure de trottoir pour drainer les eaux de ruissellement, de la voie publique, vers un bassin planté, spécialement conçu, au volume dimensionné, pour recevoir les eaux de pluies.

Le credo du mentor Zephaniah Phiri Maseko; conservationniste lauréat du prix National Geographic Society/Buffett pour le leadership en conservation de l'eau en 2006; était «Vous devez planter la pluie avant de planter une graine ou un arbre ! ». Il enseignait aux pèlerins qui venaient du monde entier voir ses exploits dans sa ferme au Zimbabwe des principes qui paraissent simples, et pourtant...

Dans notre pays les responsables préoccupés de résoudre les problèmes qui tracassent le quotidien - manque d'eau, manque de fruits et légumes, sécheresse, désertification - ont grand intérêt à s'inspirer des expériences entamées depuis des décennies, en matière de récupération des eaux de pluie, de restauration des sols et d'agroforesterie, par des pays comme le Kenya, le Rwanda, le Zimbabwe, le Burkina Faso et l' Éthiopie, et surtout le projet iconique de régénération de Loess Plateau en Chine, celui-ci bien documenté et universellement diffusé par John D.Lui, ou bien encore l'agréable entreprise de revitalisation du bassin versant aride d'El Bayadha en Arabie Saoudite par l'américain Neal Spackman, ou encore l'application des principes de permaculture par l'australien Geoff Lawton dans une ferme en Jordanie; dans le cadre d'une opération remarquable de renom, baptisée «greening the desert». Ceux-là étant les plus célèbres, les projets sont légion dans le monde et les réussites spectaculaires. Combien devrait-on attendre pour qu'un des décideurs suffisamment inspiré en initie l'application dans les vastes étendues du pays, sujets à la désertification?

Pour dire que l'idée de récupérer les eaux de pluie, aussi simple et évidente qu'elle puisse paraître, n'est pas toujours à l'ordre du jour, ni dans les discours électoraux, ni dans les cursus d'enseignement, ni même envisagée dans les plans d'urbanisme ou d'aménagement futurs qui s'étalent sur le territoire, que les médias qualifient pompeusement de continent. Il est peut-être temps de freiner les envolées lyriques des promesses et des espérances et se mettre au diapason des solutions préconisées par les scientifiques. En optant pour une vision globale et intégrante de gestion durable de l'eau au détriment des actions ponctuelles, caractéristique du mode de gestion actuel des affaires de la cité; et incluant les différents secteurs, des services agricoles, de l'environnement, des ressources hydriques, des forêts, de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, mais aussi de l'enseignement supérieur, de l'éducation et de la culture, pour une mise à jour des connaissances et une mobilisation des énergies.

La situation n'est pas satisfaisante: la désertification fait des ravages, notre terre ne produit pas assez, notre bétail a soif et a faim aussi, et nos compatriotes inquiets, des prix des produits alimentaires devenus inaccessibles pour beaucoup. Nous subissons les inondations et découvrons qu'elles sont synonymes de sécheresse, puisque les sols sont dégradés par les érosions et les ravinements, les barrages sont remplies de vase, les canalisations d'eaux usées saturées débordent, le tout va vers la mer ou les déserts, avec ses pollutions et ses dégâts.

Oui nous admettons que le réchauffement climatique provoque les phénomènes météorologiques violents et extrêmes; comment alors y faire face et réduire ses impacts sur l'agriculture, l'approvisionnement en eau, et la pollution, etc. Il nous faut évoluer et nous adapter pour faire face à ces changements rapides.

C'est le phénomène de résilience, à savoir la capacité pour nous de résister et de retrouver nos capacités initiales après les diverses altérations. La résilience se développe en mettant en place de nouvelles techniques qui répondent aux besoins tout en respectant l'environnement.

Le nouveau paradigme de l'eau : pour restaurer le climat

Nous présentons des idées d'actions exemplaires initiées dans le monde, largement appliquées, qui contribuent à préserver la ressource en eau sur le territoire, en limitant les inondations et son corollaire la sécheresse.

Ces actions se basent sur le rétablissement de l'équilibre des cycles hydrologiques de l'eau. Comprendre le cycle de l'eau et les nombreux phénomènes qui lient la ressource en eau et le climat, nous amène à une vision nouvelle, où l'eau est un bien vital pour l'Homme, les êtres vivants et l'équilibre des écosystèmes.

Ces solutions se basent sur les travaux scientifiques, développés en 2007, devenus entre-temps célèbres d'un groupe de recherches slovaques : M. Kravèík, J. Pokorný, J. Kohutiar, M. Kováè, E. Tóth. Leur bestseller « Water for the recovery of the climate - A new water paradigm » est venu recentrer la question de l'eau au centre du débat sur le changement climatique. Ils ne pensent plus à celui-ci, seulement en termes de CO2, mais définissent l'eau comme à la fois un facteur de changement et une ressource impactée par ce même changement climatique. Au lieu de se poser la question de l'effet du changement climatique sur l'eau, ils posent la question, sur la base de leur expérience, des effets des modifications du cycle de l'eau sur le climat.

Ces chercheurs ont vulgarisé les solutions prouvant que le changement climatique n'est pas une fatalité et qu'il est possible d'agir localement sur l'eau pour s'y adapter et réduire ses effets.

L'eau un trésor à préserver, capable de régénérer les terres endommagées, à condition de la ralentir et la laisser s'infiltrer, une fois tombée en pluie: voilà le principe cardinal.

Contrairement à une idée préconçue, loin d'évacuer l'eau de pluie, il faut la retenir sur place, elle recréera un écosystème : des arbres, des ombres, donc diminution de températures, une séquestration de carbone, des évapotranspirations, des plantes, et des sols plus humides, plus riches, donc plus productifs.

La clé de voûte de cet engineering est l'eau; arrêter de la dissiper dans le néant était leur leitmotiv, et l'est toujours, puisqu'ils pilotent plusieurs projets de conservation des eaux et de régénération des sols dans le monde notamment en Amérique Latine.

Michal Kravèík a expliqué comment ils avaient proposé un programme national pour corriger les effets des aménagements de la période passée, qui se traduisaient par des périodes de sécheresse, suivies d'inondations : le moyen, c'est redonner à la terre sa capacité de stocker de l'eau, qu'elle avait perdue avec l'augmentation du ruissellement dû à l'urbanisation croissante, aux multiples aménagements caractérisés par l'imperméabilisation tous azimuts des surfaces. D'autres facteurs des dégradations causes et effets du duo sécheresse-inondations sont : l'agriculture productiviste, les écoulements - ruissellements, les érosions des sols des campagnes sans couverture arborée de défense et les ravinements importants dans les champs dépourvus de protections.

Ce qui change avec l'urbanisation croissante, et l'agriculture actuelle, expliquent-ils, c'est la diminution des quantités d'eau qui s'infiltrent dans la terre et l'augmentation de celles qui ruissellent. La terre est de moins en moins saturée en eau, elle est plus sèche, les forêts et les arbres diminuent: ce sont les prémices de la désertification, et de la sécheresse.

Ces chercheurs distinguent le petit cycle de l'eau, qui se traduit par l'évaporation qui retombe en pluie localement, s'infiltre dans le sol puis s'évapore à nouveau, après avoir contribué à la croissance des végétaux, et le grand cycle de l'eau, dans lequel le ruissellement conduit l'eau de pluie vers les rivières, puis vers la mer, où elle s'évapore puis retourne vers les continents dans les nuages qui donnent à nouveau des pluies. L'urbanisation contribue beaucoup au développement de ce grand cycle, au détriment du petit cycle. Les eaux des toitures et des rues imperméabilisées sont conduites aux stations d'épuration, quant elles existent, puis vont aux rivières et à la mer. Les forêts, avec l'évapotranspiration des arbres, sont des lieux plus frais. Elles jouent un rôle régulateur pour le climat, de même que les zones humides, les étangs.

Dans les villes, où tout a été fait pour conduire la quasi-totalité de l'eau de pluie aux égouts, la régulation de la température par l'évaporation ou par la végétation ne se produit pas. Elles deviennent des îlots chauds, avec une température souvent plus haute que dans les campagnes voisines. Les villes, où la chaleur du soleil est diffusée par le sol sec, sont au contraire des îlots chauds, avec une température plus élevée. Les champs ou fermes, dénudés d'arbres, le sont aussi, dans une moindre mesure. Ces îlots chauds modifient le régime des vents et influencent négativement sur la formation des nuages pluvieux.

Les réponses données à l'augmentation des températures est la multiplication des climatiseurs dans les habitations et édifices publics; ce qui au-delà de l'augmentation de la consommation d'énergie électrique, qui ne se fait pas trop sentir dans un pays pétrolier comme le nôtre, fait monter encore le mercure exponentiellement puisque ces appareils rejettent leur chaleur dans les rues bitumées, déjà surchauffées.

L'avant-goût de l'enfer se vit dans nos villes du Sud, chaque été, et ils sont tellement long ces saisons. Pourtant des arbres auraient joué le rôle de paravent, mais nous avons la malédiction de subir les bricolages et les laisser-aller de ceux qui détestent les arbres, qui les taillent au printemps, pour la torture générale de l'été : pas l'ombre d'une ombre; et quand ces respectables illuminés, aux rênes de nos cités et villages, en plantent, ce sont des espèces non adaptées au climat aride (olivier), sans feuillage (palmier), au encore des plantes qui demandent beaucoup d'eau (laurier rose). Quand ils en plantent dans des placettes, personne ne sera là pour les arroser, par manque d'eau, même les eaux des rares pluies y sont drainées vers des avaloirs reliés au système d'égouts, et que le niveau des espaces verts y est toujours surélevé, alors on opte pour le tartan, c'est vert, non?... Que des aberrations coûteuses.

Ces thèses, basées sur l'expérience, vérifiées par la pratique ont l'intérêt de nous faire comprendre de nombreuses modifications récentes du climat, et, mieux, nous proposent des solutions pour agir. Il s'agit de redonner à la terre sa capacité à stocker l'eau, qui a été dramatiquement mise en cause par notre société urbanisée. Ces chercheurs proposent des mesures simples, réalisables localement, avec des moyens locaux eux aussi, qui pour un coût réduit permettent de redonner à la terre sa capacité à stocker l'eau. Ces mesures sont essentiellement appliquées dans le programme qu'ils ont élaboré, et que nous nous proposons de présenter les principes et les fondements pour des applications dans notre contexte national.

A la campagne, elles incluent des fosses peu profondes en longueur (noues), l'usage de dépressions sur les pentes comme réservoirs et lieux d'infiltration, perpendiculairement au sens des crues, la réalisation de petites digues ou de creux sur les cours d'eau, et de toute une série de mesures visant à remplir les nappes et les sols avec l'eau auparavant évacuée et refoulée au loin.

La situation implique alors des aménagements multiples : d'abord faire que l'eau des toitures parte dans le sol, par des systèmes de drains percés posés dans des lits de graviers où elle s'infiltre, puis limiter au maximum les surfaces imperméabilisées ou bitumées, planter des arbres, faire revenir la nature dans les villes : ne deviendront-elles pas ainsi plus agréables à vivre, avec un air moins étouffant l'été ? L'intérêt de ces travaux est de nous proposer des mesures positives, à mettre en œuvre au plan local, pour résoudre une partie des problèmes liés aux désordres climatiques. Mais que faire quand il ne pleut que rarement? Justement cette rareté est synonyme de cherté, et c'est une raison suffisante pour déployer tout notre génie créatif afin de préserver chaque goutte de pluie qui tombera. Nous pouvons commencer par épurer les eaux usées et s'en servir pour créer et entretenir une foresterie urbaine dans chaque quartier, pour multiplier les écrans verts. Ces arbres agissent sur le micro-climat, et appellent les pluies, et réduisent tout risque d'inondation, et pour épurer nos pollutions, la nature nous offre un outil à notre portée : les roseaux.

La végétation a une influence sur les pluies et les précipitations. Condensation : miroir météorologique de la transpiration. Les plantes libèrent de minuscules particules d'aérosols qui fournissent une surface autour de laquelle les gouttelettes d'eau peuvent se condenser. Les bactéries et divers composés organiques volatils des plantes jouent un rôle dans la chute des pluies. Les plantes gèrent l'eau et la chaleur.

Le ruissellement, important en termes de précipitations, diminue la recharge des nappes phréatiques.

Au lieu de la considérer comme un inconvénient et s'en débarrasser rapidement, l'eau de pluie doit être retenue et drainée dans l'écosystème local. Réduire au maximum l'imperméabilisation des surfaces de revêtement des sols urbains et faciliter à travers des aménagements et autres terrassements le captage des eaux de pluie qui tombent dans chaque secteur. Un sol imperméable favorise le réchauffement climatique et événements météorologiques extrêmes. La recharge des nappes phréatiques est importante ainsi que l'évapotranspiration. La rétention de l'eau de pluie là où elle tombe redonne vie aux écosystèmes, permet une stabilisation du climat et la restauration des pluies.

Inondation est synonyme de sécheresse

Les inondations se produisent lorsque les rivières ou les canaux débordent de leurs rives, ainsi que par le ruissellement des eaux de pluie et celles stagnantes sur les surfaces imperméables. L'inondation des égouts est un problème dans certaines régions, contribuant à la pollution de l'eau et du milieu récepteur. La pénurie d'eau pendant les périodes sèches est la conséquence souvent méconnue de causes similaires d'inondations, comme l'incapacité à infiltrer l'eau dans le sol pour recharger les aquifères. L'évacuation des eaux de pluie dans la mer, ou dans les déserts via les oueds, contribue souvent à la prochaine pénurie d'eau.

Nous inondons donc parce que nous n'avons tout simplement aucun plan efficace pour limiter les risques d'inondation. Des dépenses supplémentaires pour des « défenses-protections » contre les inondations en aval et un meilleur drainage peuvent souvent aggraver les choses. Les défenses conventionnelles contre les inondations ne font que déplacer les inondations plutôt que de les empêcher. L'amélioration de l'entretien des drains contribue souvent aux inondations en aval.

Combien de fois n'avons nous pas entendu des responsables demander à ce que les oueds soient débarrassés de tout obstacle, un bétonnage du lit et des gabionnages sur les flancs pour permettre d'évacuer les crues, mais ces eaux de ruissellement acquirent non seulement de la vitesse, mais surtout de la puissance, pour rafler tout sur leur passage, et pourtant c'est l'inverse qui doit se faire, il faut ralentir les crues en amont du bassin versant.

La principale leçon acquise, et cause majeure de nos inondations (et aussi de nos sécheresses régulières) est l'incapacité de nos terres à stocker et à infiltrer correctement l'eau de pluie: l'asphalte, le bitume et les revêtements de sol partout. Pourtant l'on doit définir un taux d'imperméabilisation dans les tissus urbains à ne pas dépasser selon les caractéristiques pluviométriques de chaque région. Les services d'urbanisme du pays doivent se secouer et prendre leurs responsabilités, les inondations et les problèmes de rétention, infiltration et stockage des eaux de pluie ne concernent pas seulement les services d'hydraulique.

Nous devons maintenant restaurer l'espace dans notre paysage pour stocker les précipitations.

L'eau est tout à fait prévisible en termes de volume et de stockage requis dans le paysage pour éviter les inondations. Nous avons besoin de stratégies et de plans de prévention des inondations qui agissent sur les causes des inondations et permettent le stockage des précipitations dans les campagnes aussi, où il y a amplement d'espace.

Le stockage en amont est une alternative moins chère et plus sûre aux travaux conventionnels contre les inondations, et peut profiter aux économies agricoles et locales de diverses manières. L'eau dans le paysage est une ressource économique importante; les zones humides et les étangs peuvent être utilisés pour développer la pêche, l'irrigation, les loisirs et d'autres fonctions importantes telles que l'hydroélectricité.

Il s'agit principalement d'un travail pluridisciplinaire - au niveau de chaque commune, à la base, entre services d'urbanisme, d'agriculture, d'hydraulique et d'environnement. Un contrôle efficace des inondations a de profondes implications sur la manière dont nous devrions gérer nos ressources en eau. Encore faut-il une mise à niveau des connaissances en la matière, une révision de la réglementation et un recyclage des cadres: un débat sur ce qui se fait ailleurs et une libération des initiatives créatrices pour stocker, préserver et épurer cette ressource : l'eau.

L'Etat sera le garant pour réussir cette dynamique, et fera face aux lobbys qui pourront manifester une hostilité à ces approches : entreprises de béton, entreprises d'assainissement, de forages, de grands barrages, et surtout s'opposera à toute force obscurantiste, réactionnaire et réfractaire aux changements positifs dans le pays. La médiocrité indisciplinée qui accable nos administrations devra subir une extraction rapide et profonde par le scalpel de la rigueur.

Une rigueur et une constance nécessaires pour amortir les chocs traumatiques des confrontations futures inévitables, en gestation, fécondées par la soif, la faim et le désespoir, qui guettent, rameutent et dressent les mécontents de tous bords dans les différents coins et recoins du pays.

Définition de la gestion holistique de l'eau

Une stratégie efficace basée sur une approche holistique se dégage pour empêcher ou réduire les effets des phénomènes suivants : inondations éclairs lors de chaque événement pluvieux, une augmentation de leur fréquence, des sécheresses chroniques, des déséquilibres en approvisionnement en eau, des érosions accrues des terres, des envasements de barrages, des mauvaises recharges des aquifères et leurs contaminations par les nitrates et les pesticides, et des pertes de biodiversité.

Nous saisissons l'occasion d'introduire les solutions qui abordent tous les problèmes.

Tous les problèmes mis en évidence découlent de la mauvaise gestion de l'eau en tant que ressource. Nous n'utilisons pas l'eau à notre avantage, et avec elle vient la négligence et une richesse de ressources gaspillées. Les inondations, la sécheresse et la pollution doivent être traitées ensemble dans le cadre d'un plan de gestion holistique à l'échelle du bassin hydrographique, à faible coût, à long terme, par des solutions aux multiples bénéfices qui améliorent la biodiversité et l'esthétique du paysage et permettent aux communautés de profiter et de bénéficier d'une utilisation durable des ressources en eau. L'eau doit être gérée dans l'ensemble du bassin hydrologique, car sa gestion dans une zone aura un impact sur le reste du bassin versant. Les axes de cette stratégie sont:

- Exploiter et entretenir des techniques rentables de traitement des eaux usées en roselière (filtres plantés de roseaux) épurant ainsi le maximum d'eau qui puisse être utilisée pour l'irrigation de terres agricoles, et à l'entretien d'une foresterie urbaine, fonctionnant comme ceinture verte entre les différents quartiers, comme brise-vent et oasis de micro-climat pour la réduction de la température et l'humidification de l'air, sans parler de tous les autres agréments et bénéfices. L'eau pourrait s'infiltrer sans pollution, alimenter les nappes et ne pas se perdre dans les mers ou les oueds vers le néant des déserts.

-Par un stockage adéquat des eaux épurées et des futures eaux de pluie, nous entretenons un système de rivière et de cours d'eau qui pourra servir dans l'élevage de poisson et l'exploitation de la petite hydroélectricité.

- Atténuer les crues saisonnières et réduire à zéro le risque inondation en élargissant les actions sur l'ensemble du bassin versant de chaque commune.

-Freiner la dégradation des sols par les érosions massives des crues, par des ouvrages de stabilisation et de rétention des pluies en amont de chaque fil d'eau.

-Recruter la main-d'œuvre dans des opérations de régie communale payée dans le cadre d'un investissement public de dix à quinze ans dans la restauration et la régénération des sols dégradés, pour la production des biens fruits et légumes, et autre arbres aux valeurs commerciales.

- Intégrer la plantation d'arbre dans les actions que tout citoyen devra faire, au cours du cursus scolaire, de formation, service national, universitaire. Renforcer le dispositif de protection contre les feux de forêts.

- La récupération des eaux de pluie doit être envisagée dans toute construction nouvelle, pour celles déjà existantes, des opérations de réhabilitation seront entreprises.

- Sensibiliser les masses sur les dossiers de l'heure: conservation de l'eau, protections des ressources, économie de l'énergie.

- S'engager dans les efforts entrepris par la communauté internationale dans sa lutte contre le réchauffement climatique, en dressant un plan global de lutte contre la sécheresse, de conservation de l'eau, et de restauration des sols, tout en demandant de l'aide de la Banque mondiale et autres institutions onusiennes pour le financement de ces programmes.

Pollution de l'eau

L'infrastructure d'assainissement est très coûteuse. Le réseau dans certains cas et très ancien ? dans de nombreuses régions du pays, les canalisations existantes approchent de la fin de leur durée de vie. Le coût du remplacement du système actuel, ainsi que de son extension pour répondre aux exigences modernes, est énorme.

L'approche d'épuration centralisée est énergivore, car elle s'appuie sur des pompes et des machines de traitement électriques.

Les infrastructures sont vieillissantes, et les déchets non traités sont déchargés dans les cours d'eau. Des fuites fréquentes de pollution dans les rivières et la mer se produisent, des points de débordement d'égouts existent dans presque tous les quartiers. Les fortes pluies font éclater les canalisations d'égout parce qu'elles ne sont pas calibrées à des débits aussi volumineux, chargés de sédiments qui ne demandent qu'à se caser au fond des égouts.

En détournant l'eau de pluie dans le système d'égouts, nous gaspillons cette eau grise, et utilisons à la place de l'eau potable pour laver les voitures et tirer la chasse d'eau des toilettes. Cela exacerbe la surexploitation des eaux souterraines.

La pollution de l'eau est inesthétique et constitue un risque pour la santé publique et la faune. Il existe de nombreux cours d'eau, plages et aquifères qui nécessitent une attention particulière. Ceci est souvent mieux réalisé au niveau communal. Le traitement des eaux usées et vannes peut être résolu à moindre coût, de manière sûre et efficace avec des alternatives simples, telles que les roselières : bassins avec roseaux. Les plantations de biomasse d'épuration bénéficient d'un rendement supérieur de 50%, à un coût inférieur de 90%. L'eau récupérée est à une haute valeur pour sa réutilisation et les factures d'assainissement sont très réduites.

Cette technologie est applicable au traitement de presque tous les types d'eaux usées et pourrait faire partie d'une nouvelle approche de gestion de l'eau de manière décentralisée.

A faible coût comment est-ce possible?

Nous inondons parce que nous n'avons pas de stratégie de prévention, et encore moins de considération appropriée pour les principes de gestion écologique de l'eau dans la planification municipale.

L'examen de tous les déterminants politiques de la gestion de l'eau devrait reconnaître que le cycle de l'eau contemporain est entièrement compromis par presque tous les aspects de la société, qui à son tour conspire à maintenir le statu quo.

Ceci est apparent et profondément enraciné dans les systèmes bureaucratiques qui nous gouvernent, à l'échelle nationale et locale, car ils constituent une partie importante du problème.

Les risques critiques d'une mauvaise gestion de l'eau peuvent entraîner la mort, la maladie, la perte de biens et de nombreuses autres conséquences graves - mais surtout sa rareté et sa pénurie. C'est une urgence. Une nécessité que de trouver des solutions. Mais les moyens manquent et les besoins sont énormes, le territoire est grand et la crise paralyse les meilleures initiatives.

L'approche identifie et résout ces risques à moindre coût, abordable pour les collectivités, privilégiant les solutions soft-engineering. Mais pour cela, il faut une rigueur absolue dans la gestion des affaires publiques.

Tant que la rémunération des études est calculée selon un pourcentage du montant de réalisation de tout ouvrage, les coûts seront toujours à la hausse. Et nous irons toujours vers l'importation des matériaux de construction, de décor et de divers autres artifices, et nous hypothéquerons toujours l'avenir de nos jeunes enfants, nous ricanerons de tous ceux qui nous parleront de techniques ancestrales de matériaux locaux et d'avantages économiques. Nous nous contentons de notre goût perverti de la beauté, qui nous fait prendre pour belle toute façade vitrée de haut en bas, même dans une ville du sud à 40° à l'ombre, où l'on est obligé une fois à l'intérieur d'allumer des lampes, à 14 heures en plein été, sans cela c'est obscur. Des climatiseurs partout, le beylik est là pour s'occuper des factures électricité. Quand on pense qu'aux Etats-Unis, le pays le plus riche au monde; mais n'est-il pas riche parce qu'il veille à la maîtrise de l'économie dans ces moindres dépenses; un bâtiment est de qualité quand il équilibre sa consommation énergie avec sa production (récolte des eaux de pluie, panneaux solaires, épuration-réutilisation des eaux vannes et grises).

La responsabilité, la durabilité donc, spécialement dans notre contexte, exige d'inverser l'équation, la rémunération des études doit être inversement proportionnelle au montant de réalisation.

Ce phénomène à la limite de l'absurde, nous en avons fait l'amère expérience pendant l'année 2012, nous avions entretenu un mailing avec une vingtaine de présidents d'assemblées communales, d'une wilaya du Sud, pour promouvoir l'épuration des eaux usées par des bassins plantés de roseaux, technique économique, écologique, ne consommant pas électricité, ni de réactifs chimiques et ne demandant aucune maintenance, mis à part un faucardage annuel, et encore, les tiges de roseaux peuvent être utiles pour couvrir et ombrager des placettes et des allées. Les eaux usées sont un casse-tête pour les collectivités, puisqu'elles se déversent dans les oueds qui traversent les palmeraies, pertes multiples, la solution était - et est toujours - idoine. Journée d'étude au large public, passage à la radio, lettres et brochures, rencontres et entrevues, on souriait, hochait les têtes à nos explications, même nos arguments, que nous qualifions d'arguments massues «Plus de 60% des communes française sont dotées d'un système pareil: gravier et roseaux, roselières jardins filtrant... divers noms pour la même technique», n'avait pas suffi. Même la direction de l'hydraulique refusait l'idée, pendant qu'au même moment en 2013, le ministre de l'époque faisait l'apologie de l'expérience pilote réalisée à Ouargla des années auparavant, et promettait de généraliser la technique à une centaine de sites à travers le pays. Un cadre d'une des APC, alors m'avertit que « vous n'irez nulle part, du moment que vous parlez économique, faible coût... ici, comme partout ailleurs, l'on cherche quoi bouffer...» No comment. Dernière nouvelles, toute les communes de la wilaya, y compris le chef-lieu, ne disposent d'aucun système d'épuration des eaux usées, elles se perdent dans les oueds polluant les nappes et achevant les palmeraies, le plus gros se perd dans le désert; pourtant l'on pouvait bien en épurer une quantité et l'utiliser pour une foresterie urbaine, favoriser un micro-climat, réduire les îlots de chaleurs et alimenter les nappes, pour reprendre le cycle naturel de l'eau. Cette wilaya manque d'eau, ayant connu des inondations en 2014, avec d'énormes dégâts. On appela à un projet de bétonnage des flancs de l'oued, le même montant s'il était réparti sur des séries de retenues en amont du bassin versant, aurait stoppé, ou ralentit, les eaux de crues et les laisser s'infiltrer, rechargeant la nappe qui va s'épuiser à la fin, s'il n y a pas de pluie, et que quand il y en aura, ces eaux trouveront un tapis rouge, où elles feront de puissants et violents sprints, avant de se déverser nulle part dans le désert, aucune recharge des aquifères, aucune reprise de cycle: évaporation, condensation, nuages.

En dix ans, nos prêches de désert n'ont eu aucune attention, des émeutes de soifs ont jalonné l'actualité des semaines dernières, une visite ministérielle et des agitations d'élus, et des promesses, des solutions sont avancées - forage de puits. Loin de vouloir contredire nos honorables cadres du ministère nous pensons que la solution de l'eau mérite d'autres approches multisectorielles; et voulons attirer l'attention des décideurs sur de nouvelles conceptions des villes et villages, dans le centre des préoccupations : la protection de la ressource eau, et l'épuration de toute pollution des eaux déversées dans la nature et leur réutilisation. La gestion durable nécessite de résoudre la cause du problème, pas seulement les effets, pour des solutions rentables à long terme.

*Architecte-Urbaniste. Kenadza; Bechar.